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Priest Walking on the Aisle

L’avenir du célibat sacerdotal

12 avril 2010

A l’occasion des scandales récents, cet article expose les raisons qui fondent le célibat des prêtres dans l’Eglise catholique.

Ces dernières années, l’Eglise a été confrontée à de très graves abus commis par des prêtres sur des adolescents et des enfants. Parmi d’autres réactions, ces tristes événements ont réanimé le débat sur la règle du célibat obligatoire des prêtres. Cette loi ecclésiastique, dit-on, serait cause de ces méfaits. En outre, elle expliquerait aussi le manque de vocations de prêtres. L’heure de l’abolir aurait-elle sonné ? Examinons cette question avec le recul historique nécessaire.

Au 19 ème siècle s’éleva une importante polémique entre deux célèbres chercheurs allemands à propos de l’origine de la règle du célibat ecclésiastique. F. X. Funk argumentait qu’elle datait du 4 ème siècle. G. Bickell disait qu’elle provenait des Apôtres. Le dernier mot fut prononcé par Funk et sa thèse a prévalu. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui pensent que cette règle du célibat, établie au 4 ème siècle, ne fut rendue vraiment obligatoire dans l’Eglise latine qu’au Moyen Age, au 2 ème concile de Latran (1139).

Nouvelles études historiques

La recherche historique des dernières décennies permet de reprendre la question à nouveaux frais. Plusieurs historiens de différents pays et écoles (limitons-nous à trois noms : A. Stickler, Ch. Cochini et, pour l’Eglise orientale, R. Cholij) ont approfondi la thèse de G. Bickell. On la croyait enterrée, mais les recherches récentes bousculent les idées reçues. Nous allons tenter de présenter en quelques lignes une synthèse des études les plus récentes dans le domaine historique.

Avant même ces études, il était déjà établi que le premier témoignage écrit univoque d’une obligation de chasteté pour le clergé se trouve dans les décisions d’un petit concile provincial célébré à Elvira, localité espagnole proche de Grenade, dans les premières années du 4 ème siècle. Ce concile interdisait aux diacres, prêtres et évêques d’avoir des relations sexuelles avec leurs épouses, sous peine d’expulsion de l’état clérical. Comment un obscur concile provincial aurait-il pu prétendre imposer ex novo une loi sur un sujet si sensible, avec effets rétroactifs et assortie d’une si lourde peine ?

Deux interventions du Pape Sirice (385 et 386) et les canons du concile provincial de Carthage de l’an 390 rappellent la même discipline que le concile d’Elvira. Ils en donnent le motif, à savoir que cette loi de la continence du clergé n’est pas une nouveauté mais une tradition orale qui vient des Apôtres. En Orient, nous avons les témoignages clairs d’Epiphane de Salamine et de saint Jérôme qui en appellent aussi à la tradition apostolique pour cette praxis. En même temps, ces décisions et témoignages nous confirment que cette tradition ne fait pas référence seulement au célibat mais aussi et surtout à la continence, parce que les clercs de l’époque étaient généralement mariés. De nombreuses interventions des autorités ecclésiastiques de cette période visent à rappeler l’importance de maintenir les épouses des évêques, prêtres et diacres dans des logements différents de ceux de leurs maris. La répétition fréquente de ces rappels montre que la continence n’était pas facile à observer (même si cet engagement était toujours pris, bien entendu, avec le consentement des épouses).

En conclusion : il existe des preuves qu’à Rome, en Espagne, en Gaule (concile d’Arles, en 314), en Afrique, en Orient, les Eglises coïncident dans la même discipline du célibat et de la continence, et que toutes expriment ou évoquent leur conscience de vivre une tradition qui vient des Apôtres.

On comprend mieux ainsi que les objections souvent soulevées contre l’origine apostolique du célibat, qui étaient basées sur certains textes du Nouveau Testament, peuvent être surmontées. Pierre, en effet, était marié (et peut-être aussi d’autres Apôtres). Mais comme les évangiles le laissent entendre, il avait quitté son épouse (cf. Lc 18, 28-30). Paul avait conseillé à Timothée et à Tite d’ordonner des évêques et des prêtres mariés une seule fois, sans doute parce qu’un homme deux ou plusieurs fois marié n’offrait pas des garanties suffisantes de bien pouvoir vivre la continence.

De nombreux papes, conciles, Pères de l’Eglise et autres auteurs témoignent à partir du 5 ème siècle de la continuité de la discipline du célibat-continence pour les évêques, les prêtres et les diacres. Pourquoi beaucoup pensent-ils alors, encore aujourd’hui, que la discipline du célibat n’est définitivement établie qu’au Moyen Age ? Cette confusion vient du fait que le 2 ème Concile de Latran (1139) frappe de nullité les mariages de prêtres considérés jusqu’alors comme valides mais illicites.

Le cas des Eglises orientales

Les Eglises orientales, de leur côté, ont suivi une praxis différente. Les prêtres et les diacres ne sont obligés ni au célibat ni à la continence. La seule restriction qu’on leur impose est celle de ne pas se (re)marier une fois ordonnés. Par contre, les évêques doivent toujours être et demeurer célibataires. Cette praxis était considérée par eux comme une tradition apostolique. Ce serait l’Eglise latine qui aurait pris, à un certain moment de son histoire, un pli rigoriste, en s’éloignant de la tradition des Apôtres. Mais cela ne semble pas exact.

L’origine des différences avec l’Eglise latine à propos du célibat et de la continence des prêtres et diacres remonte au 7 ème siècle. A cette époque, pour des raisons de nature diverse (une discipline moins uniforme que dans l’Eglise latine, une situation politique particulièrement difficile suite à la pression militaire de l’islam, des interventions impériales dans les affaires ecclésiastiques), l’Orient décide au concile Quinisexte (691) de changer la règle du célibat-continence. Les pères conciliaires pensent trouver un appui pour leurs thèses dans les canons du concile de Carthage (390). Ils font une mauvaise traduction-interprétation de ce texte latin (qui, comme nous l’avons vu, prônait le célibat-continence des clercs) et considèrent la question comme résolue.

Reconnaître qu’elle avait fait mauvaise usage du concile de Carthage prendra quelques siècles à l’Eglise orientale. La discipline sur le célibat ne reviendra jamais en arrière. Pour maintenir leur position, les Orientaux affirment qu’en tout cas, leur concile Quinisexte avait l’autorité nécessaire pour introduire ces changements. Sur cette dernière affirmation, l’histoire seule ne peut trancher. Le fait qu’une praxis historique remonte aux Apôtres ne veut pas nécessairement dire qu’elle ne peut pas être changée. Il faudrait voir s’il y a aussi des raisons théologiques pour le maintien de cette praxis, en l’occurrence, si on peut établir un lien intrinsèque entre le sacrement de l’Ordre et le célibat.

Des raisons théologiques pour le célibat

Le théologien français L. Touze a étudié cette question. Il vient de nous livrer ses conclusions, qui sont nuancées ( L’avenir du célibat sacerdotal et sa logique sacramentelle , Paris 2009). Il ressort des investigations de l’auteur que, s’appuyant sur l’Ecriture et les ébauches d’explication fournies par les Pères de l’Eglise, le Magistère et la théologie s’accordent actuellement pour chercher à mieux fonder le célibat sacerdotal. Sa justification profonde ne réside pas dans une exigence de pureté rituelle, ni dans des raisons d’ordre ascétique et pratique, mais tiendrait à la nature même du sacrement de l’Ordre.

Benoît XVI a synthétisé ainsi la réflexion actuelle de l’Eglise : le célibat des prêtres trouve sa raison d’être dans le célibat de Jésus-Christ, qui a fait un don sponsal de lui-même à l’Eglise dans l’état de virginité. Le prêtre, conformé de façon particulière avec le Christ par le sacrement de l’Ordre, doit lui aussi s’ouvrir à l’offrande virginale de lui-même, à la mission vécue jusqu’au sacrifice de la Croix , au don total et exclusif au Christ et à l’Eglise (cf. exhortation apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis , 24).

Célibat et abus sexuels

La crise des abus sexuels de prêtres aura-t-elle une influence sur la discipline du célibat ? Les données statistiques montrent que c’est dans l’entourage familial, plus ou moins étendu, qu’ont lieu entre 80 et 90% des cas d’abus sexuel. Cette simple donnée démontre que le célibat n’a rien à voir avec la pédophilie. En outre, l’écrasante majorité de ces abus ont eu lieu il y a 30 à 50 ans. Cette considération, unie au fait que la plupart des victimes étaient des adolescent(e)s plutôt que des enfants, fait penser qu’il faut aller chercher la cause principale de cette crise dans la permissivité homo- et hétérosexuelle des années 60-70 et dans son influence sur les milieux ecclésiastiques, en particulier certains séminaires.

Il est donc difficile de penser que le célibat des prêtres, qui remonte aux Apôtres et s’appuie sur des raisons théologiques sérieuses, puisse être ébranlé par des circonstances qui, même si elles sont d’une extrême gravité, n’ont pas de rapport direct avec lui.

En parlant de l’évolution dogmatique, Newman écrivait : « aucune doctrine ne paraît achevée dès sa naissance et il n’en est aucune que les recherches de la foi ou les attaques de l’hérésie ne contribuent pas à développer. » Il est légitime de penser que quelque chose d’analogue arrive dans l’Eglise avec la règle du célibat des prêtres.

En conclusion, cette dernière nous semble aujourd’hui constituer davantage qu’une vénérable loi ecclésiastique : elle s’est affirmée dans l’Eglise sur le fondement de la tradition de continence qui vient des Apôtres. En outre, au cours des siècles, ont surgit avec une clarté croissante des raisons théologiques qui la soutiennent. Il n’y a donc pas de motifs pour penser que cette tradition ne continuera pas à se développer dans l’Eglise, chaque fois plus profondément, malgré —voire grâce— aux difficultés qu’elle trouve sur son chemin.

Bibliographie:

  • Christian Cochini SJ, Les origines apostoliques du célibat sacerdotal, Ed. Ad Solem, Genève, 2006
  • Laurent Touze, L’avenir du célibat sacerdotal et sa logique sacramentelle, Ed. Parole et Silence/Lethielleux, Paris, 2009
  • Roman Cholij, Clerical Celibacy in East and West, Fowler Wright Books, Leominster, 1988
  • Alfons M. Stickler, Il celibato ecclesiastico. La sua storia ed i suoi fondamenti teologici, dans Ius Ecclesiae, vol V, n. 1, 1993

Emmanuel Cabello est prêtre, Docteur en Sciences de l’Education et en Théologie