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Perfectionnisme, l’envers du décor

12 février 2022

Si le perfectionnisme peut, à première vue, sembler être une qualité, il y a l’envers du décor. L’augmentation du niveau de perfectionnisme chez les jeunes n’est pas vraiment une bonne nouvelle, comme l’explique Céline Douilliez, professeure de psychologie à l’UCLouvain.

Moins « je-m’en-foutistes » qu’on le dit, les jeunes seraient de plus en plus perfectionnistes. C’est ce qui ressort d’études internationales menées au cours des trente dernières années. « Les données mettent en évidence une augmentation des niveaux de perfectionnisme chez les jeunes adultes depuis la fin des années 1980 et ce n’est pas une bonne nouvelle pour la santé mentale », met en garde Céline Douilliez, professeure de psychologie à l’UCLouvain, qui a donné, mardi soir, une conférence grand public en ligne, intitulée « Perfectionnisme, l’envers du décor ».

— Quelle serait la définition du perfectionnisme ?

Le perfectionnisme est un phénomène qui comporte plusieurs facettes. La première étant de poursuivre des exigences particulièrement élevées, voire dans certains cas inatteignables. La deuxième étant d’être préoccupé par la crainte de faire des erreurs. C’est la peur de l’échec, le fait de ne jamais être satisfait de ce que l’on peut réaliser, le sentiment que les autres attendent de nous la perfection. Jusqu’à un certain point, la première facette peut être associée à des avantages, comme une meilleure performance scolaire, alors que la deuxième facette est, par essence, problématique. Dès lors qu’on essaie d’atteindre la perfection de peur de ne pas être accepté si on n’est pas parfait, on voit apparaître un cortège de conséquences négatives. Si « j’ai l’impression que je ne vaux quelque chose que si je me fixe et atteins des exigences élevées », cela signifie que je suis prisonnier d’une obligation de perfection, qui générera de la souffrance si elle n’est pas remplie.

— Est-ce que l’on naît perfectionniste ou est-ce qu’on le devient ?

Il n’y a quasi aucune étude sur la contribution génétique. Jusqu’à présent, on n’a pas identifié un « gène du perfectionnisme ». Par contre, on va construire toute une série de croyances au fil des expériences ; cela va dépendre des apprentissages, des influences de certains modèles, parentaux notamment…

— Comment expliquer l’augmentation du nombre de cas ?

Les études mettent en avant notre société compétitive, mais aussi l’accès aux « outils » de comparaison sociale que sont les réseaux sociaux. Il peut en découler une forme de pression sociale à la perfection. Il suffit de voir les photos postées sur Instagram. On met en scène une forme idéalisée de soi que l’on compare aux formes idéalisées des autres. C’est cette dimension de perfectionnisme socialement prescrit qui a le plus augmenté au cours des dernières décennies.

— Vous avez analysé les liens entre perfectionnisme et santé mentale. Que peut-on en dire ?

Pour une partie de la population, être perfectionniste peut plutôt être vu positivement, comme étant une qualité. Nous vivons dans une société qui nous invite à poursuivre l’excellence, la perfection. Or, il y a un revers à la médaille. L’envers du décor du perfectionnisme, comme le dit le titre de la conférence. Il y a en effet un coût à être perfectionniste : que ce soit au niveau émotionnel, mais aussi relationnel. Derrière les avantages et les bénéfices à poursuivre des exigences élevées peut se cacher beaucoup de souffrance. Le perfectionnisme peut favoriser le développement de différents problèmes psychologiques (dépression, anxiété, burn-out, troubles des conduites alimentaires, voire idées suicidaires). Il existe en effet des risques à poursuivre des exigences élevées et être critique par rapport à ses propres réalisations, ce qui est la définition du perfectionnisme.

— Quels sont les mécanismes qui entrent en action ?

Pour comprendre cette vulnérabilité psychologique, il importe de savoir comment les perfectionnistes régulent leurs émotions, comment ils font face à l’échec, quelles sont les stratégies qu’ils mettent en place… dont la rumination qui peut souvent s’avérer contre-productive. Les recherches menées dans notre laboratoire ont en effet montré qu’il existait différentes manières de penser à nos expériences notamment d’échec. Quand nous vivons une expérience négative, nous avons tous tendance à y repenser, mais nous ne le faisons pas tous de la même manière. Certaines manières de réfléchir à ces expériences sont plus constructives : comme se focaliser sur les expériences vécues dans l’ici et maintenant, ce qui va aider à réfléchir de façon concrète à des stratégies pour résoudre la difficulté à laquelle on doit faire face. Mais il y a aussi des manières moins constructives, beaucoup plus abstraites, analytiques, de penser à cette expérience, comme se demander « pourquoi ça m’arrive à moi, pourquoi je n’arrive pas à faire face à des difficultés… » Cette manière de penser très générale est complètement déconnectée de l’expérience qui a suscité ces pensées au départ.

— Que montre la recherche à propos de ces ruminations ?

Nos travaux montrent que ces pensées analytiques abstraites vont non seulement détériorer l’état d’humeur mais aussi faire obstacle à la possibilité de réfléchir à des stratégies de résolution de problèmes efficaces. On reste véritablement coincé dans ce questionnement de type « pourquoi ? » sans s’orienter vers une action qui permettrait de surmonter l’obstacle auquel on est confronté. Malheureusement, les recherches nous montrent que les perfectionnistes ont tendance à utiliser bien plus ce type de ruminations que des formes plus constructives. Non seulement ils vont plus souvent vivre comme un échec une situation dans laquelle ils n’atteignent pas leurs objectifs mais en plus, lorsqu’ils sont confrontés à ces situations-là, ils vont réguler les émotions d’une manière qui est beaucoup moins adaptée et qui va prolonger leur détresse et les maintenir dans ces difficultés.

— Quelles sont les pistes pour s’en sortir ?

La première chose à faire est essayer de répondre à la question : quels seraient les avantages et les inconvénients à rester dans ma situation et quels seraient les risques mais aussi les bénéfices possibles à changer en diminuant mon perfectionnisme ? C’est la première étape vers une prise de conscience et donc vers un changement. La deuxième étape est : expérimenter, faire des expériences de tout petits changements dans sa vie de tous les jours et voir ce qui se passe. Exemple : ne pas tout ranger le soir quand on a invité des amis à la maison et attendre le lendemain. Certaines personnes vont dire : « Pour moi, c’est inimaginable. Je ne peux pas dormir si ma maison n’est pas en ordre ». C’est peut-être vrai, mais si on vérifiait… Quand on est perfectionniste, on a plein de croyances. Enfin, il y a la gestion de la rumination, l’ennemi des perfectionnistes. Il s’agira tout d’abord d’apprendre à identifier quand on rumine, ce qui n’est pas toujours évident ! Si je me rends compte au bout de quelques minutes que mes pensées tournent en rond et n’aident pas à générer une solution, c’est probablement que je rumine. Il faut alors penser à mettre en place des alternatives : bouger, s’engager dans une activité plaisante…(…)

Laurence Dardenne est journaliste. Ce texte a été publié dans « La Libre Belgique du 9-2-12, sous le titre : « Le perfectionnisme peut favoriser le développement de différents problèmes psychologiques ». Source : https://www.lalibre.be/planete/sante/2022/02/09/trop-perfectionnistes-les-jeunes-parfois-jusqua-sen-rendre-malade-NDFI443P7BB23E5AHA3GQTC76E/