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Y a-t-il un grand architecte dans l’univers ?

7 avril 2011

Le célèbre astrophysicien Stephen Hawking a écrit un nouveau livre de vulgarisation sur l’origine de l’univers, en collaboration avec le physicien américain Léonard Mlodinow.

 

 

Depuis un an, la campagne publicitaire pour ce livre s’est focalisée sur la thèse du rejet de Dieu comme créateur. Plusieurs scientifiques ont réagi en sens divers. Certains, comme le biologiste athée militant Dawkins, l’ont accueilli avec enthousiasme. D’autres, comme Penrose, Davies, Woit, Silk, Horgan, l’ont sévèrement critiqué.

Paru en septembre 2010 sous le titre anglais « The Grand Design », sa version française, qui vient de paraître, arbore un titre plus interpellant : « Y a-t-il un grand architecte dans l’univers ? ». Hawking est surtout connu du public par son livre « Une brève histoire du temps » (1989), où il raconte sa vision du big bang, à l’origine de notre univers. En 1999, il a écrit « Origine du temps et fin de la physique », où il spécule sur l’avenir de la physique théorique.

Trois questions fondamentales

Son nouvel ouvrage, qui s’adresse au grand public, déclare la mort de la philosophie, présentée comme une discipline naïve et inadaptée à la science, surtout à la physique contemporaine. Hawking et Mlodinow proposent une philosophie scientifique ou une physique philosophique, seule habilitée à arbitrer le débat sur la réalité et à répondre aux trois questions fondamentales :

  • celle de l’être :pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
  • celle du sens :pourquoi existe-t-on ?
  • la question anthropique (c’est-à-dire la question de l’adaptation des lois et des structures fondamentales de l’univers à l’apparition de l’homme, intelligent et libre) :pourquoi cet ensemble de lois et non un autre ?

Ces questions sont traditionnellement analysées en philosophie (métaphysique, épistémologie, philosophie des sciences et de la nature). En fait, malgré leurs dires, dans le premier tiers du livre, les auteurs vont débattre de questions épistémologiques, comme le réalisme et l’idéalisme. Suivant leur interprétation de la physique quantique, ils défendent un soi-disant « réalisme dépendant des modèles théoriques », qui s’avère être à l’analyse, un anti-réalisme, un relativisme qui décrète réel pour nous le modèle théorique le plus utile. Ils en arrivent à déclarer : « Il n’existe pas de tests de réalité indépendants des modèles. Il s’ensuit qu’un modèle bien conçu crée la réalité par lui-même. »

Mais c’est surtout dans la réponse à la question de l’être où les auteurs montrent leurs carences en matière philosophique. Ils reprennent diverses théories très spéculatives comme celles de l’auto-création et des multivers, qui ne sont que de simples hypothèses, au mieux non testables actuellement.

L’hypothèse de l’auto-création de l’univers

L’auto-création stricte est métaphysiquement un non-sens, une contradiction ontologique (c’est-à-dire, une contradiction dans l’être). Rien ne peut se créer ontologiquement soi-même, pas même Dieu [1]. Dieu peut, à partir de rien, créer autre chose, mais Lui n’est pas créé, pas même par Lui-même. De fait, nos auteurs manifestent la même contradiction : « Parce qu’il y a une loi comme la gravitation, l’univers peut et va se créer lui-même de rien » affirment-ils. Mais d’où sort cette gravitation ? Et de quel « rien » s’agit-il ? Du seul rien, rien ne sort. Le rien n’a aucune substance ni aucune loi, fut-elle gravitationnelle.

Voici 38 ans déjà que Tryon affirmait l’auto-création de l’univers. Comme Hawking et Mlodinow, il confondait le « rien » métaphysique avec le « vide » physique, et le hasard avec l’absence de cause. Ces confusions découlent de leur méconnaissance de la métaphysique. En fait, le hasard ou plus exactement la « chaoticité », n’existe qu’avec des causes et est lui-même causé. De même, leur rien (purement hypothétique, en fait) est quelque chose (même si sa masse globale est « quasi nulle », selon eux) ; et ce quelque chose est soumis à la loi de gravitation et sujet à des fluctuations chaotiques dans sa répartition d’énergie ou de masse, avec des propriétés physiques. De fait, nos auteurs ne répondent pas aux questions : pourquoi y a-t-il ce vide avec ces lois et ces structures chaotiques ? Et cette loi de la gravitation ? La question de l’être — pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? — reste en suspens !

L’hypothèse des multivers

Le cas des multivers, quant à lui, est très spéculatif. Depuis 60 ans, certains physiciens théoriques ont imaginé de nombreux scénarios de multivers, c’est-à-dire de mondes multiples plus ou moins isolés, aux lois physiques éventuellement différentes : univers parallèles, univers bébés ou pères, univers bulles, hyper-espaces, etc. Ce qui semblait au début de la science-fiction la plus imaginaire, est devenu pour certains, comme nos auteurs, une « réalité ». Celle-ci s’impose de fait à eux par son autosuffisance, sa capacité apparente à se passer d’un créateur.

Ainsi, Susskind, un des concepteurs des théories invérifiables des cordes et des membranes (Strings- et M-Theory), affirme que si notre extraordinaire univers était unique, avec ses lois tellement ajustées à l’existence de l’homme, on devrait croire au principe anthropique dit fort, c’est-à-dire à la création et à Dieu. Pour éviter cela, il a conçu une théorie qui rend possible un multivers infini, éternellement soumis au hasard. Après des années de recherche, il affirme que sa théorie permet l’éclosion spontanée de plus de 10 à la puissance 500 (1 suivi de 500 zéros !) mondes physiques différents possibles, dont une infime minorité seraient « par hasard » extraordinaires, anthropiques, comme notre univers. Ce qui nous permet de nous passer de Dieu…

Hawking et Mlodinow reprennent cette théorie à leur compte. Mais comme le fait remarquer Davies dans New Scientist, le multivers résultant de la « théorie » M, devrait lui-même être régi par des méta-lois capables d’engendrer des univers avec leurs lois. On ne fait que reporter le problème un degré plus haut : d’où vient ce multivers avec ses méta-lois ? Il ressemble étrangement à un Dieu impersonnel, une machine bonne à tout faire, éternelle et infinie, qui aurait déjà créé tout ce qu’il est possible de créer, c’est-à-dire, selon la physique mathématique, tout ce qui n’a pas une probabilité rigoureusement nulle d’exister. Le multivers serait donc, comme Dieu, éternel, infini, tout-puissant, mais à la différence de Dieu, il serait inintelligent, amoral, et cependant capable de produire par nécessité n’importe quelle intelligence ou morale, même supérieures aux nôtres. Nos auteurs manquent manifestement de compréhension sur la nature de l’intelligence spirituelle et libre.

Mais en outre, à la suite de l’astrophysicien Smolin, ils appliquent aux univers engendrés le schéma darwinien de la sélection naturelle. Tant que nous y sommes, permettons-nous de pousser la spéculation logique un cran plus loin ! On sait bien que l’efficacité de la sélection artificielle est beaucoup plus grande que celle de la sélection naturelle, comme on le voit dans la domestication, l’élevage, le génie génétique, etc., simplement parce que la sélection artificielle, loin d’être aveugle, est dirigée par un sélecteur intelligent, l’homme. Ainsi, il est pratiquement impossible que la vache Holstein puisse apparaître par sélection naturelle, et pourtant l’homme a produit, en peu de temps et par sélection artificielle, cette espèce extraordinaire qui produit plus de 20 litres de lait par jour. Or, rien ne semble interdire a priori au multivers infini et tout puissant d’avoir « créé » dans son passé éternel des sélecteurs hyper-intelligents nettement plus efficaces que l’homme : une civilisation hyper-évoluée quasi éternelle, ou une sorte de « démiurge », capables de sélectionner la naissance d’univers anthropiques(c’est-à-dire extraordinairement viables), par exemple par « création » artificielle de trous noirs, selon le schéma de nos auteurs. Le multivers aurait même « créé » une infinité de ces « dieux créateurs » d’univers viables. Comme l’exemple de l’apparition des vaches Holstein le montre, ce scénario en faveur d’une « création » par sélection artificielle de notre univers, aussi extravagant qu’il soit, est néanmoins nettement plus probable et plausible que celui proposé par Hawking et Mlodinow. Ainsi, le schéma évolutif appliqué au Multivers donnera un résultat opposé à celui recherché par Hawking, parce qu’il omet l’apparition, nécessaire selon leur théorie, de sélecteurs hyper-intelligents en son sein. Pour échapper à Dieu, Hawking et Mlodinow le remplacent par un multivers-père-de-tout-univers-possible doté de caractéristiques quasi-divines. Mais leur acte de foi en ce « multivers » devient à l’analyse considérablement moins crédible que l’acte de foi en un Dieu personnel, pour lequel nous avons quand même des preuves ou des signes historiques d’interventions, de Révélation, d’intérêt pour sa création et pour le sort de l’homme.

Conclusion

Toutes les élucubrations de nos auteurs, plus dignes de la science-fiction que de la véritable science, manifestent leur ignorance philosophique. Avec ce pauvre bagage, peut-on répondre aux questions métaphysiques fondamentales ? En fin de compte, qui aura vraiment besoin de leur multivers, si ce n’est celui qui cherche à justifier son athéisme ? Et même dans ce cas, sa justification est-elle acceptable ? Ce multivers avec ses méta-lois n’est-il pas infiniment plus invraisemblable, ayant lui aussi besoin d’un Dieu pour exister ? Ce livre est une fiction actuelle dans un langage scientifique limité. Dans la prestigieuse revue Science, le célèbre astrophysicien Joseph Silk l’estime trop prétentieux, et il prédit que ses idées paraîtront ridicules avant un siècle ou deux. Certains pensent que c’est déjà le cas.

Philippe Dalleur est prêtre, Docteur en Sciences Appliquées et en Philosophie. Il enseigne la philosophie de la biologie à l’Université Pontificale de la Sainte Croix.


[1] Le mot « créer » signifie susciter l’être à partir du non-être. Créer est donc une prérogative divine, un pouvoir exclusif de Celui qui est l’Etre. L’expression « Dieu crée à partir de rien » est donc un pléonasme, destiné à souligner que Dieu n’utilise aucune substance préexistante pour susciter l’être, et que le monde n’est pas une émanation de sa substance qui est indivisible. Le rien à partir duquel Dieu crée, n’est pas un rien absolu, mais relatif : Dieu existe avant tout être. Si Dieu n’existait pas, rien n’existerait.