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Où va la liturgie ?

3 septembre 2010

Une interview du maître de cérémonies du pape Benoît XVI sur les tendances récentes de la liturgie de l’Eglise.

 

Dans cette interview faite par John Allen, Mgr Guido Marini, maître de cérémonies du pape Benoît XVI – la personne qui organise les messes et autres cérémonies liturgiques que le pape préside – dit très clairement que le pape préfère travailler en proposant, plutôt qu’en imposant. En général, on voit Mgr Marini plutôt en retrait, mais il a occupé un peu plus les devants de la scène lorsqu’il a prononcé un discours lors d’une réunion de prêtres anglophones à Rome, dans lequel il a défendu le projet liturgique de « réforme de la réforme ». Ces commentaires ont donné lieu à une série de spéculations sur les blogs et dans les cercles de liturgistes quant à une possible révision du culte catholique sous Benoît XVI. Ses critiques y voient comme un « retour en arrière » par rapport aux réformes associées au Concile Vatican II (1962-1965). Le message de Mgr Marini était que si sous Benoît XVI, le vent souffle très clairement vers une direction plus traditionnelle, ceux qui s’attendent à un revirement spectaculaire dans un sens comme dans l’autre seront très certainement déçus.

Qu’aviez-vous à l’esprit le 6 janvier lorsque vous avez parlé de « réforme de la réforme » ?

— En réalité, je n’ai pas utilisé cette expression comme si elle était de mon cru, mais comme une phrase utilisée par d’autres depuis de nombreuses années, y compris bien évidemment par le cardinal Ratzinger. Je n’ai pas voulu entrer dans les détails de ce que différentes personnes pourraient vouloir dire avec cette expression, car il y a plusieurs façons de la comprendre. Je pense que la meilleure façon, la plus correcte, de comprendre cette expression n’est certainement pas de rejeter les réformes établies par le Concile Vatican II. Il s’agit plutôt de faire un pas supplémentaire dans la compréhension et l’expérience de l’authentique esprit liturgique, qui unit l’héritage de notre tradition à la réforme accomplie par le Concile, dans un esprit qui est celui du développement dans la continuité.

Bien sûr, le cardinal Ratzinger s’était un jour élevé contre les nouveaux bouleversements dans la liturgie, en disant que nous avions besoin d’une période de stabilité. Etes-vous d’accord ?

— Oui, oui… Je suis parfaitement d’accord ! Je ne crois pas que la liturgie de l’Eglise ait besoin de changements radicaux ou de distorsions, notamment parce que ce ne serait pas dans la logique de cet esprit de développement dans la continuité. Je pense au contraire qu’il s’agit de consolider ce qui existe déjà, d’une façon plus authentique, en conformité avec le véritable esprit de l’Eglise.

Il n’y a pas de retour en arrière vers l’époque d’avant Vatican II ?

— Evidemment non. Un « retour en arrière » n’aurait pas de sens, car ce n’est pas ainsi que fonctionne la vie de l’Eglise. Celle-ci avance dans le temps, et se développe toujours sans jamais rien perdre de sa vie passée ou présente.

Vous avez parlé de touches plus traditionnelles dans la liturgie papale, comme par exemple mettre la croix sur l’autel, ou donner la communion sur la langue. Si je vous comprends bien, vous ne suggérez pas que ce sont des signes avant-coureurs de la nouvelle politique liturgique de toute l’Eglise ?

— Le pape a proposé, et propose, ces solutions. C’est le style de ce pape de procéder par proposition, et non par imposition. L’idée est que, peu à peu, tout ceci puisse être bien accueilli, en considérant la signification réelle de certaines décisions et orientations. Cela m’apparaît comme une marque distinctive du pape Benoît XVI.

Nous ne savons pas si ce que le pape présente sous forme de propositions deviendra un jour une norme disciplinaire. Nous ne pouvons pas le dire. Bien sûr, l’esprit actuel consiste à faire des propositions pour le style de célébrations de l’Eglise. Néanmoins, lorsque le Saint-Père propose, ce n’est pas seulement sa préférence personnelle, mais une orientation claire et précise pour toute l’Eglise.

Cela suscite une question plus large. Il est clair que Benoît XVI a une forte vision liturgique, mais jusqu’à présent il n’a pas lancé de réforme liturgique radicale. Il semble que vous ayez déjà expliqué pourquoi : sa stratégie est de proposer plutôt que d’imposer. C’est bien cela ?

— Oui, c’est ce que je dirais. Il me semble qu’il a une vision ancrée dans sa grande foi dans la vie de l’Eglise, qui, bien sûr, a un sens du temps qui lui est propre, avec son rythme à elle. Lorsqu’on regarde certaines réalités, ainsi que l’époque à laquelle on vit, parfois certaines choses ne peuvent être imposées rapidement. Elles doivent pénétrer doucement dans la manière de penser de l’Eglise, dans sa façon de sentir, dans son climat. Dans ce contexte, il est possible d’arriver finalement à donner une norme disciplinaire plus précise, mais peut-être est-il utile de créer d’abord un climat favorable.

Il faut forger la culture de l’Eglise avant sa législation ?

— Je le pense, même si les deux aspects doivent aller ensemble, car les normes disciplinaires aident également à forger une culture. En même temps, il y a un processus de formation culturelle qui peut conduire à des normes disciplinaires. Il me semble qu’il faut garder à l’esprit l’équilibre entre ces deux phases.

La nouvelle édition de la traduction anglaise du missel romain va bientôt sortir. L’avez-vous vue ?

— Non. Comme vous le savez, c’est un travail qui est de la compétence de la Congrégation pour le Culte Divin. Je sais que cela avance à grands pas.

Est-ce que le pape utilisera ce nouveau missel lorsqu’il sera en Angleterre en septembre?

— Je ne le sais pas, car cela n’a pas encore été décidé. Nous ne savons pas si d’ici là il aura été définitivement approuvé. Si la traduction est approuvée, ce sera certainement celle que le pape utilisera.

La nouvelle traduction a parfois été critiquée pour l’usage de termes non familiers, qui sont peut-être inaccessibles au peuple fidèle. Êtes-vous d’accord avec l’idée qu’une sorte de « langage sacré » est parfois une bonne chose, en vue d’élever les gens au-dessus de leur expérience quotidienne ?

— Oui, je le pense. La liturgie a certainement une dimension populaire, mais elle a aussi son propre langage et son propre cadre de références. Parfois nous avons besoin d’aide pour comprendre qu’en entrant dans l’espace liturgique, dans le climat de la liturgie, nous entrons effectivement dans une autre dimension, qui n’est pas celle de notre monde de tous les jours. Le pape parle souvent de la liturgie comme d’une sorte d’espace céleste, qui n’est certainement pas détaché du monde, mais qui nous offre une nouvelle façon de vivre notre expérience de ce monde. Tout cela doit aller ensemble, et parfois cela s’exprime dans un langage qui n’est pas le langage de tous les jours, mais le langage de la prière et de la spiritualité, qui a sa propre beauté.

Avec le motu proprio de 2007, Benoît XVI a autorisé une célébration plus large de la vieille messe latine, appelée communément « messe tridentine », à côté de la nouvelle messe. Maintenant que le climat autour de cette décision s’est apaisé, où en sommes-nous ?

— A mon avis, ce qui est important maintenant, c’est que les deux formes du rite romain se regardent mutuellement avec une grande sérénité, en réalisant qu’elles font partie de la vie de l’Eglise, et qu’aucune des deux n’est la seule expression véritable ou authentique. Mieux encore, les deux formes du rite romain peuvent s’enrichir mutuellement. C’est le chemin que nous devrions parcourir, car peut-être ne sommes-nous pas encore arrivés à cette attitude de sérénité et d’accueil dans notre vie quotidienne.

Cette interview a été donnée en février 2010 et a été publiée sous le titre « Proposals for the liturgy » dans « Position Papers », n. 436, April 2010 . Elle a été traduite de l’anglais par Richard Llewellyn.