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Pourquoi je ne pratique pas l’euthanasie

11 janvier 2016

 

L’auteur est oncologue, formée à Lille aux soins palliatifs. Elle est pionnière de leur développement en Hainaut occidental, responsable d’une unité hospitalière de 6 lits en soins palliatifs. Elle adhère à la philosophie de Cicely Saunders refusant l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie.

 

Médecin catholique pratiquante, je souhaite rester proche de celui qui souffre, habitée d’espérance malgré ce que cela coûte et malgré la tentation de l’euthanasie, de cette maîtrise à tout prix.

Celui qui souffre et n’en peut plus malgré l’expertise de nos interventions et la qualité sincère de notre accompagnement m’interpelle très profondément. La souffrance psycho-spirituelle du « non-sens », désormais à l’origine de la plupart des demandes d’euthanasie, ne s’adresse pas à l’art médical au sens strict. Pourtant ce cri m’atteint, la compassion douloureuse me saisit souvent. L’impuissance me convoque à demeurer, à chercher à m’améliorer, mais ne me contraint pas à trouver une réponse dans la maîtrise à tout prix. Rester proche, habitée d’espérance malgré ce que cela coûte et malgré la tentation de l’euthanasie, voilà ma position.

Invitation au lâcher prise

La souffrance et la mort gardent leur part de mystère et m’invitent au lâcher prise pour laisser place à plus grand que moi. C’est un choix que je pose dans la confiance, comme Jacob dont la hanche douloureuse lui rappelle de s’appuyer sur Dieu. Etre à l’écoute, entendre avec le cœur, partager les émotions, ne veut pas dire avoir réponse à tout. Ne pas avoir de réponse ne veut pas dire que l’on n’écoute pas la supplique. La fraternité permet parfois au souffrant de voir éclore en lui une lumière nouvelle, car dans ces détresses, la solution naît de l’intérieur, elle ne s’impose pas de l’extérieur. Caroline Valentiny, sortie d’une pathologie psychiatrique grave, en témoigne : « L’expérience de quelque chose au-delà de moi qui m’a réveillée à la vie. » La paix de la « bonne mort » judéo-chrétienne est fruit d’une unité intérieure, d’une harmonie entre le cœur profond et le plan de Dieu, même si la mort est violente comme celle du Crucifié. Elle ne peut devenir un cliché vidé de sens, mort « douce » provoquée de celui qui souffre. Les réalités vécues nous apprennent la solidarité avec le plus fragile, et nous recréent, plus aiguisés pour l’Amour. Si avec patience, malgré les combats, nous ne laissons plus la force de vie qui nous anime nous faire cadeau de ces « miracles » qui forgent notre espérance, nous deviendrons de plus en plus désorientés face à la souffrance, notre seuil de tolérance sera de plus en plus bas.

L’homicide par compassion

Le « tu ne tueras point » concerne aussi l’homicide par compassion. La compassion, par définition, me fait souffrir. Tuer mon frère en ce nom revient à le considérer comme mon ennemi, celui qui me dérange par la souffrance qu’il fait naître en moi, par communion à la confrontation aux limites. L’euthanasie n’est pas qu’un « geste lourd qui provoque la mort du corps » (Corinne Van Oost), mais un geste qui tue une personne qui souffre. Dans ce monde moderne qui idolâtre autonomie et bien-être, je refuse d’être réduite à un instrument au service d’une volonté désincarnée. L’Homme est plus grand qu’une machine. Si une seule fois je transgressais cet interdit fondamental, je tenterais ensuite d’en réduire la violence, je répéterais l’acte pour me convaincre qu’il est bon, je chercherais à le ritualiser pour l’humaniser. Cela tuerait néanmoins à petit feu la soignante et l’être humain que je suis. Faire ce double choix de mort ne me paraît pas juste. Je préfère rester déstabilisée, bousculée par mon frère qui souffre et me pousse à devenir meilleure. Croire en sa capacité à être, quelles que soient les circonstances.

La dépénalisation de l’euthanasie fait croire à un droit à mourir de la main du médecin quand la vie semble trop pénible telle qu’elle est. Cette fausse croyance introduit rapport de forces et méfiance au cœur de l’alliance thérapeutique. Mon seul et grand devoir est de toujours optimiser mon implication professionnelle et humaine, dans le respect de l’autre. Je n’échoue que si je ne réponds pas à cette exigence, quel que soit le succès de mes efforts.

Et que dire de la sédation ?

La sédation peut être considérée dans des circonstances exceptionnelles de souffrances intolérables, inapaisables, réfractaires. Ce n’est pas une réponse adéquate à la souffrance psycho-spirituelle, même si elle interfère avec le vécu d’autres symptômes, car son caractère inapaisable reste incertain. Induire le sommeil prive plus ou moins complètement la personne de relation, partie importante de son être-au-monde. La profondeur de l’endormissement est donc ajustée au soulagement du symptôme réfractaire que l’on combat ainsi. Si la sédation intervient en urgence pendant une hémorragie massive ou un étouffement aigu, elle est alors temporaire et non polémique. Si elle est prolongée jusqu’au décès, soulageant par exemple une confusion agitée par angoisse de mort ou une détresse respiratoire majeure permanente, elle ne peut s’indiquer qu’en situation préterminale, où la non mise en route d’une hydratation artificielle ne précipite pas significativement le décès d’un patient qui déjà ne boit quasi plus.

Où est l’hypocrisie dans la pratique d’une telle sédation ? L’intention et les actes sont clairs pour l’intelligence éveillée. Le traitement aux doses titrées vise à soulager un symptôme réfractaire sans abréger la vie. Que le mourir soit encadré de traitements n’empêche pas de faire la distinction entre mort naturelle et mort provoquée. Laisser le corps aller jusqu’au bout de ses forces respecte la personne car elle est aussi son corps. Ame, esprit et corps ne font qu’un.

La sédation doit être bien préparée, car cette pratique est difficile pour les soignants et pour les proches. Prolongée, son vécu se rapproche de celui de l’agonie.

Eviter l’agonie ?

Le sens à donner à l’agonie reste un mystère, temps précieux pour les proches ou temps d’épreuve.

Autant que possible, patient et entourage sont prévenus du projet de sédation, l’adieu rendu possible. L’équipe soignante se tient prête à intensifier sa disponibilité.

Les pressions pour accélérer cette période peuvent être fortes. Céder à cette tentation de hâter la mort est une euthanasie déguisée et illégale, hypocrisie qui n’a rien à voir avec la sédation.

De plus en plus, les médecins qui refusent de pratiquer l’euthanasie sont perçus comme des « sans-cœur ». Etant au chevet du patient sans provoquer sa mort, nous ne le contraignons pas à vivre. Il vit, simplement, et nous appelle à être, humblement, à ses côtés : médecin frère de son frère, avec compétences et limites.

Cette opinion a été publiée dans La Libre Belgique du 4 janvier 2016. Source : http://www.lalibre.be/debats/opinions/pourquoi-je-ne-pratique-pas-l-euthanasie-568aa40c3570b38a57f77cac