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Simplifier le christianisme?

24 mars 2010

« Aime le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi-même ». Après avoir reproduit cette parole de l’Evangile, l’auteur d’un article récent notait : « tout est dit » (La Libre Belgique, 2 mars 2010).

 

 

On lit et on entend souvent ce genre de propos. Il faudrait épurer le christianisme, le libérer du poids des dogmes, préceptes et rites qui le rendent digne du reproche que Jésus adresse aux pharisiens : « vous laissez de côté le commandement de Dieu et vous vous attachez à la tradition des hommes » ( Mc 7, 8). Il faudrait revenir à la simplicité de l’Evangile : le christianisme est tout entier dans le commandement de la charité et il suffit de le vivre pour être un bon disciple du Christ.

La solution apparaît simple, mais n’est-elle pas trop simple pour être juste ?

Dans le discours de la dernière Cène, Jésus ne répète-t-il pas, jusqu’à quatre fois, que pour l’aimer, il faut respecter ses commandements ? « Si quelqu’un m’aime, il gardera mes commandements , et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure » ( Jn 14, 23). Vouloir aimer Dieu et le prochain est certes essentiel dans le christianisme. Mais encore faut-il un certain discernement pour découvrir la volonté de Dieu dans la vie quotidienne : dans telle situation, dois-je m’engager ou m’abstenir ? Comme chef d’entreprise, puis-je licencier ou non du personnel ? Dois-je empêcher la naissance d’un fœtus malformé, ou choisir de le laisser vivre ? Face à un malade en phase terminale, quel geste est conforme au commandement de l’amour ? Les exemples sont légion.

L’intention de vivre la charité doit se traduire dans des actes qui expriment adéquatement cette dernière. A cet égard, les bons sentiments ne suffisent pas. Le passage de l’intention aux actes concrets exige un jugement de l’ intelligence , guidé par la vertu de prudence. Or l’expérience, personnelle et collective, enseigne que nous commettons de fréquentes erreurs d’appréciation. C’est pourquoi Dieu nous a révélé une série de principes —parmi lesquels le décalogue— qui sont autant de balises pour notre chemin, de lumières pour discerner quels sont les actes appropriés pour manifester notre amour. Cette Révélation de Dieu, nous la connaissons pleinement dans l’Eglise. Amour, raison et Révélation sont inséparables. Sans Révélation ni vérité, l’amour reste une chimère.

Il est logique, et conforme à notre dignité d’être doué de raison, que l’Eglise ait cherché, au long de son histoire, à approfondir l’intelligence de la Révélation et à réfléchir à la mise en œuvre des commandements de Dieu dans des situations nouvelles et toujours plus complexes. Point de méthodes contraceptives, ni de techniques de fécondation artificielle, ni de bombe atomique… au temps de Jésus !

Par ailleurs, discerner ce qu’il convient de faire n’est pas suffisant. Encore faut-il avoir les ressources nécessaires pour vouloir et faire le bien. Ici aussi, nous faisons l’expérience de notre finitude, à l’instar de saint Paul : « Il est à ma portée —écrit-il aux Romains— de vouloir le bien, mais non de l’accomplir (…) Je me trouve en face de cette loi : voulant faire le bien, c’est le mal qui est à ma portée (…) Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ( Rm , 7, 18.21.24). Saint Paul fournit la réponse : c’est Jésus-Christ qui nous libère.

Le Christ, qui nous a libéré il y deux mille ans par sa mort et sa résurrection, est « le chemin, la vérité, la vie » ( Jn 14, 6). Pour aimer vraiment, il nous faut parcourir le chemin du Christ, nous laisser illuminer par sa vérité et participer de la vraie vie, qui est celle de la grâce. C’est précisément pour nous guider, nous instruire et nous fortifier que le Christ a fondé l’Eglise et institué les sacrements. « Qui vous écoute, m’écoute » ( Lc 10, 16). Qui écoute l’Eglise, met en pratique ses enseignements et vit de la grâce de ses sacrements évite le danger d’un amour illusoire, de belles paroles contredites dans les actes: « Ce n’est pas celui qui m’aura dit : ‘Seigneur, Seigneur !’ qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui aura fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » ( Mt 7,21).

Revenir au christianisme primitif ? En 2000 ans, le christianisme s’est diffusé sur tous les continents. Il est loin le temps des petites communautés primitives. Le nombre des baptisés s’est accru considérablement et de nouvelles questions se sont présentées à eux à mesure des développements de la science et des techniques joints aux successives mutations culturelles et socio-familiales. Afin d’assurer sa triple mission de gouvernement, d’enseignement et de sanctification dans des circonstances changeantes, l’Eglise ne se devait-elle pas de parfaire ses modes d’organisation, d’enrichir son corpus doctrinal et de dégager des critères de discernement aptes à répondre aux nouveaux défis ? Rêver une Eglise sans hiérarchie, ni structures et dont le message se réduirait à quelques maximes de sagesse apparaît naïf.

Le message de Jésus sur le Royaume est comparable, il est vrai, à une graine de moutarde. Mais celle-ci est destinée à croître et à devenir un arbre touffu, si bien que les oiseaux du ciel viennent nicher dans ses branches ( Mt 13, 31-32). Il est souhaitable —c’est une loi de vie nécessaire— que la semence se développe, que le message chrétien évolue de façon homogène, qu’il déploie toutes ses potentialités. A l’inverse, il serait insensé de prétendre que ce grand arbre retourne à l’état de petite graine de moutarde.

Emmanuel Cabello est prêtre, Docteur en Sciences de l’Education et en Théologie.