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Mariage et divorce au temps du Christ

12 juillet 2014

Quand Jésus promulgua le mariage chrétien, la situation de la famille était bien pire qu’aujourd’hui.

 

 

On entend fréquemment, et également dans des milieux catholiques, que la concession de la communion aux divorcés remariés est une exigence que l’on doit à notre époque. Aujourd’hui les personnes divorcées remariées sont trop nombreuses pour que l’on maintienne en vigueur des lois anciennes et des vieux schémas.

Il s’agit évidemment d’une idée fragile selon laquelle la vérité est soumise à l’arbitraire du nombre. Elle a été utilisée par les radicaux (gauche italienne). L’on disait alors « ils sont déjà des millions les divorcés de fait, trop pour ignorer plus longtemps la possibilité de reconnaître le divorce ». Et ce sont toujours les mêmes qui ont utilisé l’idée du nombre pour légaliser l’avortement : « puisque les avortements clandestins sont désormais la norme, il vaut mieux régulariser l’avortement sans plus ».

Mais le but de cet article n’est pas d’évaluer un tel raisonnement du point de vue logique, ni même du point de vue théologique. Le but est de comprendre, simplement, du point de vue historique, si cette position est compatible avec l’enseignement du Christ.

Ce que le Christ a enseigné… et enseignerait

Les questions qui nous semblent essentielles sont donc les suivantes : comment se comporterait Celui qui est infiniment bon et miséricordieux, Jésus-Christ lui-même, s’il venait aujourd’hui ? Changerait-il la doctrine de l’indissolubilité du mariage, en la considérant dépassée et non respectueuse du grand nombre de divorcés-remariés qui existent aujourd’hui ? Introduirait-il des exceptions, de la casuistique, des problématiques différentes (…) ? Jésus rendrait-il un peu plus flexible ce laconique et lapidaire commandement qui dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mt 19, 8) ?

La situation à l’époque de Jésus

Le point de départ est sans conteste le fait que le mariage, dans le monde antique et pré-chrétien était de deux types : monogamique et polygamique. La monogamie était présente en Grèce, dans le peuple juif et à Rome. Dans d’autres civilisations, la polygamie était la règle. L’enseignement du Christ sur la famille n’est donc pas une nouveauté tout-à-fait inouïe : différents peuples — je le répète — considéraient la monogamie comme le pilier de la société. Nous sommes en présence de ce qui est appelé habituellement « droit naturel  » : aussi les peuples non chrétiens entendaient résonner dans leur cœur le son des exigences morales universelles. De la même façon qu’Hippocrate, à une époque où l’avortement était pourtant la norme, avait compris qu’avorter c’est assassiner, ainsi les Romains avaient bien compris que l’optimum dans la relation homme-femme, c’était la fidélité et la durée du mariage.

Rituel de la noce romaine

Ainsi, à l’époque de la République, c’est-à-dire avant Jésus-Christ, à Rome étaient prévues les fiançailles, célébrées par une cérémonie officielle qui incluait l’échange d’anneaux (mis à l’annulaire car, selon Aulu-Gelle, il y aurait « un nerf très fin qui part de l’annulaire et arrive au cœur »). Le mariage venait ensuite : une cérémonie solennelle, marquée par une espèce de communion devant un autel, sur lequel l’on offrait à Jupiter un pain d’orge. On procédait aussi au sacrifice d’un animal dont les viscères étaient lues par un aruspice. Une femme, mariée une seule fois et par conséquent signe de bon augure, unissait les mains des époux face aux prêtres et aux témoins, en signe de la fonction également sociale du mariage. Hommes et divinités étaient par conséquent appelés comme témoins d’un fait, dont l’importance était très claire.

Mais, en vérité, si nous approfondissons, nous découvrons que même la monogamie romaine, peut-être la plus solide du monde antique, était invalidée par mille exceptions. C’est ainsi que le mari pouvait avoir des relations avec les femmes esclaves, sans que cela constitue le moindre scandale, même aux yeux de l’épouse ; en outre il pouvait répudier sa femme pour une série assez longue de motifs.

La monogamie juive ressemblait également à une fiction, car les écoles rabbiniques pouvaient étendre indéfiniment les possibilités de répudiation, ouvrant la voie aux hommes pour des mariages successifs. Bien plus, la polygamie était une pratique assez courante.

La famille en crise à l’époque impériale

Si nous revenons à Rome, à l’époque de l’Empire, c’est-à-dire à l’époque du Christ, et dans les siècles où le christianisme s’est affirmé graduellement, les mœurs se sont relâchées. Tous les historiens s’accordent à dire que la monogamie déjà dissoluble de l’époque républicaine traversait une grave crise. La durée moyenne des mariages diminue sans cesse ; les divorces ne font qu’augmenter ; et même la cérémonie de mariage, suivant parfaitement la diminution graduelle du sens du mariage, est chaque fois plus simple, rapide, presque banale.

Comme l’écrit Igino Giordani dans son chef d’œuvre, Il messaggio sociale del cristianesimo (« Le message social du christianisme »), « pour divorcer il n’y avait plus besoin de formalités compliquées. Comme pour se marier. Une simple communication suffisait, par voie orale ou écrite, ou au moyen d’un message » ; tout était plus simple par rapport au passé républicain et le divorce « se transforme en une plaie qui gangrène l’institution du mariage et mine la famille ».

Le grand Sénèque, contemporain de Jésus, écrit qu’en définitive « les personnes divorcent pour se marier et se marient pour divorcer ». Juvénal, au 1er siècle après Jésus-Christ, rappelle le nom d’une femme qui s’était mariée 8 fois en 5 ans, tandis que Martial décrit la crise du mariage contemporain en citant Telesilla avec ses 10 maris. Le grand historien du monde romain Carcopino, dans La vita quotidiana a Roma (« La vie quotidienne à Rome »), confirme les faits : à Rome, le divorce à l’époque pré-chrétienne était rare ; à l’époque de l’Empire, au contraire, il était extrêmement répandu. Également parce que, comme le rappelle l’historienne Eva Cantarella, dans son L’ambiguo malanno (« Le désastre ambigu »), à la possibilité du divorce demandé par le mari, avec la femme normalement considérée comme une victime impuissante, s’était peu à peu renforcée la possibilité pour les femmes de demander le divorce.

C’est un fait incontestable : à l’arrivée du Christ et dans les siècles suivants, sous l’empire romain, le mariage et la famille étaient plus que jamais en crise, une crise qui affectait aussi la société et qui finissait par avoir des répercussions démographiques.

Jésus n’a pas été « réaliste » mais « révolutionnaire »

Dans ce contexte, en citant de nouveau Cantarella, la prédication du Christ sur le mariage indissoluble a été sans aucun doute peu « réaliste » et assez « révolutionnaire ». Elle l’a été d’autant plus que, pour les païens, le mariage durait tant que durait la volonté d’être ensemble, tandis que les chrétiens « prenaient en considération la seule volonté initiale, en la figeant, pour ainsi dire dans le temps, et en lui attribuant, à elle-seule, une valeur déterminante ».

De là les législations des empereurs chrétiens, qui peu à peu ont commencé à limiter les divorces, en imposant « pour la première fois une casuistique de circonstances qui les justifiaient ».

En ce qui concerne l’enseignement et l’éducation chrétiens, un apologète comme Justin, dans son Apologie pour les chrétiens, du 2ème siècle après Jésus-Christ, expose la pensée traditionnelle de l’Église, condamnant les seconds mariages et le divorce de ses contemporains, invitant à respecter tout l’enseignement du Christ qui ne s’impose sans doute pas facilement, surtout dans les classes les plus élevées.

L’Église face aux « grands » du Moyen Âge

Il semble que c’est Louis le Pieux, fils de Charlemagne, qui fut le premier souverain franc à avoir une seule épouse, méritant notamment pour ce motif le surnom de « Pieux ».

Au cours des siècles suivants, l’Église luttera pour enseigner de façon primordiale l’importance et la grandeur de l’indissolubilité du mariage, en la défendant surtout contre les tendances « machistes ».

Nous savons tous que cette intransigeance a conduit à un schisme, celui de l’Angleterre d’Henri VIII, quand il aurait suffi, pour l’éviter, d’annuler le mariage du roi anglais, ou de lui concéder le divorce d’avec Catherine.

Mais les cas similaires sont très nombreux. L’historien Jacques Le Goff l’a rappelé dans l’Avvenire (21/1/2007) : « On dit souvent qu’en cas d’adultère il n’y a pas d’égalité entre homme et femme. Or, dans un certain nombre de cas très particuliers, et souvent célèbres, l’homme a été sévèrement condamné par l’Église. Nous pensons au roi de France Robert le Pieux ou à Philippe Auguste. Robert le Pieux, dans les premières années du 11ème siècle a dû se séparer de sa seconde épouse Berthe de Blois parce que le clergé le considérait bigame (sa première épouse vivait encore), et incestueux (tous les deux étaient parents au troisième degré). Le pape Innocent III, pour sa part, élu en 1198, lança l’interdit contre le royaume de Philippe Auguste qui avait répudié en 1193 son épouse Ingeburge de Danemark et s’était marié avec Agnès de Méran. Dans les états-cités du 12ème siècle en Italie et au 13ème siècle en France, il existait des articles sur le châtiment de l’adultère qui prévoyaient de dures peines tant pour les hommes que pour les femmes. Ainsi, les Coutumes de Toulouse en 1293 recommandaient et illustraient dans un dessin la castration d’un mari adultère… ».

Nous pouvons citer un autre cas intéressant, qui nous montre combien l’indissolubilité a été pour l’Église une vérité non négociable, aussi pour les plus puissants. C’est le cas de Teutbergue. L’historien américain Robert Louis Wilken, dans son œuvre The First Thousand Years (« Les mille premières années ») raconte à propos du pape Nicolas 1er : « Dans un célèbre affrontement, le pape a défié le roi Lothaire II de Lotharingie qui avait divorcé de son épouse Theutberge parce qu’elle ne lui avait pas donné d’héritier mâle. Quand les archevêques de Cologne et de Trèves sont arrivés à Rome avec les transcriptions de ce qui avait été dit lors d’un synode local qui avait reconnu la validité du divorce, Nicolas excommunia les deux évêques. Pour toute réponse, l’empereur Louis II (frère de Lothaire) marcha avec ses troupes sur Rome, accusant Nicolas de “vouloir s’ériger comme ‛empereur du monde’” ». Le pape resta ferme sur ses positions et finalement Lothaire dut accepter Theutberge comme épouse légitime ».

Rome et les « Lothaire » d’aujourd’hui

Or, en plus de souligner ce que des gestes comme ceux-ci, répétés de nombreuses fois tout au long de l’histoire, ont signifié pour la défense de la dignité de la femme, souvent exposée, dans le passé, à la prédominance masculine, on peut conclure ce bref résumé historique en l’actualisant.

Aujourd’hui aussi, un prélat allemand voudrait changer la doctrine, soutenu par les Lothaire d’aujourd’hui (le pouvoir médiatique, etc.). Mais Rome est Rome et ne peut changer la doctrine. Ce n’est pas par « méchanceté » envers les divorcés-remariés, mais par fidélité au Christ et pour le bien des générations futures, auxquelles il convient d’enseigner de nouveau la grandeur et la fidélité inhérentes à l’amour pour toujours.

Bien sûr, il est temps de guérir les blessures et de prendre soin de ceux qui souffrent (une tâche pastorale qui constitue certainement une perspective pour le futur) mais il est aussi temps de construire lentement, à partir des ruines de ce vieux monde, une nouvelle civilisation plus humaine parce que plus chrétienne.

En rappelant saint Paul quand il parle de l’amour (aussi l’amour conjugal, bien entendu) : « La charité est patiente, elle est bonne ; la charité n’est pas envieuse, la charité n’est pas inconsidérée, elle ne s’enfle pas d’orgueil ; elle ne fait rien d’inconvenant, elle ne cherche pas son intérêt, elle ne s’irrite pas, elle ne tient pas compte du mal ; elle ne prend pas plaisir à l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité ; elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout. La charité ne passera jamais » (1 Co 13, 4-8).

Francesco Agnoli est professeur d’histoire et de philosophie, écrivain et essayiste. La version originale en italien de cet article se trouve sur le site de La nuova Bussola quotidiana. Pour la traduction française, nous nous sommes basés sur le texte publié par le site Benoît et moi.