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Euthanasie: un revirement notable

20 août 2014

Un professeur d’éthique des Pays-Bas change sa position sur l’euthanasie au vu des résultats de 12 ans de dépénalisation dans son pays. Voici son témoignage, qui a reçu un grand écho au Royaume Uni.

 

En 2001, les Pays-Bas sont devenus le premier pays au monde à légaliser l’euthanasie, en même temps que le suicide assisté. Plusieurs garde-fous ont été mis en place afin de définir qui pourrait en bénéficier, les médecins respectant ces garde-fous ne feraient pas l’objet de poursuites. Parce que chaque cas est unique, cinq commissions régionales de contrôle ont été mises en place afin d’évaluer chaque cas et pour déterminer s’il s’était déroulé dans le respect de la loi. Pendant les cinq ans qui ont suivi la promulgation de la loi, ces morts provoquées par les médecins sont restées à un niveau stable — leur nombre a même chuté certaines années. En 2007 j’écrivais qu’il n’y a « pas nécessairement une pente glissante en matière d’euthanasie. Une bonne loi d’euthanasie, combinée avec la procédure de contrôle de l’euthanasie, fournit la garantie d’un nombre stable et relativement peu important d’euthanasies. » La plupart de mes collègues arrivèrent à la même conclusion.

Mais nous avions tort, terriblement tort même. Avec le recul, la stabilisation des nombres n’a constitué qu’une pause temporaire. Au début de 2008, le nombre de ces morts affiche une croissance de 15% par an, année après année. Le rapport annuel des commissions pour 2012 répertorie 4.188 cas cette année-là (à comparer avec les 1.882 cas en 2002). La tendance s’est maintenue en 2013 et j’estime que la barre des 6.000 sera franchie cette année ou l’année prochaine. L’euthanasie est en voie de devenir une manière de mourir « par défaut » pour les malades du cancer.

Outre cette escalade, d’autres évolutions ont eu lieu. Sous le nom « clinique de fin de vie », l’association néerlandaise pour le droit de mourir (NVVE) a fondé un réseau de médecins euthanasieurs itinérants. Alors que la loi présuppose (mais n’exige pas) une relation durable entre médecin et patient, où la mort peut constituer la fin d’une période de soins et d’interaction, les médecins de la clinique de fin de vie n’ont que deux options : administrer des drogues létales ou renvoyer le patient. En moyenne, ces médecins voient le patient trois fois avant de leur administrer les drogues qui vont mettre fin à leur vie. La clinique de fin de vie s’est occupée de centaines de cas. La NVVE ne fait pas montre de vouloir se satisfaire de cette situation. Elle ne connaîtra pas le repos avant qu’une pilule létale soit rendue accessible à toute personne de plus de 70 ans qui souhaite mourir. Certaines pentes sont réellement glissantes.

D’autres évolutions concernent un glissement dans le type de patient qui reçoit ce type de traitement. Alors qu’aux premières années après 2002 on ne trouve guère de personnes ayant des affections psychiatriques ou souffrant de démence dans les rapports, leur nombre est aujourd’hui en très forte augmentation. On a répertorié des cas où une grande partie de la souffrance de ceux qui ont été euthanasiés ou qui ont reçu une assistance au suicide résidait dans le fait d’être vieux, seuls ou venant de perdre un proche. Certains de ces patients auraient pu vivre pendant des décennies.

Alors que la loi voit l’euthanasie ou le suicide assisté comme l’exception, l’opinion publique en vient — autre glissement — à les considérer comme des droits, avec un devoir correspondant obligeant le médecin à agir. Une loi en cours d’adoption oblige les médecins qui refusent d’administrer l’euthanasie à renvoyer leurs patients vers un collègue « volontaire ». La pression exercée sur les médecins pour qu’ils se conforment à la volonté des patients (ou dans certains cas à celle de leur famille) peut être intense. La pression exercée par les proches parents, conjointe au souci du patient quant au bien-être de ceux qu’il aime, joue dans certains cas un rôle important dans la demande d’euthanasie. Les commissions de contrôle elles-mêmes, malgré leur travail important et consciencieux, n’ont pas pu mettre une halte à ces évolutions.

J’étais autrefois favorable à la législation. Mais aujourd’hui, avec douze ans d’expérience, mon point de vue est autre. A tout le moins, qu’on attende une analyse honnête et intellectuellement satisfaisante des raisons qui ont provoqué l’augmentation explosive des statistiques. Est-ce parce que la loi devrait avoir de meilleurs garde-fous ? Ou est-ce parce que la simple existence d’une telle loi est une invitation à considérer le suicide assisté et l’euthanasie comme une normalité plutôt qu’une solution de dernier recours ? Avant que ces questions aient reçu une réponse, n’y allez pas. Une fois le génie sorti de sa bouteille, il y a peu de chance qu’il y retourne jamais.

Theo Boer est professeur d’éthique à l’Université théologique protestante de Groningue. Il a fait partie pendant neuf ans d’une commission régionale de contrôle. Au nom du gouvernement néerlandais, cinq commissions de ce type déterminent si une euthanasie a été réalisée conformément à la loi. Les opinions qu’il exprime ici sont les siennes en tant qu’éthicien professionnel, et non pas celle d’une quelconque institution. Source : http://leblogdejeannesmits.blogspot.be/2014/07/avec-le-recul-luniversitaire.html.