La note « Antiqua et Nova » est un document du Saint-Siège sur les implications sociales et éthiques de l’intelligence artificielle (IA). Elle a été publiée le 28 janvier dernier. Il s’agit d’un appel à une « sagesse de cœur » renouvelée, selon l’expression du pape François, pour aborder les défis posés par l’IA.
L’IA et l’intelligence humaine : similitudes et différences
La première partie est une analyse critique des similitudes et des différences entre l’IA et l’intelligence humaine. Elle met en avant les principes philosophiques permettant de distinguer la nature rationnelle personnelle et spirituelle de l’intellect humain, des formes « d’intelligences » animale ou artificielle qui ne jouissent pas d’une conscience intellectuelle personnelle et libre. Cette technologie nouvelle peut nous aider à réfléchir sur l’identité spécifique de l’homme et ses capacités uniques.
L’être humain, union vivante d’un corps matériel et de son âme spirituelle, fait preuve de raison, d’intellect et de volonté libre, qui sont des éléments constitutifs de sa personne. Sa conscience intellectuelle est à la fois l’expérience la plus commune aux hommes et la plus incommunicable, parce qu’intimement personnelle : le « moi » ne peut être le « toi ». Cette conscience est à la base de la conscience morale et de tout connaissance personnelle. Le document estime qu’une telle conscience personnelle est irréductible à la matière. La personne humaine est transcendante, c’est-à-dire qu’elle dépasse le monde matériel grâce à son âme spirituelle qui agit à « l’horizon entre l’éternité et le temps », étant enracinée dans son corps. Le document critique le réductionnisme qui attribue l’émergence de la conscience humaine à des processus purement matériels. L’IA ne peut être considérée comme une forme artificielle de l’intelligence humaine, mais plutôt comme un instrument créé par l’homme.
L’immense intérêt de l’IA réside justement dans le fait qu’elle est conçue par l’homme pour apprendre et imiter son comportement, et donc pour pouvoir mieux l’aider, et parfois même le surpasser en efficacité dans ses raisonnements et sa capacité de mémoire. De fait, lors de sa phase d’apprentissage, une IA ajuste ses paramètres pour tenter de passer le mieux possible le test de Türing. Ce test déclare intelligente une machine dont les réactions seraient indiscernables des réactions typiquement humaines. Les IA actuelles peuvent apprendre par elles-mêmes et affiner constamment leurs estimations en les comparant au flux immense de données et réactions humaines qui lui sont fournies. Son efficacité dépendra des données qu’elle ingurgite, et de ses capacités de traitement et d’ajustement. Les ingénieurs et chercheurs peuvent aussi les connecter entre elles pour s’instruire mutuellement. Elles arrivent ainsi à exceller en rapidité, continuité, érudition, précision logique… au moins dans certains domaines spécialisés. Selon certains, les fusions d’IA spécialisées permettraient de constituer une AGI, une Intelligence Artificielle Globale.
La note reconnaît d’ailleurs en l’IA un outil encyclopédique interactif extraordinaire, capable de nous aider dans presque tous les aspects de gestion de la société humaine : la culture, l’art, l’éducation et le coaching, le transport, la génération visuelle, vocale et textuelle, l’information, le design industriel, les loisirs, les finances, la santé, l’écologie, la robotique, les communications, l’armée, la politique, le contrôle étatique ou alimentaire et même la religion (par exemple l’IA catholique sur www.magisterium.com). Intégrée aux robots, elle peut accomplir les tâches les plus ingrates avec une grande facilité et efficacité.
Dimensions sociales et éthiques de l’IA : création, usage et contrôles
Dans une deuxième partie, « Antiqua et nova » exhorte à renouveler notre « sagesse de cœur » pour guider le développement de l’IA vers un progrès humain authentique, agissant pour le bien commun. La note appelle à une réflexion éthique sur l’intelligence artificielle. Elle souligne l’importance de mettre l’IA au service de la société sans remplacer la conscience humaine personnelle, libre et responsable. Tout produit du génie humain peut s’orienter à des fins positives ou négatives. La note insiste sur le respect de la dignité et du bien-être des personnes et des communautés, qui fait partie intégrante de la vocation humaine.
La personne humaine est en soi individuelle et incommunicable. Mais elle est aussi relationnelle, c’est-à-dire sociale, empathique et communicative, capable de communier, d’échanger, d’aimer, d’aider et de servir. L’intelligence humaine a pour finalité de connaître le vrai (distingué du faux), la nature et finalement Dieu, la Vérité qui nous appelle à user nos intelligences incarnées et sociales pour travailler et perfectionner sa Création et notre société. Les technologies, fruits de l’intellect humain, reflètent la vision du monde et des valeurs de leurs créateurs, utilisateurs et régulateurs. Cela vaut aussi pour l’IA. Elle est un instrument formidable, mais qui peut se retourner contre l’homme lorsqu’elle est utilisée au détriment du bien commun. Les êtres humains sont des agents moraux responsables de la conception et de l’utilisation de l’IA, et de la délégation de pouvoir qu’ils lui accordent.
Le document dégage ensuite plusieurs lignes pratiques de conseils moraux et de recommandations de prudence, entre autres :
- Ne pas trop s’appuyer sur l’IA, surtout dans les décisions importantes et vitales
- Garder en vue le respect et la dignité de la vie humaine
- Éviter l’utilisation de l’IA à des fins partisanes, exclusives, discriminatoires et élitistes, de concurrence déloyale ou de contrôle abusif et anti-démocratique
- Exclure ce qui alimente la haine et l’intolérance et éviter le partage de mots, d’images ou de vidéos dégradants et manipulateurs
- Dépasser la simple transmission d’informations pour développer, grâce à un usage éthique de l’IA, l’esprit critique, l’intelligence émotionnelle, l’empathie et la résolution de problèmes humains complexes, par une formation intégrale (intellectuelle, psychologique, culturelle, sociale, morale et spirituelle).
Le document met aussi en lumière divers dangers liés à l’IA, par exemple :
- L’anthropomorphisation de l’IA ou son idéalisation
- La dépendance psychologique accrue envers l’IA et ses écrans
- Le risque de paresse intellectuelle ou critique
- La menace d’accoutumance et d’esclavage idolâtre divinisant l’IA ou ses écrans et assistants, spécialement chez les enfants et adolescents
- Les avatars influenceurs, mystificateurs et trompeurs, produits par l’IA (deepfake et fake news, usurpation d’identité, endoctrinement biaisé, etc.).
En conclusion, une perte de contrôle sur l’IA risque de déclencher un chaos culturel, politique, social et moral. Le document reprend des déclarations antérieures du pape qui demandait de bannir les armes létales autonomes douées d’IA et d’augmenter la présence et le facteur humains dans les décisions assistées par l’IA. Celle-ci ne devrait être utilisée que pour compléter l’intelligence humaine et non la remplacer. Un tel remplacement asservirait l’humanité et servirait de « substitut à Dieu ». Mais l’IA constitue aussi une grande chance à saisir pour une conscience accrue d’une humanité fraternelle.
Philippe Dalleur est prêtre, docteur ingénieur en Sciences Appliquées, docteur en Philosophie, professeur à l’Université Pontificale de la Sainte Croix (Rome). Voir aussi L’intelligence artificielle dans le travail intellectuel et créatif: secrétaire ou substitut? et ChatGPT: expectatives et illusions.
Références :
https://opentools.ai/news/vatican-unveils-antiqua-et-nova-a-revolutionary-essay-on-ai-ethics
https://www.ktotv.com/video/00445782/lintelligence-artificielle
https://www.forbes.com/sites/johnwerner/2025/02/02/vatican-releases-antiqua-et-nova-essay-on-ai/