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Effroyable fumée

19 juin 2012

Le cannabis est considéré à tort comme une drogue douce. La question de sa légalisation se pose dans plusieurs de nos pays et figure même dans le programme politique de certains partis. Il me semble avant tout important de se baser sur les connaissances actuelles de la science pour se forger une opinion à ce sujet.

Longtemps considéré comme une drogue douce, le cannabis se révèle de plus en plus comme un produit dangereux, mais dont les effets néfastes son parfois différés, ce qui contribue à lui donner cette image « douce » chez nombre de personnes.

Drogues « douces » et drogues « dures »

Tout d’abord, à propos de la classification des drogues, il faut savoir que la différence entre drogue dure et drogue douce repose essentiellement sur la puissance de l’effet de la substance, le fait qu’elle soit un produit licite ou illicite et la dépendance physique qu’elle induit. On comprend donc aisément que l’héroïne appartienne à la catégorie des drogues dures. En revanche, la cigarette est bien reconnue comme une drogue douce, car l’effet d’une cigarette est modéré, la dépendance physique est moindre et il s’agit d’un produit licite. Autre exemple, la caféine : elle ne crée pas de dépendance physique, elle est licite et a un effet modéré. Enfin, certains médicaments peuvent être utilisés comme drogue, mais le fait qu’ils soient soumis à prescription médicale les range en dehors de la catégorie des drogues.

Cette distinction entre drogues « douces » et « dures » tend à devenir obsolète. Nombre de médecins souhaitent en effet que soient pris en compte non seulement le caractère licite, le risque de dépendance physique et l’intensité de l’effet, mais aussi les dégâts potentiels sur la santé tant psychique que physique en général. Dans cette optique, le cannabis pourrait bien être classé dans certains pays parmi les drogues dures. Il pourrait en être de même pour l’alcool, quoique la très ancienne socialisation de cette consommation classe cette drogue quelque peu à part.

Dépendance physique et dépendance psychologique

Qu’est-ce que la dépendance physique et la dépendance psychologique ? On parle de dépendance physique lorsqu’en cessant de consommer une substance, des symptômes physiques de manque apparaissent (tremblements, épilepsie, nausées, hallucinations, …). Cela traduit le fait que l’organisme s’est habitué à la substance, ce qui pose deux problèmes : d’une part, en cas de poursuite de consommation de la substance, une dose toujours plus élevée est nécessaire pour avoir le même effet, ce qui est souvent à l’origine d’overdoses ; d’autre part, le sevrage est d’autant plus difficile car, en cas de cessation de consommation, l’organisme doit se déshabituer de la présence de la substance et ce, parfois au prix de pénibles symptômes (c’est le cas de l’héroïne), voire de symptômes potentiellement mortels (c’est le cas de l’alcool). La tentation de se remettre à consommer la substance est d’autant plus forte.

On parle de dépendance psychologique lorsqu’à l’arrêt de la consommation, il n’y a pas de symptômes physiques, mais bien l’apparition d’une envie très forte — voire irrépressible — de consommer à nouveau. Si la consommation de la substance entraîne des problèmes, une dépendance psychologique aura les mêmes effets qu’un produit induisant une dépendance physique, car le sevrage sera aussi difficile et souvent parsemé de rechutes.

Le cannabis et ses effets

Penchons-nous plus précisément sur le cas du cannabis. Il est la drogue illicite la plus consommée dans beaucoup de pays européens, principalement par les jeunes, quoique beaucoup poursuivent une consommation en vieillissant. Pour un nombre croissant de personnes, le cannabis n’est plus une expérience de jeunesse, mais le début d’un nouveau mode de vie.

Outre son caractère euphorisant et une absence de dépendance physique, le cannabis induit malgré tout une dépendance psychique forte puisqu’il active le circuit de la récompense et donc du bien-être « sur demande ».

Ses effets délétères sont bien présents et il importe d’en mesurer l’impact non-seulement sur chacun, mais aussi au niveau sociétal :

1) le cannabis est 6 à 7 fois plus cancérigène que le tabac. En effet, il contient plus de radicaux libres, qui sont les particules cancérigènes contenues dans la fumée. Il est également fumé sans filtre, ce qui augmente le nombre de radicaux libres atteignant le système respiratoire. Le pic de cancer du poumon se présentant autour de l’âge de 60 ans, ce risque est peu pris en compte par les jeunes, tant ce délai leur semble éloigné.

2) le cannabis peut induire un trouble psychotique (1-2-3-4-5) transitoire chez un fumeur sur 1.000, c’est-à-dire un trouble où le fumeur n’est plus dans la réalité (possibilité d’hallucinations, de troubles du comportement, de confusion, d’anxiété,…). Dans ces états, le risque majeur est un risque d’accident pour le fumeur où pour autrui, puisque le fumeur n’est plus du tout en possession de ses moyens. Chez 1 personne sur 10.000, ce trouble psychotique ne sera pas transitoire et forcera donc le consommateur à vivre avec une des maladies mentales les plus pénibles tant pour lui que pour sa famille, et ce toute sa vie durant. Il y a là un paradoxe dans le chef des autorités sanitaires et juridiques qui tolèrent sur le marché une substance qui présente ces risques-là, alors que si une société pharmaceutique développait un médicament comportant les mêmes risques, jamais ce médicament ne serait mis sur le marché !

3) j’ai souvent été frappé de constater que des parents désespérés m’amènent en consultation de psychiatrie des jeunes de 24-25 ans qui ne sont encore nulle part dans la vie. Souvent on me décrit leur parcours comme suit : « Docteur, la nuit, il fume (du cannabis) et joue à des jeux vidéo tandis qu’il dort en journée. Il a essayé plusieurs types d’études, mais n’a jamais réussi ». C’est l’effet type d’une consommation régulière de cannabis sur la volonté humaine et le cursus scolaire. Le cannabis pourrait être considéré comme un « tueur de volonté ». Pourquoi se fatiguer à chercher à accumuler des succès à force de travail et d’étude alors qu’on peut se récompenser avec un joint ? Voilà ce que pourrait susurrer le cannabis à l’oreille du fumeur. Il y a donc une grave répercussion sociale, car les années de 18 à 25 ans sont cruciales pour la construction de la personnalité et pour la réalisation des études. En effet, des études supérieures demandent beaucoup d’efforts, efforts souvent réduits à néant par une consommation — même faible — de cannabis. Au niveau familial également s’installe une dépendance malsaine vis-à-vis des parents, qui doivent toujours assumer un jeune adulte sans diplôme, mais qui aura des envies à financer (voiture,…), sans compter le coût de ces années d’études perdues, financées par les parents et par la communauté. Démarrer dans la vie sans diplôme dans une société de plus en plus compétitive et demandant de plus en plus de compétence constitue un sérieux handicap.

4) une récente étude a observé ce qu’il advient du cerveau d’un fumeur de cannabis après une longue période de consommation. Il apparaît qu’après 20 ans de consommation, le cerveau rétrécit de façon macroscopique, c’est-à-dire que cette diminution est visible à l’œil nu. Il y a donc un vieillissement très accéléré du cerveau. Imaginons que quelqu’un commence à fumer à 20 ans. A 40 ans, il aura le cerveau de quelqu’un de considérablement plus âgé (6). Or sa famille et particulièrement ses enfant auront toujours besoin à ce moment-là de quelqu’un dans la force de l’âge et non de quelqu’un d’anormalement âgé.

5) le cannabis a également un effet particulièrement nocif sur la mémoire (7-8-9), ce qui peut accroître des difficultés scolaires ou conduire à des oublis fréquents voire handicapants. Cette action est immédiate, mais peut induire des perturbations à plus long des terme des capacités cognitives.

6) enfin, des chercheurs incriminent le rôle du cannabis dans la genèse de certains cancers autres que ceux des fumeurs en général (cancer du poumon, de la langue, du larynx,…) et constatent des similitudes avec des polluants récemment retirés du marché tels que les phtalates. Fumer du cannabis diminue les fonctions immunes de l’organisme, augmentant les risques de développer un cancer ou une autre infection (10). Le cannabis, outre un effet toxique sur le système respiratoire et nerveux, toucherait l’organisme dans des proportions bien plus larges.

Au vu de ces dégâts, il n’est donc pas étonnant que le cannabis puisse être classifié en drogue dure, car il s’agit bien d’un danger sournois, mais terriblement destructeur, qui fond sur la jeunesse aujourd’hui.

La responsabilité du fumeur de cannabis vis-à-vis de la société

Ce vrai visage du cannabis met aussi en évidence la responsabilité sociétale de la consommation de cannabis, car il y a des fumeurs qui ne présentent pas de troubles psychotiques, qui réussissent leurs études et arrêtent leur consommation à l’âge adulte. Ne nous y trompons pas : ils constituent des exceptions. Ne pas présenter d’effets négatifs lors de la prise de cannabis n’est pas non plus prédictif d’un risque nocif moindre à long terme. Dans ce contexte, je voudrais particulièrement insister sur l’effet d’incitation à fumer du cannabis pour les autres. Combien vont associer le cannabis à la réussite ? Car quelqu’un qui réussit et qui fume va inconsciemment en pousser d’autres à faire de même. Malheureusement, cannabis rime rarement avec réussite et nombreux sont ceux qui tomberont dans la spirale de l’échec. De la même façon qu’un médecin qui fume induit chez ses patients l’idée que fumer n’est pas si grave, réussir et fumer du cannabis peut induire la même idée, alors que dans l’un et l’autre cas, la science a suffisamment démontré que cette idée est fausse.

Le cannabis n’est pas un médicament

Il arrive aussi que le cannabis vienne apaiser des angoisses chez certains ou permette à d’autres d’oublier, l’espace d’un instant, les difficultés de la vie. Il est évident que dans ces cas-là, l’arrêt du cannabis sera très pénible et la tentation d’en reprendre d’autant plus grande. Heureusement, beaucoup de traitements sans danger existent pour traiter les problèmes sous-jacents tels qu’anxiété, dépression, insomnie,… . J’invite toute personne qui se pose des questions sur cette substance ou qui éprouve du mal à arrêter, à en parler dans le secret avec son médecin de famille ou avec un médecin psychiatre. Il y va d’une partie capitale de sa santé mentale et physique, présente et à venir.

Je recommande également aux personnes désireuses de disposer de davantage d’informations à propos du cannabis le livre du Professeur Constantin Halte au Cannabis, paru aux Editions Odile Jacobs.

 

Jean-Benoît Linsmaux est docteur en médecine, spécialisé en psychiatrie. Il dirige le département de psychiatrie de l’établissement pénitentiaire de Lantin et est consultant à l’établissement pénitentiaire de haute sécurité d’Andenne.
1. Thomas, H. 1993. Psychiatric symptoms in cannabis users. Br. J. Psychiatry 163: 141-149. Hall, W., and L. Degenhardt. 2000. Cannabis use and psychosis: a review of clinical and epidemiological evidence. Aust. NZ J. Psychiatry 34: 26-34. Johns, A. 2001. Psychiatric effects of cannabis. Br. J. Psychiatry 178: 116-22.

2. Hollis, C., M.J. Groom, D. Das, T. Calton, A.T. Bates, H.K. Andrews, G.M. Jackson, and P.F. Liddle. 2008. Different psychological effects of cannabis use in adolescents at genetic high risk for schizophrenia and with attention deficit/hyperactivity disorder (ADHD). Schizophr. Res. 105: 216-223.
3. Arendt, M., R. Rosenberg, L. Foldager, G. Perto, and P. Munk-Jorgensen. 2005. Cannabis-induced psychosis and subsequent schizophrenia-spectrum disorders: follow-up study of 535 incident cases. Br. J. Psychiatry 187: 510-515.

4. Hides, L., D. I. Lubman, J. Buckby, H. P. Yuen, E. Cosgrave, K. Baker and A. R. Yung. 2009. The association between early cannabis use and psychotic-like experiences in a community adolescent sample. Schizophrenia Research 112: 130-135>.

5. McGrath J et al. 2010. Association between cannabis use and psychosis-related outcomes using sibling pair analysis in a cohort of young adults. Arch Gen Psychiatry DOI: 10.1001/archgenpsychiatry.2010.6.

6. Arnone, D., T.R. Barrick, S. Chengappa, C.E. Mackay, C.A. Clark, and M.T. Abou-Saleh. 2008. Corpus callosum damage in heavy marijuana use: preliminary evidence from diffusion tensor tractography and tract-based spatial statistics. Neuroimage 41: 1067-1074.

7. Pope, H.J., and D. Yurgelun-Todd. 1996. The residual cognitive effects of heavy marijuana use in college students. J. Am. Med. Assoc. 275: 521-527.

8. Harrison, G.J., A. Gruber, J. Hudson, M. Huestis, and D. Yurgelun-Todd. 2002. Cognitive measures in long-term cannabis users. J. Clin. Pharmacol.42: 41S-47S.

9. Solowij, N., R.S. Stephens, R.A. Roffman, T. Babor, R. Kadden, M. Miller, et al. 2002. Cognitive functioning of long-term heavy cannabis users seeking treatment. J. Am. Med. Assoc. 287: 1123–1131.

10. Hedge, V., et al. (2010) European Journal of Immunology. DOI: 10.1002/eji.201040667; Elkabets. M., et al. (2010) Des scientifiques découvrent que des composés de cannabis stimulent le développement du cancer European Journal of Immunology. DOI: 10.1002/eji.201041037