La participation de Mgr André-Joseph Léonard à la Marche pour la Vie, le 28 mars dernier, a soulevé certaines questions.
Dans Le Soir du 30 mars dernier, dans le cadre d’un forum en compagnie de Pierre Galand, président du Centre d’Action Laïque, Eric de Beukelaer, porte-parole de la Conférence Episcopale , a pris clairement position en faveur du droit, pour les évêques, de participer à une manifestation. Ces propos étaient recueillis par William Bourton.
A ceux qui seraient étonnés de la participation du président de la conférence épiscopale à une « Marche pour la Vie », l’abbé de Beukelaer répond : « Souhaitent-ils exclure les évêques du débat démocratique et confiner leur liberté d’expression aux sacristies comme d’autres reléguaient jadis les Indiens dans des réserves ethniques ? Le droit d’exprimer démocratiquement son opposition à une loi vaut pour tous, en ce compris les évêques catholiques. Est-ce à un porte-parole d’évêques de rappeler ici la parole de Voltaire : “Je ne suis pas du tout d’accord avec vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer” ?… »
Face à l’objection de Pierre Galand que des personnes d’extrême droite participaient à la manifestation, le porte-parole de la conférence épiscopale fait remarquer que « s’il y a bien quelqu’un qui n’a vraiment rien de commun avec l’extrême droite, c’est moi. Or, j’étais à cette manifestation. Qu’il y ait eu quelques personnes « ambiguës » de ce point de vue, je ne le nie pas… mais je peux vous dire que ce n’était certainement pas le gros des gens que j’ai rencontrés, dont des Belges de religion musulmane. Dans le chef de ses organisateurs, la manifestation ne se voulait certainement pas anti-démocratique. Je pense sincèrement qu’aller chercher cela pour connoter la présence de tous les gens qui étaient là me semble peu correct. Puisque vous me mettez en balance avec Pierre Galand, je présume qu’en tant que personne très soucieuse de la cause palestinienne —ce qui est tout à son honneur— il s’est parfois retrouvé dans des manifestations en faveur des Palestiniens où se trouvaient des représentants de mouvements musulmans un peu plus durs, dont il ne se reconnaissait pas du tout… Mais si dès qu’il y a des représentants dont on ne partage pas les points de vue, on doit se retirer de toute manifestation, alors, de fait, on ne manifeste plus. En tout cas, je peux vous répéter qu’à titre personnel, je ne me suis absolument pas senti mal à l’aise ce dimanche. »
Le journaliste observe ensuite qu’au-delà de cette manifestation, ce qui interpelle, c’est que l’Eglise exige le changement de la loi sur l’IVG… : « Ce n’est tout de même pas un scoop de déclarer que l’Eglise catholique n’a jamais été en faveur de cette loi… M gr Léonard n’a fait que rappeler publiquement cette conviction et je ne parviens pas à comprendre en quoi ceci serait intolérable. L’avortement touche à la protection de la vie à naître et s’il est bien un débat qui trouve toute sa place au cœur de la démocratie, c’est celui-là. Ce débat oppose durement des personnes animées, chacune à leur façon, d’idéal et de passion. Tant que chaque parti accepte la confrontation des idées, la démocratie en sort grandie. Mais si le camp qui se trouve du côté de la loi —et qui représente donc l’opinion majoritaire du moment— dénie à l’opposant le droit de s’exprimer pacifiquement, le jeu démocratique s’en trouve étouffé. »
L’interview se termine avec quelques considérations sur l’objection formulée par Pierre Galand quant à la volonté de groupes religieux de reprendre la main, d’ébranler le principe de la séparation des églises et de l’État : « Donc, quand des responsables d’église s’expriment sur la question du respect de la vie à naître, ils ébranlent la séparation des églises et de l’Etat, mais quand le président du CAL milite pour le droit à l’avortement, il n’y aurait rien à redire ? [1]… Ce deux poids, deux mesures ne tient pas debout. J’attends de mes amis laïques favorables à la dépénalisation de l’avortement qu’ils me respectent au point de me laisser affirmer publiquement le contraire. Il y a quelques mois les responsables du monde catholique et de la laïcité interpellaient en front commun —et à l’initiative de cette dernière— les pouvoirs publics, sans que personne ne parle “d’ébranlement du principe de séparation des églises et de l’Etat”. Curieux, non ? Il s’agissait alors de la question des critères de régularisation pour les sans-papiers. Un sujet qui touche à la dignité humaine. Un sujet qui —comme l’avortement— ramène au cœur même du débat démocratique. »
Eric de Beukelaer est licencié en droit, philosophie et théologie (Université grégorienne de Rome) et en droit canon (Münster). Il est recteur du séminaire Saint-Paul, à Louvain-la-Neuve. En 1991, il a été ordonné prêtre. Depuis 2002, il est porte-parole francophone des évêques.
[1] C’est même au nom de la laïcité que certains militants mènent le combat en faveur de l’avortement. Dans une « carte blanche » publiée dans Le Soir du 29 mars dernier (cf. http://archives.lesoir.be/carte-blanche-depenalisation-de-l-ivg-restons_t-20100329-00UY56.html?query=galand&firstHit=0&by=10&sort=datedesc&when=-1&queryor=galand&pos=3&all=698&nav=1 ), et signée notamment par Pierre Galand, on peut lire que « si la dépénalisation de l’avortement est un combat féministe, c’est aussi un combat laïque par excellence , et l’un des plus emblématiques » (ndr).