Le jeune frère dominicain Adrien Candiard a écrit un livre intéressant sur l’islam : Comprendre l’islam, ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien, Flammarion, Paris 2016. Tenter de mieux comprendre l’autre est toujours un bon point de départ. Ce livre a le grand mérite d’expliquer de façon brève (120 pages) et claire les nombreuses nuances qu’il convient d’apporter à notre jugement sur l’islam et sur son impact actuel dans le monde.
Dans un premier chapitre, l’auteur entend nous prévenir contre deux erreurs courantes et opposées : croire que l’on peut réduire l’islam à une réalité bien définie et monolithique ou, au contraire, penser que l’islam en tant que tel n’existe pas et ne porte donc aucune responsabilité dans les événements de l’histoire contemporaine.
L’islam présente en effet des visages très différents. D’abord, il s’incarne dans plus d’un milliard de musulmans à travers le monde, et chacun est différent. Ensuite, les diverses cultures dans lesquelles cette religion s’enracine lui donnent des caractéristiques propres selon le lieu ou le temps. Enfin, à l’intérieur-même de l’islam, il y a de grandes différences théologiques entre diverses branches, dont les principales sont l’islam sunnite et l’islam chiite, qui sont elles-mêmes divisées en leur sein.
Les points d’accord entre tous les musulmans du monde sont au fond très peu nombreux, et tiennent en quelques lignes : croire qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que Mahomet est son Prophète, que le Coran témoigne d’une manière ou d’une autre de la volonté de Dieu pour les hommes, qu’un Jugement divin nous attend au dernier jour. Ajoutez la croyance aux anges, et c’est à peu près tout. (p. 23) A l’intérieur de l’islam, on trouve par exemple les interprétations les plus diverses sur la notion de jihad, sur les textes très contradictoires du Coran et les dizaines de milliers de hadith (anecdotes ou propos rapportés du Prophète), ou encore sur la façon de comprendre la charia (le droit musulman ou la simple « volonté de Dieu »).
Ces considérations ne permettent pas de conclure que l’islam n’existe pas ou qu’il est étranger à certains problèmes de l’humanité, comme le terrorisme. Il y a une conscience musulmane et des pratiques communes.
La double impasse dénoncée par Adrien Candiard au début de son livre — croire que l’islam existe et croire qu’il n’existe pas — constitue un paradoxe dont la clé réside dans le constat suivant : l’islam est une réalité qui est à la fois très diverse — et semble donc ne pas exister — et aspire à l’unité interne — et constitue donc une réalité incontournable.
Et c’est précisément ici que le bât blesse, car, pour l’auteur, le problème principal de l’islam actuel réside dans sa crise interne, qui est double : l’affrontement entre sunnites et chiites, d’une part, mais aussi le terrible conflit qui sévit à l’intérieur de la branche principale, sunnite (85% des musulmans). C’est cette double crise qui fait l’objet du deuxième chapitre du livre : Comment comprendre les crises de l’islam contemporain.
Le frère Adrien nous explique d’abord l’antagonisme sunnisme-chiisme. Il remonte au temps de la fondation de l’islam et a évolué avec plus ou moins de force au fil des siècles. Ce n’est qu’au 16ème siècle que le chiisme devient une identité précise en Perse. Plus récemment, avec la révolution iranienne de 1979, ce courant se pose en concurrent du leadership sunnite, tandis que le sunnisme s’investit dans le jihad en Afghanistan, à l’occasion de l’invasion russe, et en Irak, avec Daech, qui combat la minorité chiite au pouvoir. D’autres conflits régionaux s’expliquent en grande partie par l’opposition entre les deux grandes tendances de l’islam.
Le sunnisme, quant à lui, est déchiré par un conflit interne, que les Occidentaux, raisonnant à partir de la révolution des Lumières, ont de la peine à comprendre. L’islam traditionnel — que l’auteur appelle « islam impérial », celui qui a été prévalu pendant des siècles sous les empires arabe et ottoman, avec un certain degré d’ouverture au monde et à la diversité, aussi dans le domaine théologique —, est traversé actuellement par une volonté de réforme qui prône un retour aux sources, à l’islam rigide et obscurantiste des premiers temps, celui des salaf — d’où vient le nom de salafisme —, les « pieux anciens », les trois premières générations musulmanes. La réforme en cours de l’islam n’a donc rien à voir avec ce que nous appelons les Lumières.
Le salafisme trouvera un allié dans le wahhabisme, un mouvement qui a contribué à configurer l’Arabie séoudite. Il est sectaire, mais pas nécessairement violent, bien que, selon Adrien Candiard, toutes les formes actuelles de terrorisme musulman y trouvent leurs racines. Le salafisme connaît exerce une influence grandissante au sein de l’islam et se profile comme la forme la plus pure de cette religion.
Dans un troisième chapitre, l’auteur étudie trois questions que l’on se pose fréquemment : le lien entre l’islam et la démocratie, la question de l’interprétation des textes du Coran et le caractère rationnel de cette religion. Ici aussi, ces thèmes sont abordés avec toutes les nuances nécessaires, davantage en tout cas que dans la bibliographie de divulgation.
Ce livre est en vente ici. D’autres livres sur l’islam recommandés par didoc : Les raisons de ne pas craindre l’islam et L’islam peut-il rendre l’homme heureux ? Stéphane Seminckx est prêtre, Docteur en Médecine et en Théologie.