Peu de questions dans la vie publique sont aussi clivantes et émotionnellement chargées parmi les catholiques que l’immigration. Ce sujet suscite des convictions profondes et souvent contradictoires : compassion pour les migrants et les réfugiés, souci de la souveraineté nationale et de l’ordre juridique, aspiration à la justice et inquiétude face aux changements sociaux et économiques.
La première partie de cet article se trouve ici.
Qu’en est-il de l’expulsion ?
L’expulsion est l’un des aspects les plus douloureux de l’application des lois sur l’immigration. Elle peut briser des familles, bouleverser des moyens de subsistance et nuire à des communautés. C’est la mesure la plus radicale utilisée dans l’application des lois sur l’immigration et, de ce fait, la pratique la plus controversée et la plus vivement débattue.
Il convient de noter d’emblée que l’Église n’enseigne pas que l’expulsion est intrinsèquement mauvaise (c’est-à-dire moralement répréhensible en toutes circonstances). L’État a le droit — et parfois le devoir — de faire respecter les lois sur l’immigration, y compris l’expulsion des personnes sans statut légal. Cela est particulièrement vrai lorsque :
- elles sont entrées ou sont restées illégalement ;
- elles représentent une menace pour la sécurité publique ;
- aucune circonstance atténuante ne justifie leur maintien.
Mais l’expulsion devient moralement problématique lorsqu’elle est appliquée sans proportionnalité ni procédure régulière. En voici quelques exemples :
- séparer les parents de leurs enfants sans motif grave ;
- renvoyer des personnes dans des pays où elles risquent une persécution imminente ;
- ignorer l’intégration profonde et réussie d’une personne dans la vie locale ;
- si les États peuvent appliquer leurs lois, ils doivent le faire avec justice et retenue.
Rares sont ceux qui souhaitent vivre dans un État policier caractérisé par des rafles massives, une surveillance ou des détentions indiscriminées. Une application excessive de la loi engendre la peur, fracture les communautés et sape la confiance dans les institutions publiques.
Parallèlement, les lois légitimes doivent être appliquées, et cela n’est jamais parfaitement fait. L’existence de manquements ou d’excès n’invalide pas, en soi, la loi. Ce qui compte, c’est que les responsables soient prêts à affronter honnêtement leurs manquements et à les corriger dans un souci de justice.
Enfin, même lorsque les sanctions pour immigration illégale sont justifiées, l’expulsion n’est certainement pas la seule option. D’autres recours légaux — tels que les amendes, les permis de travail retardés, la suspension de l’accès aux prestations sociales ou le refus de citoyenneté — peuvent constituer des réponses plus proportionnées dans certains cas. Appliquées judicieusement, ces mesures respectent l’État de droit sans entraîner de conséquences inutilement lourdes. Une société juste ne cherche pas seulement à dissuader les actes répréhensibles, mais aussi à favoriser la restauration, la réintégration et l’épanouissement de la communauté.
Trouver une approche équilibrée par le dialogue
Une approche catholique de l’immigration rejette deux extrêmes : d’un côté, la déshumanisation, l’indifférence et la recherche de boucs émissaires ; de l’autre, l’ouverture des frontières, l’amnistie inconditionnelle et l’affaiblissement de la souveraineté nationale. L’enseignement social catholique unit justice et miséricorde, droit et amour, souveraineté et solidarité, même lorsque cela engendre de graves tensions.
Ainsi, une approche catholique doit :
- défendre la dignité de chaque migrant ;
- défendre l’État de droit et la souveraineté nationale ;
- s’opposer aux politiques injustes, discriminatoires ou excessivement punitives ;
- promouvoir une réforme qui soit compatissante, durable et orientée vers le bien commun.
L’équilibre entre tous ces biens exige la charité dans le dialogue. Les désaccords politiques entre catholiques n’impliquent pas nécessairement l’infidélité de l’un des intéressés. Les questions prudentielles admettent de multiples réponses.
La charité chrétienne exige que nous présumions la bonne volonté des autres — en particulier de nos frères chrétiens — et que nous recherchions la compréhension au lieu de recourir aux accusations et aux attaques personnelles.
Face à des questions complexes, il est tentant de réduire les gens à des catégories simplistes fondées sur leurs opinions. Cela peut provenir d’une paresse intellectuelle ou d’un besoin de clarté réconfortante, mais une recherche sincère de la vérité favorise l’humilité et permet un désaccord charitable.
Bien que les désaccords soient rarement faciles, un chrétien sûr de sa foi ne se sentira ni menacé ni irrité par des opinions divergentes. La capacité à bien exprimer ses désaccords est un signe de maturité intellectuelle et émotionnelle.
Dans le climat polarisé actuel, nous devons reconnaître comment la rhétorique politique peut manipuler nos émotions et nous rendre plus combatifs, ce qui crée davantage de conflits et de divisions.
Résister à la mentalité du « tout ou rien »
La politique se nourrit souvent de polarisation. Les médias partisans, les discours de campagne et les stratégies électorales nous poussent à voir les choses en noir et blanc et à choisir un camp avec rigidité. Cet état d’esprit rend plus difficile la compréhension de la complexité de l’immigration et de l’ambiguïté morale souvent présente dans les politiques et leur application.
Mais le discernement catholique exige une évaluation minutieuse, reconnaissant que, même au sein d’un même système, certains éléments peuvent respecter la dignité humaine, tandis que d’autres peuvent être défaillants. Nous devons résister à la mentalité du « tout ou rien » qui consiste à approuver ou à rejeter aveuglément une approche dans son ensemble. Aucun parti ni programme politique dominant n’incarne pleinement l’enseignement social catholique.
Notre tâche est de penser avec l’Église, en appliquant ses principes avec cohérence, même lorsque cela remet en question les allégeances politiques. Cette approche mature nous permet d’affirmer ce qui est bon, de confronter ce qui ne l’est pas et d’œuvrer patiemment pour un système plus juste et plus humain, même lorsque la perfection demeure inaccessible.
Que peuvent faire les catholiques ?
À une époque marquée par la polarisation, la désinformation et les slogans, les catholiques sont appelés à s’élever au-dessus des mesquineries et du bruit. En puisant dans la richesse morale et spirituelle de notre Tradition, nous pouvons proposer des contributions réfléchies et fondées sur des principes, en remplacement des slogans et de la manipulation émotionnelle qui dominent notre discours politique.
Une participation constructive à la sphère politique commence dès la formation et mène à l’action. Concernant la question de l’immigration, voici quelques mesures utiles :
- étudier l’enseignement social de l’Église sur la dignité humaine, la solidarité et le bien commun ;
- écouter les expériences des migrants et de ceux qui les servent ;
- soutenir les ministères, les apostolats et les œuvres caritatives qui aident les immigrants ;
- défendre des politiques qui équilibrent la justice et la compassion ;
- prier pour un esprit de paix et de sagesse dans le discours public.
Au-delà de la politique et de l’économie
L’immigration n’est pas seulement une question politique ou un débat économique. C’est une préoccupation profondément humaine, aux implications morales et spirituelles profondes. Parce qu’elle touche la vie de personnes créées à l’image de Dieu, elle exige bien plus que des slogans ou des formules toutes faites.
Sur la question de l’immigration, l’Église nous appelle à la fidélité : à la dignité de chaque personne humaine, aux exigences de la justice et aux œuvres de miséricorde. Elle nous invite également à accepter le difficile travail de discernement et la nécessité d’un compromis fondé sur des principes dans la vie publique.
Les catholiques peuvent avoir des opinions divergentes en toute bonne conscience sur des politiques d’immigration spécifiques, y compris en matière d’application de la loi et d’expulsion, mais nous ne sommes pas libres d’ignorer l’Évangile ou l’enseignement de l’Église.
Nos conversations doivent être ancrées dans la vérité, guidées par l’amour et tournées vers le bien de chacun, migrant comme citoyen. Ce n’est qu’alors que nous pourrons apporter la lumière, et non l’échauffement, à l’un des défis moraux les plus urgents auxquels notre nation est confrontée.
Le père Christopher Trummer, prêtre du diocèse de Springfield, dans l’Illinois, est vicaire paroissial de la paroisse Saint-Boniface d’Edwardsville, où il dessert la communauté hispanophone. Il est également délégué adjoint aux professionnels de santé et titulaire d’une licence en théologie sacrée et en théologie morale de l’Université pontificale de la Sainte-Croix à Rome, en Italie. Source : https://www.ncregister.com/commentaries/trummer-catholic-response-immigration. Traduction : Belgicatho.