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painting of man

Le wokisme : idéologie ou religion ?

16 juin 2024

Le wokisme est un messianisme, mais un messianisme terrestre.

Pour essayer de comprendre ce que sont le wokisme et son insupportable prétention à tout régenter, l’écrivain Natacha Polony raconte cette histoire que vous connaissez peut-être.

Il a neigé toute la nuit. Natacha sort le matin, à 08.00 heures et décide de faire dans son jardin, devant la maison, un bonhomme de neige.

A 08.10 heures, une féministe radicale passe dans la rue et demande à Natacha pourquoi elle n’a pas fait une bonne femme de neige.

A 08.15 heures, Natacha fait donc également une bonne femme de neige.

A 08.20 heures, les musulmans qui habitent en face sont fâchés parce qu’ils trouvent la bonne femme de neige provocante. Ils exigent qu’elle soit voilée.

A 08.25 heures, les voisins, qui sont végétariens et peut-être même « vegan », rouspètent à cause de la carotte qui sert de nez au bonhomme et à la bonne femme. Les légumes sont de la nourriture et ne doivent pas servir à ça.

A 08.26 heures, le couple d’homosexuels du quartier s’énerve : ça aurait pu être deux bonshommes de neige.

A 08.28 heures, Natacha se fait traiter de raciste car le couple sculpté dans la neige est entièrement blanc.

A 08.31 heures, quelqu’un appelle la police qui vient voir ce qui se passe.

A 08.45 heures, l’équipe de télévision locale s’amène. Les journalistes demandent à Natacha si elle connaît la différence entre un bonhomme de neige et une bonne femme de neige. Elle répond oui, elle explique ce qui les distingue, et on la traite de sexiste.

A 08.52 heures, son téléphone portable est saisi et contrôlé et elle est embarquée au commissariat.

Cette aventure est racontée dans un livre intitulé Délivrez-nous du bien.

Le wokisme dit de lui-même qu’il n’existe pas. C’est une manière d’empêcher le débat. La parabole de Natacha et du bonhomme de neige permet cependant de mettre le doigt sur une réalité : il existe un conglomérat de luttes tendant à la juxtaposition de radicalités antagonistes. Convenons, dès lors, d’appeler « wokisme » ce conglomérat.

Le wokisme est un mot-valise qui désigne une réalité multiple et l’unifie en recherchant ce qui pourrait en constituer le commun dénominateur. Il s’agit d’un mouvement d’idées qui s’exprime dans la théorie du genre, la théorie critique de la race, l’antispécisme, l’intersectionnalité ou la convergence des luttes, ainsi que dans une nouvelle philosophie de la connaissance marquée notamment par la cancel culture, la culture de l’annulation.

Quelques mots pourraient être dits ici sur ces thèmes, surtout le premier, car la théorie du genre est vraiment le cœur du wokisme. La théorie du genre n’est pas tombée du ciel, comme ça, d’un seul coup. La terre natale de cette théorie c’est le féminisme, qui a évolué vers le féminisme radical.

Le féminisme a eu sans doute ses raisons d’être, chez nous, et c’est un combat qui reste certainement d’actualité dans le monde arabo-musulman ou en Afrique. En Occident, la situation de la femme a beaucoup évolué. La femme occidentale a le choix d’épanouir en elle d’autres qualités que celle de mère et d’épouse.

Ayant acquis la maîtrise de la fécondation et le droit d’interrompre toute grossesse non désirée, la femme, en Occident, ne craint plus les conséquences de la relation sexuelle. Dans les familles, l’autorité parentale a remplacé la puissance paternelle et avec la procréation médicalement assistée, la reproduction sans père est désormais un droit de la femme.

Présente sur le marché du travail, indépendante financièrement, elle divorce quand elle veut, elle avorte comme elle veut, elle se met en ménage avec qui elle veut, elle accède aux métiers les plus virils. Les hautes fonctions lui sont ouvertes. Elles sont Reines ou princesses héritières, présidente de la Commission européenne, ministre des affaires étrangères, ministre de l’Intérieur, ministre de la Défense nationale. Elles président la Cour de cassation, la cour d’appel et le tribunal de première instance. Outre ces fonctions régaliennes, elles sont diplomates, avocates, médecins, pilote de ligne … Bref, il n’y a plus de domaine réservé.

Le féminisme radical

D’où cette question naïve : pourquoi le féminisme persiste-t-il dans nos contrées ? Le patriarcat n’y-a-t-il pas été démantelé ? Jamais dans l’histoire de l’humanité, les femmes n’ont été aussi libres qu’aujourd’hui en Europe occidentale.

Si cette victoire du féminisme ne suffit pas, c’est parce qu’un autre mouvement s’est mis en place, avec un autre objectif, et cet autre mouvement, c’est le féminisme radical. Tout se passe, si vous voulez, comme si la victoire remportée par le féminisme n’avait été que l’antichambre de sa radicalisation.

Inspiré de la dialectique marxiste, le féminisme radical professe que la loi de l’histoire, ce n’est pas la lutte des classes mais la lutte des sexes. Une lutte sans merci. Le rapport fondamental que la classe des hommes entretient avec celle des femmes ne peut être qu’un rapport de domination, d’exploitation, d’aliénation. Le rapport entre les sexes est invinciblement conflictuel.

Comment échapper à cette dialectique meurtrière ? Il n’y a qu’un seul moyen : il faut supprimer la cause de ce conflit, à savoir la différence des sexes elle-même. Plus de sexe, plus de domination, plus de discrimination.

La théorie du gender

Eh bien, la théorie du genre va naître dans cette matrice utopique d’une société sans classe, sans sexe. Regardons à présent cette gender theory. Quel est son axiome fondamental ?

La théorie du genre ne nie pas l’objectivité physiologique de la différence des sexes. Le sexe existe mais il est vu comme un donné pré-humain, comme un reliquat animal, comme une matière informe, comme une sorte d’indéterminé ontique.

Ce pur donné biologique animal qu’est le sexe, la pensée woke va le contextualiser, elle va étudier son processus de maturation et de développement à partir des facteurs culturels et psychosociaux. On ne naît pas femme, on le devient, disait Simone de Beauvoir. Cette idée apparaît déjà dans la philosophie existentialiste. Ce n’est pas l’essence qui précède l’existence mais, à l’inverse, l’existence qui précède l’essence.

L’homme et la femme apparaissent donc exclusivement comme la conséquence de constructions sociales. Tout est construit. Par conséquent, tout peut être déconstruit et, le cas échéant, reconstruit autrement. Le lien avec le sexe étant rompu, pourquoi devrait-on se limiter à deux genres, mâle et femelle ?

Des genres, il y en a de multiples : homosexuel, lesbien, transsexuel opéré ou non opéré, hétérosexuel, bisexuel, indifférencié, etc. … Quand on parle des membres de la communauté LGBTQIA+, le signe + qui termine cet acronyme signifie que la liste n’est pas, et ne sera jamais, close.

Il s’agit donc de sortir du mode binaire. Non à l’hétérosexisme. Oui aux comportements sexuels alternatifs, qui ont une légitimité au moins équivalente à celle du modèle actuellement dominant.

Sans doute les sociétés humaines de tous les temps et de tous les lieux se sont-elles fondées sur la différence homme-femme. Mais il n’y a là rien de naturel. Tout cela n’est, en réalité, qu’une vaste entreprise de mystification oppressive dont les grands responsables sont les individus mâles. Pour assurer leur pouvoir, ceux-ci ont fabriqué des stéréotypes masculins et féminins.

Donc, résumons-nous : la gender theory repose sur l’axiome suivant : le sexe humain est, en lui-même, in–signifiant. Affirmer le contraire, ne fait qu’engendrer la violence. Le salut passe par la déconstruction. Si vous n’êtes pas d’accord, cela ne fait que confirmer le bien-fondé de la théorie : vos objections ne servent à rien d’autre qu’à pérenniser les privilèges dont vous profitez.

Le sexe humain est insignifiant ! Comme on est loin de la vision qui se dégage du premier livre de la Genèse et qui a baigné toute notre civilisation. Souvenez-vous : Dieu créa l’homme à son image. A son image, Il les créa. Homme et femme, Il les créa.

Ce n’est donc pas l’homme qui est l’image de Dieu. Ce n’est pas la femme qui est l’image de Dieu. Ce sont les deux, l’homme et la femme, unis dans la complémentarité de leur différence, qui sont le reflet de l’amour trinitaire. C’est l’union de l’homme et de la femme qui constitue, dans le don réciproque de leur altérité, l’image-même de Dieu un et trine. Quelle révélation bouleversante !

Pour cette civilisation chrétienne que nous voyons s’effriter jour après jour, le sexe humain est profondément signifiant car c’est dans le couple humain que Dieu a déposé son image. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Satan, fou de jalousie, s’emploie de toutes ses forces à briser le couple.

Une triple déconstruction

Quel est le but, le projet de la gender theory ? Le projet, diabolique, est triple : déconstruire la maternité, déconstruire la famille, déconstruire le langage.

Déconstruire la maternité : la gestation pour autrui est un premier pas. Il fait entrer le ventre de la femme dans le champ du droit commercial et du droit des contrats. A plus long terme, la fabrication d’utérus artificiels permettra de libérer les individus femelles des servitudes de la reproduction.

Déconstruire la famille : la famille bourgeoise classique, avec un homme assumant son rôle de père, et une femme assumant son rôle de mère, ne saurait s’imposer comme modèle unique. De nombreuses combinaisons sont possibles. Les nouveaux modèles, comme par exemple les familles homoparentales ou monoparentales, favorisent l’autodétermination de chacun selon son choix, dans la discontinuité entre le biologique et le culturel.

Des programmes scolaires sont donc mis en place pour rectifier les conditionnements idéologiques que nos enfants subissent dans leur famille bio-genrée. Cet encadrement est de plus en plus contraignant, avec des sanctions à la clef pour ceux qui y seraient rétifs. En Allemagne, il y a une douzaine d’années déjà, des parents ont été condamnés à une peine d’emprisonnement ferme de quarante-cinq jours parce qu’ils avaient refusé que leurs enfants participent à des cours d’éducation sexuelle inspirés de la gender theory. Au Canada, des parents en sont à devoir s’insurger contre un avant-projet de loi qui obligerait les gens à donner à leurs enfants des prénoms non genrés.

Chez nous, en Belgique, par un décret du 7 septembre 2023, la Communauté française a rendu obligatoire, dans les écoles de la « Fédération Wallonie-Bruxelles », le guide EVRAS, qui est un programme d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Rédigé en écriture inclusive, ce guide érige en droit humain fondamental l’autodétermination de l’enfant, indépendamment de son âge. EVRAS promet de nous débarrasser de toute hétéronormativité, et explique que la théorie du genre doit primer sur les caractéristiques sexuelles biologiques.

La conséquence de cette « éducation », c’est une explosion des cas de transgenres. Cela n’a rien d’étonnant puisqu’on apprend aux enfants à douter de leur sexe.

Après la déconstruction de la maternité et de la famille vient la déconstruction de la langue. Pour la pensée woke, la langue n’est pas neutre. Elle est toujours déjà orientée et orientante. Les langues, et le français en particulier, sont le résultat d’un positionnement hétérosexiste aliénant pour les femmes. Le monde baigne dans des conceptions phallocrates. Il faut donc inventer un nouveau langage et une nouvelle grammaire, en remplaçant tous les termes généro-spécifiques, comme « père », « mère », « mari » ou « femme », par des termes généro-neutres. Par exemple, ne dites plus « lait maternel » mais « lait parental ».

Ces idées ont pénétré les médias et infiltré les services publics. Il y a quelques mois, dans les palais de justice, nous avons reçu une circulaire ministérielle qui nous recommande de ne plus commencer le courrier en disant « Chère Madame » ou « Cher Monsieur », mais de le commencer en disant « Bonjour » ou « Hello ».

L’adresse traditionnelle Madame, Mademoiselle, Monsieur est devenue incorrecte parce qu’elle est vue comme un langage discriminant. Pourquoi les femmes sont-elles désignées par deux mots et les hommes par un seul ? C’est pour mieux discriminer la femme et l’asservir dans son rôle de mère et d’épouse.

Autre exemple : pour désigner le renouvellement des générations, ne parlez plus de procréation, terme qui renvoie à une participation de l’homme à l’œuvre de création de Dieu. Parlez plutôt de reproduction, terme renvoyant au monde animal dont l’homme ne se distingue pas.

Il s’agit donc de priver les gens de leurs repères symboliques, de destituer les codes linguistiques, de mettre de la confusion dans les mots, de promouvoir l’instabilité de la parole, d’établir le doute et le soupçon comme unique mode de rapport aux autres, de jeter le trouble dans ce qui structure les identités, de brouiller les traces familiales et sociales.

C’est très grave selon moi, car voler le langage, c’est voler la pensée. Orwell et Huxley en ont fait la démonstration prémonitoire dans leurs romans 1984 et Le meilleur des mondes.

Le racisme

Voilà pour la théorie du genre. Le deuxième thème n’est pas en reste. Il s’agit de la question du racisme. Pour beaucoup de nos contemporains, et en tout cas pour la pensée woke, la race n’existe pas en tant que réalité biologique. Elle n’existe que comme une pure construction sociale, un outil servant à pérenniser les discriminations.

Pour la biologie, une race, c’est une population caractérisée par la fréquence de certains traits héréditaires. Le fait biologique de la race suscite de la réticence, et on le comprend, depuis que le national-socialisme a prostitué cette notion. Le droit belge décide donc, à l’instar du wokisme, que les races n’existent pas. Et de fait, la loi n’interdit pas les discriminations fondées « sur la race » mais, littéralement, les discriminations fondées sur « une prétendue race ».

Si vous dites : Je ne fais pas de différence entre un blanc et un noir, on sait immédiatement que vous êtes un blanc. Le noir ne peut pas dire cela, car lui, il les sent bien, les différences : il est racisé.

Raciser quelqu’un, c’est le réduire à son appartenance à une prétendue race, c’est-à-dire à quelque chose qui n’existe pas vraiment, une construction purement intellectuelle, servant à opprimer, à discriminer.

Les inventeurs et les utilisateurs de ce néologisme, racisé, semblent ne l’appliquer que dans une relation de domination coloniale ou post-coloniale, où l’homme blanc occidental est le prédateur et l’homme noir africain la proie.

C’est pourquoi, l’antiracisme inhérent à la pensée woke est une forme de racisme car il croit que le racisme est l’apanage des blancs, il fait de la « blanchité » un péché originel et irrémissible. Il ne tient pas compte du fait que si le racisme sévit toujours sur la planète, c’est moins en Europe que partout ailleurs.

Une contradiction apparaît ici, dans la pensée woke. En ce qui concerne le genre, les wokistes nous reprochent de faire des différences là où il n’y en a pas. En ce qui concerne la race, les mêmes wokistes nous reprochent de ne pas voir la différence là où il y en a.

La contradiction, c’est que, quant au genre, tout est culture, tandis que quant à la race, tout est nature. On peut sortir de son genre, on ne peut pas sortir de sa race. Transgenre, c’est bien. Transrace, dans le sens qui va du blanc vers le noir, c’est prohibé parce que cela est vu comme de l’entrisme, comme une appropriation culturelle, comme la prise en compte, par un blanc, d’un statut et de valeurs que seul un noir est habilité à défendre.

Après la théorie du genre et la théorie critique de la race, on trouve encore, dans le wokisme, un mouvement qui s’appelle l’antispécisme.

Antispécisme, intersectionnalité, nouvelle philosophie de la connaissance

Le mot « spécisme » désigne l’affirmation d’une supériorité ontologique de l’homme sur le reste de la création. Être spéciste, c’est aussi mal qu’être sexiste ou raciste. Le mouvement woke est donc antispéciste. La libération des animaux doit prolonger celle des esclaves, des colonisés et des femmes. Et pour bien signifier qu’ils défendent l’égalité entre tous les êtres sensibles, les antispécistes prennent soin, quand ils parlent des bêtes, de dire « les autres animaux ». En écho à l’antispécisme, le parlement belge vient d’inscrire dans la Constitution le droit des animaux au bien-être en tant qu’êtres sensibles.

Comme dit plus haut, le wokisme, c’est également une théorie qui s’appelle la théorie de l’intersectionnalité. L’idée, c’est que les inégalités se renforcent en se croisant. Par exemple, la femme noire homosexuelle est triplement victime d’un monde dominé par la masculinité blanche hétéronormative. Il s’agit donc de faire converger les luttes.

Enfin, la pensée woke prétend livrer une nouvelle philosophie de la connaissance. Selon cette philosophie, toute science est située. Ainsi, la biologie est hétérosexiste. Les mathématiques sont racistes et virilistes. La science occidentale est colonialiste. Il faut revoir toutes nos connaissances en partant du point de vue des dominés. Par exemple, pour comprendre l’origine de l’univers, il est plus pertinent de se référer à la mythologie maorie, un peuple de Nouvelle-Zélande, qu’à la théorie du Big Bang avancée par le chanoine Lemaître.

On le voit : le wokisme heurte de plein fouet les valeurs héritées de la philosophie des lumières, à savoir la raison, la critique, l’argumentation scientifique, basée sur l’expérimentation, la diversité d’opinion, l’aptitude à se remettre en question, la recherche d’objectivité.

Messianisme, victimisme, déconstruction du passé

Est-ce une secte ? Est-ce une religion ? Si c’est une secte, c’est une secte qui a réussi ; elle est sortie des universités américaines pour se répandre d’abord dans le monde occidental puis partout ailleurs. Et nous sommes tous plus ou moins imbibés de cette vision du monde. Et si c’est une religion, je dirais, comme Chesterton, que c’est une idée chrétienne devenue folle. La différence avec le christianisme, c’est que, pour la militance woke, il n’y a pas de salut, pas d’avenir radieux. C’est une vision très pessimiste en fait. Le racisme est un cancer qui ne se terminera jamais parce qu’il est systémique, il est d’atmosphère. Et la planète ne se remettra jamais du saccage que les hommes blancs lui ont infligé.

Dans la religion chrétienne, le péché originel peut être effacé grâce au baptême. Dans le mouvement woke, le péché originel, c’est le privilège blanc, la blanchité, la masculinité toxique, et cette faute est irrémissible. Le Mal, c’est le mâle, blanc, hétérosexuel, et assez vieux.

Le wokisme est un messianisme, mais un messianisme terrestre. Il nous annonce, et veut réaliser de force si nécessaire, un paradis, celui d’une société bienveillante et égalitaire, vivant sur une terre immaculée. Vu sous cet angle, le wokisme aurait une de ses sources dans un judaïsme devenu athée : il s’agirait de sortir par soi-même de toutes les Egyptes possibles afin de gagner la terre promise. Pour y arriver, ce courant d’idées met en place une police de la pensée, une inquisition qui cherche à purger notre passé historique et culturel de ses impuretés, à démasquer les coupables, à déconstruire les stéréotypes, à démonter les alibis. Ce paradis, qui est le lieu de l’adoration de tous les égoïsmes, risque bien de n’être qu’un enfer.

Le wokisme, c’est aussi de la victimologie. Tous les autres sont coupables, sauf moi. L’ordre moral d’aujourd’hui n’appartient plus aux bien-pensants mais aux bien-souffrants. Je souffre donc je suis. L’infortune est l’équivalent d’une élection. La plus petite contrariété est grossie à la taille d’un bastion où l’on se retranche pour faire la leçon aux autres tout en échappant soi-même aux critiques. Se dire persécuté devient une manière subtile de persécuter autrui.

On tourne ainsi le dos, me semble-t-il, à une des plus hautes figures juridiques inventées par l’Occident et qui est à la source de son incroyable prospérité : l’idée de liberté jumelée à celle de responsabilité. Rappelez-vous Emmanuel Kant : il n’est point d’homme libre qui ne soit responsable. Il n’est point de liberté dont il ne faille sanctionner l’usage abusif.

Le droit de la responsabilité est au fondement de notre civilisation. Avec le wokisme, on assiste à un changement de paradigme : on arrête de se demander ce qu’on peut faire pour les autres ; et on ne s’intéresse plus qu’à ce que les autres doivent faire pour nous.

Le wokisme, c’est encore un mouvement de déconstruction du passé. On déboulonne les statues. Godefroid de Bouillon est toujours là, place royale, mais il ne perd rien pour attendre. Quant à Léopold II, son procès est fait. Le plus grand roi des belges est présenté comme un monarque sanguinaire, qui est à l’origine des mains coupées au Congo, alors que le Roi est, au contraire, celui qui, en 1904, a missionné une commission d’enquête indépendante pour débusquer ces faits, hérités de la charia, et pour faire toute la lumière sur les conditions de travail dans les forêts caoutchoutières.

Figurez-vous qu’on va jusqu’à imaginer qu’à la préhistoire, c’est la femme qui chassait et l’homme qui gardait les enfants, tout cela parce qu’on a trouvé, dans une tombe d’homo sapiens, un bout d’arc à flèche à côté d’un os issu d’un corps féminin. Ces maigres indices ont suffi pour élaborer toute une sociologie féministe de la société paléolithique. Idéologie quand tu nous tiens, on peut bien dire adieu la science !

Le wokisme, c’est enfin une psychose, si on entend par là un déni du réel. C’est le cas dans le registre du genre, lorsqu’on répand l’idée que, pour être garçon ou fille, il suffit de se sentir garçon ou fille. La réalité biologique oppose au ressenti un démenti formel. Jamais aucune opération ne pourra réaliser le changement de sexe, puisque celui-ci n’est pas assigné à la naissance mais déterminé lors de la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde. La chirurgie est impuissante à modifier la paire de chromosomes — XX ou XY — déterminant le sexe. N’importe quelle cellule du corps humain, qu’elle soit prélevée dans le cerveau ou dans le pancréas, est sexuée, c’est-à-dire qu’elle présente une morphologie qui permet de l’identifier comme provenant irrémédiablement d’un corps féminin ou d’un corps masculin. En poussant au divorce entre le mental et la réalité physiologique, on conduit les gens à la schizophrénie qui est une souffrance liée à la perte de contact avec le réel.

Conclusion

Les chevaliers du bien nous préparent, en toute inconscience, un monde amnésique et cruel.

Ludwig Feuerbach, un des maîtres à penser de Karl Marx, disait : Nous transformerons si bien les hommes qu’ils finiront par ne plus se reconnaître eux-mêmes. Eh bien, nous y sommes. Nous ne savons plus la différence entre un homme et une femme. Nous ne savons plus la différence entre un homme et une chose. Nous ne savons plus la différence entre un homme et un animal. Nous ne savons plus la différence entre un homme et une machine.

Tout a été déconstruit. Qu’avons-nous à faire sinon à tout reconstruire ? Le combat doit être livré en priorité au niveau de l’éducation de nos enfants, car c’est là, dans les écoles, qu’on les avilit. Nous ne sommes pas assez forts pour empêcher ce qui se passe dans les milieux scolaires. Mais nous pouvons, je crois, à condition de bien nous former nous-mêmes, prévenir nos enfants de la fausseté de certains des enseignements qu’ils recevront, et les armer d’un sens critique suffisant pour ne pas rouler eux-mêmes dans la fange.

Jean de Codt est premier président honoraire de la Cour de cassation.