Jésus, interrogé par des pharisiens qui voulaient le mettre à l’épreuve, a confirmé sans équivoque le sens originel du mariage.
Il a rappelé notamment que l’union matrimoniale de l’homme et de la femme est indissoluble. La permission de répudier sa femme, donnée par Moïse, était une concession à la dureté de cœur. Et il conclut : « Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni » ( Mt 19, 6).
Cette doctrine peut paraître très dure. Cette perception est justifiée, si on la considère seulement sous l’angle de l’exigence et que l’on méconnaît sa dimension de don : sur la Croix, Jésus a sauvé tous les hommes, mais aussi tout l’homme. Il nous a donné la capacité d’aimer comme Il aime, d’un amour indéfectible, qui est donation irrévocable. Cet amour a été révélé sur la Croix, où fut scellée l’alliance nouvelle et éternelle entre l’Epoux, le Christ, et l’Epouse, l’Eglise. L’Eucharistie actualise ce sacrifice et cette alliance. Le sacrement du mariage en est le signe efficace : non seulement il la montre mais il la réalise entre les époux, qui sont « greffés » sur l’alliance conjugale du Christ et de l’Eglise.
Que faire lorsqu’il y a échec du mariage et re-mariage civil ? Dans un article publié le 2 mars dernier dans La Libre Belgique , on nous propose la démarche suivante : « Il ne nous revient pas de juger s’il y a eu faute à la base. Mais si c’est le cas, d’une part, à tout péché miséricorde ! Et, d’autre part, il y a un moment où il n’est plus possible de faire marche arrière. Il n’y a dès lors plus pleine liberté, et donc plus péché grave » .
Tâchons de comprendre ce raisonnement. D’abord, la miséricorde ne commence plus par l’identification du péché mais par sa négation : ce n’est plus le pécheur qui est appelé à se convertir, mais l’Eglise qui doit ignorer la parole du Christ. Ensuite, « à tout péché miséricorde » : on semble oublier que la miséricorde de Dieu va à tout péché reconnu et regretté . Enfin, si on est dans une impasse, d’une certaine manière on est sauvé, puisqu’on n’est plus libre et donc plus pécheur : peut-être pourrait-on s’interroger sur la cause de cette impasse et tenter d’y remédier.
Avec la meilleure volonté du monde, ce raisonnement peu rigoureux achève de blesser profondément la personne divorcée-remariée. Elle est présentée comme un être irresponsable, dispensé de reconnaître une faute éventuelle et de l’assumer. Elle se reconnaît dans le cri de ce jeune, en consultation chez un psychologue : « Je suis fatigué qu’on me dise que ce que j’ai fait n’étaient que des erreurs ! Non, j’ai péché ! » (dans Pastoralia 3/2008, p. 74).
Car dire « j’ai péché » permet à l’âme de recouvrer la liberté : « Notre “mea culpa” signifie que nous reconnaissons notre responsabilité, que nous proclamons qu’il aurait pu en être autrement et que nous décidons qu’il en sera dorénavant autrement. Il est l’expression de notre liberté » ( Joseph-Marie Verlinde).
Reconnaître la faute ouvre le cœur au Cœur du Christ et à sa miséricorde. Cette conversion peut restaurer une situation qui ne contredit plus objectivement l’alliance du Christ et de l’Eglise : on peut alors recevoir le pardon et retourner à la table eucharistique. Et si elle ne le permet pas dans l’immédiat, le chemin de conversion ouvre à l’expérience de la tendresse du Christ et de la sollicitude de l’Eglise, une expérience qui n’est pas liée exclusivement à la réception des sacrements.
Dans l’article du 2 mars, on lit aussi que l’Eglise « reconnaît (…) qu’il est parfois indiqué de se remarier, fût-ce pour l’éducation des enfants » : cette affirmation est en contradiction avec la doctrine catholique sur le mariage. L’Eglise ne pourra jamais encourager une nouvelle union lorsqu’il y a un mariage valide. Ce qu’elle dit est très différent : confrontée à une situation de fait, par exemple celle d’un divorcé, remarié, père d’enfants issus de cette nouvelle union, l’Eglise comprend qu’il est difficile —voire impossible— de faire marche arrière sans commettre une injustice. Mais cette difficulté de faire « marche arrière » sur le plan des conditions de vie n’empêche nullement d’entamer une « marche arrière » au fond du cœur, par une démarche de conversion.
« Je demande à l’Eglise moins de discipline et plus de miséricorde à l’égard des divorcés-remariés. A être trop rigide, on en arriverait au paradoxe suivant : il vaudrait mieux être un meurtrier repenti qu’un divorcé remarié ! » . Voilà une comparaison saisissante. Malheureusement, elle est biaisée : elle mêle indûment deux ordres de réalités, qui se situent sur des plans différents. Du point de vue des conséquences du péché, il vaut évidemment mieux être un divorcé remarié qu’un meurtrier repenti, car, dans le cas du meurtre, le mal causé est irréparable. Mais du point de vue moral, qui est celui de l’attitude face au péché, il vaut mille fois mieux être le bon larron qu’un pécheur qui prétend se justifier lui-même.
Le paradoxe du meurtrier et du divorcé n’en est pas un. C’est un paralogisme : un raisonnement faux fait de bonne foi.
Stéphane Seminckx est prêtre, Docteur en Médecine et en Théologie. Cet article a été publié dans La Libre Belgique du 6 avril 2010, sous le titre « Divorcés-remariés face à l’Eglise ».