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Une réponse catholique au débat sur l’immigration (1/2)

17 octobre 2025

Peu de questions dans la vie publique sont aussi clivantes et émotionnellement chargées parmi les catholiques que l’immigration. Ce sujet suscite des convictions profondes et souvent contradictoires : compassion pour les migrants et les réfugiés, souci de la souveraineté nationale et de l’ordre juridique, aspiration à la justice et inquiétude face aux changements sociaux et économiques.

Même parmi les croyants, les conversations sur ce sujet sont souvent marquées par la polarisation, les malentendus et la suspicion mutuelle, voire le silence mutuel.

Cet article propose une meilleure approche : une approche catholique de l’immigration fondée sur la morale, solide sur le plan théologique et capable de favoriser un dialogue authentique. En retrouvant les principes de l’Église, en reconnaissant le rôle du jugement prudentiel et en affirmant la vocation particulière des laïcs dans la sphère politique, nous pouvons aborder cette question avec plus de clarté, de charité et de courage.

Il ne s’agit pas d’un argument partisan ni d’une approbation d’une politique particulière. Il s’agit d’une invitation à une compréhension plus approfondie des enjeux de cette importante question de la vie publique.

L’enseignement social de l’Église catholique fournit un cadre moral qui ne simplifie ni n’ignore la complexité de l’immigration. En examinant ce cadre, les catholiques peuvent s’exprimer avec conviction et compassion, tout en respectant la diversité légitime des opinions.

Les 3 piliers de l’enseignement de l’Église

L’Église ne propose pas de feuille de route détaillée pour la réforme de l’immigration. Elle propose plutôt des principes moraux tirés des Écritures, de la Tradition et du droit naturel, qui guident la réflexion et l’élaboration des politiques. Ces principes n’apportent pas de réponses simples, mais ils établissent les limites morales que les catholiques doivent respecter et respecter.

La dignité de la personne humaine: tout être humain, quel que soit son statut juridique, sa nationalité ou son origine, est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Genèse 1, 27). Comme l’affirme une récente déclaration du Dicastère pour la Doctrine de la Foi : « Toute personne humaine possède une dignité infinie… qui prévaut en toute circonstance, état ou situation qu’elle peut rencontrer. Ce principe… sous-tend la primauté de la personne humaine et la protection des droits humains » (Dignitas Infinita, 1).

Cela vaut évidemment aussi pour les immigrés, quel que soit leur statut juridique, un fait que le pape Benoît XVI a souligné : « Tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux et inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toutes circonstances » (Caritas in Veritate, 62).

Ces droits incluent non seulement la vie et la sécurité, mais aussi le travail, l’unité familiale et la liberté religieuse. Aucun système d’immigration ne peut être moralement juste s’il ne respecte pas la dignité personnelle des personnes concernées par ses politiques.

Parallèlement, les droits d’une personne ne lui confèrent pas automatiquement l’accès à tous les avantages ou ressources d’un groupe ou d’une société. La manière dont nos droits et nos devoirs sont exercés est négociée par le consentement et les normes sociales. Nombre de ces normes sont ensuite formalisées dans des lois par le biais du processus politique.

Le principe de dignité humaine nous invite à considérer les immigrants non pas comme des fardeaux ou des statistiques, mais comme des personnes à aimer, à protéger et à traiter avec justice.

Le droit de migrer: l’Église affirme que les personnes ont un droit naturel à migrer lorsque cela est nécessaire pour protéger leur vie, leur dignité ou leurs moyens de subsistance. Le pape saint Jean XXIII a enseigné : « Lorsque de justes raisons le justifient, [tout être humain] doit être autorisé à émigrer vers d’autres pays et à y résider. Le fait d’être citoyen d’un État déterminé ne le prive pas de son appartenance à la famille humaine » (Pacem in Terris, 25).

Aujourd’hui, de nombreux immigrants ne migrent pas par simple commodité ou préférence, mais par nécessité, comme la guerre, la persécution, les troubles sociaux et politiques, la pauvreté systémique et les facteurs environnementaux. Dans ces cas, la migration n’est pas tant un choix qu’une question de survie.

Pour autant, le droit de migrer n’est pas absolu. Il convient de faire preuve de prudence pour déterminer ce qui constitue une « juste raison » d’immigrer. Par exemple, tous ceux qui tireraient un avantage économique d’un déménagement dans un autre pays n’ont pas le droit moral de le faire. En revanche, lorsque le besoin est véritablement criant, les pays riches ont l’obligation morale — dans la limite du raisonnable — d’apporter leur aide.

Il est important de noter que la décision de justifier l’immigration dans un cas particulier n’incombe pas uniquement au candidat à l’immigration ; il incombe également au pays d’accueil de le faire. Le désir d’émigrer, aussi fort et sincère soit-il, ne confère pas automatiquement le droit de le faire.

Lorsqu’on parle du droit de migrer, on suppose généralement que la migration s’effectue par des voies légales. Cependant, même une entrée illégale peut être moralement justifiée si toutes les conditions suivantes sont remplies :

  • la personne n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille dans son pays d’origine ;
  • les voies d’immigration légales sont effectivement fermées ou injustement restrictives ;
  • traverser illégalement une frontière est le seul moyen disponible pour garantir les biens humains fondamentaux tels que la sécurité, la nourriture ou un abri.

Dans de tels cas, l’individu ne serait pas moralement coupable d’avoir violé les lois sur l’immigration, même si des sanctions civiles s’appliquent toujours.

Ce jugement se fonde sur le principe de la destination universelle des biens, pierre angulaire de l’enseignement social catholique.

Dieu a créé les biens de la terre pour tous les peuples. Si la propriété privée est légitime et nécessaire à l’épanouissement humain, elle n’est pas absolue. De même qu’une personne affamée qui s’alimente pour survivre n’est pas coupable de vol (Catéchisme, 2408), de même une personne qui traverse une frontière par nécessité urgente peut ne pas être moralement blâmable, même si elle a enfreint la loi. La question de savoir si et comment ces personnes peuvent s’intégrer avec succès dans le pays en tant que citoyens à long terme est une question distincte et complexe.

Le droit et le devoir des nations de réguler l’immigration: outre les droits des migrants, l’Église affirme également le droit — et le devoir — des nations de réguler l’immigration au service du bien commun. Le Catéchisme affirme :

« Les autorités politiques, en vue du bien commun dont elles ont la charge, peuvent subordonner l’exercice du droit d’immigrer à diverses conditions juridiques » (2241).

Cela implique la sécurisation des frontières, le maintien de l’ordre public et la garantie de la stabilité de la vie culturelle et économique. Si le droit de migrer est réel, il doit être mis en balance avec la capacité d’une nation à accueillir et à intégrer les nouveaux arrivants. Trouver cet équilibre est le véritable cœur du débat.

Lorsque la restriction de l’immigration est justifiée, elle doit être appliquée dans le respect de la dignité de toutes les personnes concernées. Comme l’ont écrit les évêques américains et mexicains dans une déclaration commune en 2003 : « Si l’État souverain peut imposer des limites raisonnables à l’immigration, le bien commun n’est pas servi lorsque les droits fondamentaux de l’individu sont violés » (Strangers No Longer, 39).

Certains partisans de politiques d’immigration expansives sont allés jusqu’à prôner un monde sans frontières, invoquant des idéaux de solidarité et de justice universelles. Cependant, l’Église ne considère pas cela comme un idéal ni comme un objectif à atteindre.

Les États-nations modernes, bien qu’imparfaits, servent généralement le bien commun. Ils offrent un cadre pour l’ordre, la responsabilité, la solidarité et la subsidiarité — des valeurs profondément ancrées dans l’enseignement catholique. Les frontières et la souveraineté ne sont pas intrinsèquement injustes ni contraires à l’épanouissement humain ; elles existent pour promouvoir la justice et la paix au sein d’une communauté politique définie par des valeurs, une culture, une religion, une langue, une histoire, etc. partagées.

Le jugement prudentiel et la mission des laïcs

Fondée sur les Écritures et la loi naturelle, l’Église catholique enseigne des principes moraux intemporels, mais elle confie leur application au jugement prudentiel, qui est un discernement raisonné quant à la meilleure ligne de conduite à adopter au vu des circonstances particulières. Cela est particulièrement vrai pour des questions comme l’immigration, où des valeurs telles que la justice, la solidarité, le bien commun et l’État de droit doivent être soigneusement mises en balance.

Le jugement prudentiel exige une solide compréhension du sujet traité. Pourtant, notre culture saturée de contenu décourage souvent l’attention et la réflexion soutenues qu’exige une véritable compréhension. Les débats sur l’immigration, notamment en ligne, reposent souvent sur des slogans et des formules toutes faites qui ignorent la véritable complexité du sujet.

Même les chrétiens peuvent tomber dans cette tendance en citant des versets des Écritures pour « prouver » leurs positions.

Par exemple, certains citent Deutéronome 10, 19 (« Aimez donc l’étranger, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte ») ou Matthieu 25, 35 (« J’étais… un étranger et vous m’avez accueilli ») pour justifier des politiques d’immigration extrêmement expansives et indulgentes. À l’inverse, d’autres pourraient s’appuyer sur des passages tels que les chapitres 2 à 6 de Néhémie, qui relatent la reconstruction des murailles de Jérusalem, pour souligner l’importance des frontières, de la sécurité et de l’identité nationale. Ils pourraient également citer Romains 13, 1 (« Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu ») pour insister sur la nécessité de la loi, de l’ordre et du respect de l’autorité gouvernementale.

Ces passages sont inspirés et pertinents, mais ils n’ont pas été écrits pour répondre directement à la situation complexe de l’immigration au XXIe siècle. L’Écriture doit être lue dans son contexte et interprétée à la lumière de la tradition de l’Église avant que ses vérités intemporelles puissent être appliquées aux situations actuelles.

Notre foi commune en la Parole de Dieu et en l’enseignement de l’Église ne signifie pas que tout catholique raisonnable doive parvenir à la même conclusion sur ce débat sur l’immigration, comme s’il n’existait qu’une seule position catholique légitime. Nous ne devrions pas exiger l’uniformité là où l’Église autorise la diversité sur cette question. Comme l’écrivent les évêques américains dans leur document d’enseignement Forming Consciences for Faithful Citizenship (2023) :

« Les catholiques peuvent choisir des manières différentes de répondre aux problèmes sociaux urgents, mais nous ne pouvons pas différer notre obligation morale de contribuer à construire un monde plus juste et plus pacifique par des moyens moralement acceptables, afin que les faibles et les vulnérables soient protégés et que les droits de l’homme et la dignité soient défendus » (20).

Il ne s’agit pas de relativisme moral. Il s’agit de reconnaître la vocation des laïcs. Comme l’a enseigné le Concile Vatican II, les laïcs sont appelés à « chercher le Royaume de Dieu en s’occupant des affaires temporelles et en les organisant selon le dessein de Dieu » (Lumen Gentium, 31).

Cela est particulièrement vrai dans le cas de l’immigration. Les législateurs doivent élaborer des lois justes et applicables. Les juges doivent les interpréter avec intégrité. Les employeurs doivent traiter leurs employés équitablement. Les citoyens doivent voter en toute conscience. Les laïcs catholiques, quel que soit leur domaine, doivent contribuer à l’élaboration de politiques qui reflètent à la fois la justice et la miséricorde.

Si les évêques sont d’indispensables pasteurs de l’Église et enseignants de la foi, il n’entre pas dans leur rôle — ni dans leur compétence — d’élaborer et de promouvoir des prescriptions politiques détaillées. Exerçant un jugement prudent en tant que citoyens, dont la conscience est façonnée par l’Écriture et l’enseignement de l’Église, il incombe en premier lieu aux laïcs d’infuser les valeurs de l’Évangile dans la société et la culture. Dans le contexte de la politique d’immigration, cela implique notamment de discerner :

  • qu’est-ce qui constitue une juste raison d’immigration ?
  • quelles devraient être les sanctions en cas d’entrée illégale ;
  • quand l’expulsion est justifiée et comment elle doit être exécutée exactement ?
  • quel niveau d’immigration une société peut absorber sans compromettre sa stabilité ?

Ni les Écritures ni l’enseignement de l’Église n’apportent de réponses toutes faites à ces questions importantes. Le discernement sur ces sujets doit résister à tous les extrêmes idéologiques et rechercher le bien de tous, y compris des nouveaux arrivants et des citoyens de longue date.

Enfin, notre discernement du bien commun doit prendre en compte non seulement les besoins présents, mais aussi le bien-être des générations futures. Cela signifie que la politique d’immigration ne peut être évaluée uniquement en termes de coûts ou d’avantages économiques à court terme. Elle doit également promouvoir la stabilité et la pérennité à long terme de l’économie, du tissu social et des institutions publiques.

La seconde partie de cet article se trouve ici.

Le père Christopher Trummer, prêtre du diocèse de Springfield, dans l’Illinois, est vicaire paroissial de la paroisse Saint-Boniface d’Edwardsville, où il dessert la communauté hispanophone. Il est également délégué adjoint aux professionnels de santé et titulaire d’une licence en théologie sacrée et en théologie morale de l’Université pontificale de la Sainte-Croix à Rome, en Italie. Source : https://www.ncregister.com/commentaries/trummer-catholic-response-immigration. Traduction: Belgicatho.