Une interview de Christopher West sur la théologie du corps de saint Jean-Paul II.
« Si je trouve en moi un désir que rien dans ce monde ne peut satisfaire, l’explication la plus probable est que j’ai été fait pour un autre monde » (C.S. Lewis). Cette citation suggestive du célèbre écrivain britannique a ouvert l’événement Made for More, une introduction à la théologie du corps par Christopher West, fondateur du Theology of the Body Institute, et le chanteur Mike Magione, un « spectacle » [récemment présenté à Madrid] avec lequel ils font le tour du monde (…).
À l’aide d’images, de vidéos, de musique live et d’une présentation qui tenait plus de la performance que de la conférence, West et Magione ont tenté de toucher le cœur du public pour l’initier à la théologie du corps de Jean-Paul II. Jeune prêtre, Karol Wojtyla a eu une révélation en se promenant parmi les sculptures grecques des thermes de Dioclétien à Rome : cet effort pour capturer la perfection nue du corps humain était une recherche de cette beauté incarnée qui est devenue une réalité lorsque Dieu s’est fait homme. Cette découverte de ce que le corps avait à dire sur le plan théologique a pris forme d’abord dans son livre Amour et responsabilité, puis dans la catéchèse papale sur la théologie du corps.
S’appuyant sur l’expérience de Jean-Paul II avec ces sculptures, Christopher West a expliqué dans sa présentation que les aspirations les plus profondes de l’être humain peuvent être découvertes dans tant d’autres manifestations artistiques, depuis les chansons de Bruce Springsteen ou U2 à « I dreamed a dream » des Misérables ou dans « Shallow » de Lady Gaga et Bradley Cooper. Nous avons discuté avec lui de la théologie du corps, du rôle des artistes et de la responsabilité de l’Église dans la transmission d’une morale sexuelle qui n’a pas toujours été bien expliquée.
La théologie du corps est-elle la révolution sexuelle catholique ?
Cela dépend de ce que l’on entend par révolution. Elle est révolutionnaire dans le sens où elle nous conduit au cœur de notre humanité et nous aide à nous réorienter. Beaucoup de gens pensent que le catholicisme enseigne qu’il faut réprimer, rejeter ou taire nos désirs sexuels. Ce n’est pas notre foi. La foi catholique nous invite, avec la grâce de Dieu, à réorienter nos désirs vers ce que nous désirons vraiment, qui n’est rien d’autre que l’amour dans son sens le plus plénier, le plus riche et le plus gratifiant.
Et que dit la théologie du corps à ce sujet ?
La théologie du corps nous apprend, entre autres, que notre capacité, en tant qu’homme et femme, à entrer dans une communion intime et, par conséquent, à engendrer des fils et des filles, est un écho, dans le monde créé, du mystère de Dieu, qui est lui-même une communion éternelle d’amour qui donne la vie. Cet appel à la communion et à la génération est un appel à vivre à l’image de Dieu. C’est ce qui fait que nos corps ne sont pas seulement biologiques, mais aussi théologiques. Nos corps racontent une histoire divine.
La théologie du corps du pape Jean-Paul II a été enseignée en tant que catéchèse lors des audiences du mercredi entre 1979 et 1984. A-t-elle été comprise à l’époque ou commence-t-elle seulement à être appréciée aujourd’hui ?
En 2008, j’ai eu une conversation avec le cardinal Dziwisz [secrétaire de Jean-Paul II] qui m’a dit que le pape savait très bien, lorsqu’il donnait ces audiences du mercredi, qu’elles n’étaient pas vraiment destinées au public de la place Saint-Pierre. Mais il cherchait un moyen de transmettre cet enseignement, sachant qu’il y aurait des gens dans l’Église qui le prendraient, l’étudieraient et le traduiraient en catégories et en langage, en images et en art qui communiqueraient le message à un public plus large. Et nous voilà, 40 ans plus tard, et l’Église commence seulement à entrer dans la richesse de ce que Jean-Paul II nous a laissé.
Pourquoi pensez-vous que la réflexion sur la théologie du corps de Jean-Paul II est en plein essor aujourd’hui ? Y a-t-il quelque chose de particulier dans ce moment historique qui la rende si attrayante ?
Oui, dans le monde moderne, il y a une attaque violente contre la création de l’être humain en tant qu’homme et femme. C’est pour une époque semblable que nous avons reçu la théologie du corps de Jean-Paul II. C’est lorsqu’on sent la maladie qu’on cherche le remède.
Qu’y a-t-il de si révolutionnaire dans la théologie du corps ?
Nous avons tous une grande faim très, très ancrée en nous, que nous essayons de satisfaire d’une manière ou d’une autre. Beaucoup de gens grandissent en pensant que le christianisme présente une « approche famine ». L’idée de base que nous recevons souvent est la suivante : cette faim est mauvaise, réprime-la en suivant telle ou telle règle. D’une certaine manière, c’est ainsi que j’ai été élevé. Puis, à l’adolescence, lorsque la faim s’est vraiment manifestée, je me suis rapidement tourné vers ce que j’appelle l’« approche fast-food », qui est la promesse d’une gratification immédiate de cette faim offerte par la société d’aujourd’hui. Et si le choix est entre famine et fast-food, eh bien, choisissons le fast-food. C’est la raison pour laquelle, je pense, tant de gens ont quitté l’Église au cours des 60 ou 70 dernières années.
Il est certain que le fast-food, quand tu l’avales, a un goût agréable, mais, à la fin, il te rend malade et tu penseras qu’il doit y avoir une meilleure nourriture que celle-là. La théologie du corps changera le monde parce qu’elle nous montre que le christianisme n’est pas un régime de famine. C’est une invitation à un festin de noces, à un festin qui correspond vraiment à notre faim. S’il faut choisir entre le banquet et le fast-food, c’est le banquet qui l’emporte. Que dit Jésus ? Il dit : sortez dans les rues principales et invitez tout le monde au repas de noces.
En ce sens, quelle est la responsabilité de l’Église catholique dans la déformation de la compréhension correcte de la sexualité ?
Permettez-moi de l’exprimer ainsi. L’enseignement catholique a souvent été interprété sur une musique erronée. Et qu’est-ce qui a le plus d’impact sur le cœur humain, les paroles ou la mélodie ? La mélodie a plus d’impact sur le cœur. Et lorsque l’enseignement de l’Église est présenté sur un ton de reproche, d’humiliation ou de condamnation, il ne plaît à personne. On pourrait penser alors que la solution est de changer l’enseignement. Mais cela ne fait qu’engendrer d’autres problèmes. Ce que fait Jean-Paul II, ce n’est pas changer l’enseignement, mais changer la musique, mettre les mots sur la bonne bande sonore. Et la véritable bande sonore de la foi catholique est le Cantique des Cantiques, la grande poésie d’amour érotique de la Bible.
Pourquoi les saints ont-ils aimé le Cantique des Cantiques ? Pourquoi ont-ils écrit plus de commentaires sur cette belle poésie romantique et érotique que sur n’importe quel autre livre de la Bible ? Parce qu’ils ont compris qu’il s’agit de la véritable bande sonore de notre foi. Si tu es professeur de danse et que tu ne fais que dire aux gens : « Ne mettez pas votre pied là, ne bougez pas comme ça », qui voudra prendre ces leçons ? Mais si vous jouez de la musique et qu’elle est belle, les gens, de leur plein gré, voudront danser sur cette musique. C’est ce que fait Jean-Paul II. Il dit : écoutez cette belle musique et venez danser sur son rythme.
Cette histoire de musique me rappelle que Jean-Paul II a dit que l’Église avait désespérément besoin d’artistes. Que pensez-vous qu’il ait voulu dire exactement par là ?
Eh bien, le Theology of the Body Institute compte un artiste parmi son personnel et il se trouve qu’il est assis juste ici, alors peut-être devrions-nous adresser cette question à Mike Mangione.
Mike : Je dirais que les artistes ont la capacité de mettre en images, en histoires, en mélodies et en couleurs ce que les mots seuls peinent à transmettre. Et je pense que nous avons tous besoin de voir la bonté et la beauté illustrées. Leur responsabilité est donc de s’ouvrir et de se voir en train de créer avec le Créateur, de devenir co-créateur pour révéler ce que les mots seuls ne peuvent pas dire ; disparaître pour que le Seigneur puisse travailler à travers lui ou elle. Et la beauté de l’art, c’est que le Saint-Esprit a la liberté de travailler à travers l’artiste pour rencontrer les personnes qui font l’expérience de son art, spécifiquement là où elles en sont dans leur vie.
Même lorsque l’art est sombre, il exprime ce cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » C’est ce vide, cette douleur. J’ai vu un jour un excellent documentaire sur Glenn Gould, un pianiste très sincère quant à son athéisme. Dans l’une des interviews du documentaire, une femme dit : « Je me souviens de la première fois où je l’ai vu jouer. C’était comme si je voyais Dieu pour la première fois. » Elle a dit que c’était tellement beau, que c’était comme voir le ciel sur terre. Voilà le pouvoir de l’art.
Cette idée du ciel sur la terre a une signification littérale pour les chrétiens en la personne de Jésus-Christ, Dieu fait homme. On peut donc dire que la théologie du corps est au cœur du Nouveau Testament et de l’Église depuis le début….
L’Incarnation est au cœur de l’Église. Incarnation : donner chair à l’esprit, rendre visible l’invisible, tel est le mystère chrétien. En ce sens, le christianisme est toujours une théologie du corps. L’œuvre de Jean-Paul II ne fait qu’éclairer ce que le christianisme est et a toujours été : rendre visible l’invisible à travers le corps du Christ.
Jean-Paul II n’a donc pas été un révolutionnaire qui l’a découverte, il a simplement allumé la lumière.
C’est exact. Bien qu’il apporte un nouveau langage pour l’exprimer. C’est quelque chose de toujours ancien et de toujours nouveau.
À quel moment l’Église l’a-t-elle oubliée ? Quelles contaminations le message chrétien a-t-il subies ?
Je ne pense pas que « l’Église » proprement dite l’ait jamais oubliée, mais beaucoup de gens dans l’Église ont oublié l’importance du corps humain pour leur propre foi. Dans le monde moderne, René Descartes nous a donné la phrase « Je pense, donc je suis », et Jean-Paul II dit qu’il est le père du rationalisme moderne. Rationalisme signifie ici mettre notre identité dans la pensée, ce qui fait du corps une chose à laquelle on pense, que l’on dissèque, mais qui n’est plus nous. C’est le début de ce que Jean-Paul II appelle un nouveau manichéisme. Nous avons tendance à considérer le corps comme une prison dont nous voulons nous échapper pour atteindre Dieu, mais le christianisme représente exactement le mouvement inverse. Le christianisme signifie ouvrir le corps comme un temple dans lequel Dieu peut entrer, afin qu’il puisse venir à nous. Nous n’avons pas besoin de nous échapper du corps pour atteindre Dieu. Le christianisme a commencé lorsqu’une femme a appris à ouvrir son corps à la présence de Dieu en elle. Lors de l’Incarnation.
L’Église n’a donc jamais dédaigné le corps, comme on l’a souvent dit ?
Non, l’enseignement authentique de l’Église a toujours condamné sans équivoque toute tendance à dégrader le corps et le monde physique. L’amour sexuel engagé, ne l’oublions pas, est l’un des sacrements de l’Église catholique : il s’appelle mariage. Mais certaines personnes, beaucoup de personnes, au sein de l’Église ont accepté l’approche manichéenne comme s’il s’agissait de l’enseignement de l’Église. C’est une distinction importante. Jean-Paul II affirme que l’Église a enfin donné, lors du Concile Vatican II, la réponse tant attendue à cette fuite du corps, en insistant sur le fait que le Christ, le Verbe fait chair, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation.
Malgré cela, le monde continue d’adhérer à cette séparation cartésienne du corps et de l’esprit. Et aujourd’hui, le « je pense, donc je suis » s’est transformé en « je pense, donc je suis ce que je pense être ». Il y a des gens qui s’identifient comme des animaux, et c’est la suite logique. Si un homme peut dire « oh, je ne m’identifie pas à mon corps en tant qu’homme, je vais être une femme », alors pourquoi ne puis-je pas dire que je vais être un chat ? Aux États-Unis, dans certaines écoles, l’administration a installé un bac à sable dans les toilettes pour les enfants qui s’identifient comme chats. Est-ce là honorer leur liberté ? Leur individualité ? Non, c’est institutionnaliser une terrible rupture entre le corps et l’âme. Et lorsque nous faisons cela, la folie qui s’ensuit est sans fin. Nous avons perdu de vue la vérité de notre humanité lorsque nous nous détachons de notre corps.
Que peut dire la théologie du corps par rapport à la révolution sexuelle, à la guerre des sexes et à l’idéologie du genre ?
La théologie du corps est une réponse très réfléchie et convaincante à toute cette crise. Nous sommes dans une guerre implacable contre la signification de la différence sexuelle dans le monde moderne. Et c’est pour une telle époque que la théologie du corps de Jean-Paul II nous a été donnée. C’est l’antidote théologique, mais il n’a pas encore été réellement injecté dans le système sanguin de l’Église. Lorsque ce sera le cas, nous assisterons au nouveau printemps du christianisme que Jean-Paul II a annoncé.
Source : https://www.aceprensa.com/religion/juan-pablo-ii/christopher-west-la-iglesia-solo-esta-empezando-a-entrar-en-la-riqueza-de-la-teologia-del-cuerpo-que-juan-pablo-ii-nos-ha-dejado/?utm_source=brevo&utm_campaign=Newsletter_2024_10_17&utm_medium=email. Ce texte a été traduit de l’espagnol par Stéphane Seminckx. Le best-seller de Christopher West, « Bonnes nouvelles sur le sexe et le mariage » est en vente ici.