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La conquête de la liberté

12 février 2024

Qu’est-ce qu’une personne libre?

On dit souvent que lorsque la société parle beaucoup d’un sujet, c’est que ce dernier brille par son absence. Je crois que cette idée se vérifie absolument lorsqu’il s’agit de la liberté. Peu de concepts occupent autant les débats télévisés, les gros titres des journaux et les rassemblements politiques. Il est intéressant de s’arrêter et d’analyser comment la liberté est conçue. Cela nous permettra de comprendre pourquoi nous vivons dans un monde chaque fois plus conditionné, limité et restreint dans tous les sens du terme.

La liberté s’entend comme la capacité de prendre des décisions sans que rien ni personne ne puisse m’entraver. C’est pourquoi les sociétés capitalistes lient si souvent la liberté au statut économique. Si j’ai de l’argent, je peux donner libre cours à mes rêves. Je pourrai satisfaire chacun de mes désirs. Mais la réalité est têtue et les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent. Les personnes plus riches sont-elles plus libres ? Il suffit de jeter un coup d’œil sur les réseaux sociaux et d’observer en détail le comportement des riches et des célèbres. Comment est-il possible que parmi les personnes qui peuvent apparemment tout obtenir, il y ait tant d’insatisfaits, d’accros, d’instables et de suicidaires ?

Il est évident que notre capacité à faire des choses est conditionnée par des milliers de facteurs externes : nos gènes, notre position économique, notre culture et notre niveau de santé, mais obtenir un score élevé pour chacun de ces facteurs ne nous garantit rien. Être en bonne santé, fort, riche et intelligent n’est pas nécessairement synonyme de liberté.

D’un point de vue psychologique, l’une des significations du terme normalité psychologique est la capacité de s’adapter au changement, de savoir faire face aux défis et aux exigences de son environnement. Selon cette approche — qui est assez juste —, une personne libre est une personne capable de prendre des décisions en dépit des conditionnements extérieurs. Que ceux-ci soient bons ou mauvais. Adverses ou bénéfiques. Et c’est là qu’apparaît le paradoxe. Si j’ai tout ce que je veux. Si je suis né dans l’abondance matérielle. Si j’ai un physique spectaculaire et une intelligence puissante — même si tout m’est un peu plus facile —, j’aurai plus de mal à faire face à l’adversité.

Naviguer en eaux troubles. Affronter la mort et la douleur. Surmonter l’échec, la trahison, le chagrin d’amour. Supporter avec joie les mille et un revers de la vie quotidienne. Ce sont là des signes clairs d’avoir atteint la vraie liberté. Et pour cela — et c’est là le paradoxe —, il est indispensable d’avoir des limitations.

Les personnes libres se contrôlent sans tomber dans l’angoisse et la répression. Elles sont maîtresses de leurs actes et responsables de leurs actions. Elles ne connaissent pas la trépidation émotionnelle et l’instabilité systémique. Quand tout va bien, elles sont capables de prévoir les tempêtes à venir et de mettre en place les moyens d’anticiper les revers éventuels. Comme les fourmis de la célèbre fable de la cigale, elles économisent ce qu’elles gagnent et ne se croient pas les seuls artisans de leur réussite. Elles sont humbles et précises. Elles sont sereines dans leur analyse de la réussite. Elles évitent donc les envolées sentimentales absurdes qui durent si peu et apportent si peu.

Et lorsque les choses tournent mal et ne vont pas dans leur sens, elles ont la capacité de les surmonter et de les dédramatiser sans se réfugier dans le puits sombre des émotions négatives, sans se complaire dans les lamentations inutiles des « tu devrais » et des conditionnels. C’est pourquoi elles parviennent à éviter les dépressions sans fin. Et elles ne développent pas de traits de dépendance affective en se réfugiant dans d’autres personnes sur lesquelles elles se déchargent de leurs éternels traumatismes. Des traumatismes qui, il est difficile de l’admettre, n’existent souvent que dans leur tête.

Les personnes libres ne pensent pas ce qui leur plaît. Elles ne donnent pas libre cours à des pensées destructrices ou à un pessimisme de pacotille. Elles n’édulcorent pas leurs souvenirs en pensant que tout ce qui est passé était meilleur. Elles ne se retranchent pas dans des nostalgies fantasmagoriques ou des souvenirs inventés. Elles acceptent la réalité telle qu’elle est. Elles comprennent que le monde, les circonstances et l’époque dans lesquels elles vivent sont les meilleurs de l’histoire parce qu’ils sont ceux dans lesquels ils doivent être protagonistes. Pour atteindre de tels niveaux de liberté intérieure, il est essentiel de faire quelques exercices mentaux qui permettent que, dans notre monde intérieur, ne s’installe pas la critique et la médisance. Excuser les intentions des autres, pardonner le mal subit, relativiser la souffrance à laquelle on est confronté sont des éléments clés si l’on veut être vraiment libre.

Et après avoir parcouru ces chemins de la maturité, l’homme libre comprend qu’il est responsable de ses succès, mais aussi de ses échecs. Et il découvre, non sans surprise, que la liberté n’a pas grand-chose à voir avec l’idée de faire ce que j’ai envie de faire tout le temps, ou de manger ce que j’aime, ou de voyager où bon me semble. La liberté a beaucoup plus à voir avec le fait de choisir ce qui convient. Les vraies réalités universelles. Le Bien, la Vérité, la Beauté, l’Unité. Ce sont les vrais panneaux sur l’autoroute qui mène à la conquête de la liberté.

Et c’est maintenant que le paradoxe prend tout son sens. L’homme libre a su accepter la frustration comme faisant partie du chemin. Il a compris qu’il faut vivre une certaine pauvreté pour être vraiment riche. Il a expérimenté dans sa chair qu’il faut souffrir d’une certaine maladie pour découvrir l’importance de la santé. Et surtout, il a été confronté à une réalité : il est impossible d’atteindre la liberté dans la solitude. La personne libre vit amoureuse de la vie et de ses semblables.

Celui qui aime follement ses semblables est capable de vaincre l’esclavage du moi et se surprend à comprendre qu’il y a beaucoup plus de bonheur à donner qu’à recevoir et que peu d’actions nous rendent plus libres que celles qui ont pour seul but de soulager la souffrance des autres.

Luis Gutiérrez Rojas est psychiatre et écrivain. Source : https://www.aceprensa.com/firma-invitada/la-conquista-de-la-libertad/. Ce texte a été traduit de l’espagnol par Stéphane Seminckx.