Au cours de la veillée de clôture de l’Année sacerdotale, le jeudi 10 juin, place Saint-Pierre, le pape Benoît XVI a répondu aux questions des prêtres présents.
Nous reproduisons ici la troisième question, avec la réponse du pape.
Très Saint-Père, je suis le père Karol Miklosko et je viens de l’Europe, de Slovaquie précisément, et je suis missionnaire en Russie. Quand je célèbre la messe, je me trouve moi-même et je comprends que je rencontre là mon identité, la racine et l’énergie de mon ministère. Le sacrifice de la Croix me révèle le bon Pasteur, qui donne tout pour son troupeau, pour chacune de ses brebis. Et quand je dis : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », donné et versé en sacrifice pour vous, alors je comprends la beauté du célibat et de l’obéissance, que j’ai librement promis au moment de l’ordination. Malgré les difficultés naturelles, le célibat me semble évident si l’on regarde le Christ, mais je suis bouleversé lorsque je lis tant de critiques du monde sur ce don. Je vous demande humblement, Très Saint-Père, de nous éclairer sur la profondeur et sur le sens authentique du célibat ecclésiastique.
— Merci pour les deux parties de votre question. La première, où vous montrez le fondement permanent et vivant de notre célibat ; la seconde qui montre toutes les difficultés dans lesquelles nous nous trouvons à notre époque. La première partie est importante parce que le centre de notre vie doit être réellement la célébration quotidienne de la sainte Eucharistie. Les paroles de la consécration sont ici centrales : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Nous parlons donc in persona Christi . Le Christ nous permet d’utiliser son « moi », nous parlons avec le « moi » du Christ, le Christ nous « attire en lui » et nous permet de nous unir, il nous unit avec son « moi ». Et ainsi à travers cette action, le fait qu’Il nous « attire » à lui de telle façon que notre « moi » s’unisse au sien, réalise la permanence, l’unicité de son sacerdoce. Ainsi il est réellement l’unique Prêtre, et toutefois il est très présent dans le monde, parce qu’il nous « attire » en lui et rend ainsi présente sa mission sacerdotale. Cela veut dire que nous sommes « attirés » dans le Dieu du Christ. C’est cette union avec son « moi » qui se réalise dans les paroles de la consécration.
Même dans le « je t’absous » —parce que personne d’entre nous ne pourrait absoudre des péchés—, c’est le « moi » du Christ, de Dieu, qui seul peut absoudre. Cette unification de son « moi » avec le nôtre implique que nous sommes « attirés » aussi dans sa réalité de Ressuscité. Nous allons de l’avant vers la vie pleine de la résurrection, dont Jésus parle aux Sadducéens, dans le chapitre 22 de Matthieu. C’est une vie « nouvelle » dans laquelle nous sommes déjà au-delà du mariage (cf. Mt 22, 23-32). L’important est que nous nous laissions toujours à nouveau pénétrer par cette identification du « moi » du Christ avec nous, par cette manière d’être « attirés vers l’extérieur » vers le monde de la résurrection.
En ce sens, le célibat est une anticipation. Nous transcendons ce temps et nous allons de l’avant, en « attirant » ainsi nous-mêmes et notre temps vers le monde de la résurrection, vers la nouveauté du Christ, vers la vie nouvelle et vraie. Le célibat est donc une anticipation rendue possible par la grâce du Seigneur qui nous « attire » à lui, vers le monde de la résurrection ; il nous invite toujours à nouveau à nous transcender nous-mêmes, à transcender ce présent, vers le vrai présent de l’avenir qui devient présent aujourd’hui.
Et nous sommes ici à un point très important. Un grand problème de la chrétienté, du monde d’aujourd’hui, est que l’on ne pense plus à l’avenir de Dieu : seul le présent de ce monde semble suffisant. Nous voulons avoir seulement ce monde, vivre seul dans ce monde. Et nous fermons ainsi les portes à la vraie grandeur de notre existence. Le sens du célibat comme anticipation de l’avenir est précisément d’ouvrir ces portes, de rendre le monde plus grand, de montrer la réalité de l’avenir qui doit être vécu par nous comme déjà présent. Vivre donc ainsi dans un témoignage de la foi : nous croyons réellement que Dieu existe, que Dieu a quelque chose à voir avec ma vie, que je peux fonder ma vie sur le Christ, sur la vie future.
Et nous connaissons à présent les critiques du monde dont vous avez parlé. Il est vrai que pour le monde agnostique, le monde où Dieu n’a rien à voir, le célibat est un grand scandale, parce qu’il montre précisément que Dieu est considéré et vécu comme une réalité. Avec la vie eschatologique du célibat, le monde futur de Dieu entre dans la réalité de notre temps. Et cela devrait disparaître !
En un certain sens, la critique permanente contre le célibat à une époque où il devient toujours plus à la mode de ne pas se marier pourrait surprendre. Mais ce refus du mariage est une chose totalement, fondamentalement différente du célibat, parce que le refus du mariage est basé sur la volonté de vivre uniquement pour soi-même, de ne pas accepter de lien définitif, de posséder la vie à chaque instant en pleine autonomie, de décider à chaque instant ce que l’on veut faire et prendre de la vie ; et donc un « non » au lien, un « non » au caractère définitif, une manière de posséder la vie seulement pour soi-même. Tandis que le célibat est précisément le contraire : c’est un « oui » définitif, c’est laisser Dieu nous prendre par la main, s’offrir entre les mains du Seigneur, dans son « moi » et donc c’est un acte de fidélité et de confiance, un acte qui suppose aussi la fidélité du mariage ; c’est précisément le contraire de ce « non », de cette autonomie qui ne veut pas se donner d’obligations, ne veut pas entrer dans un lien ; c’est précisément le « oui » définitif qui suppose, confirme le « oui » définitif du mariage. Et ce mariage est la forme biblique, la forme naturelle de l’être homme et femme, fondement de la grande culture chrétienne, des grandes cultures du monde. Et si cela disparaît, la racine de notre culture est détruite.
C’est pourquoi le célibat confirme le « oui » du mariage avec son « oui » au monde futur, et nous voulons ainsi aller de l’avant et rendre présent ce scandale d’une foi qui fait reposer toute l’existence sur Dieu. Nous savons qu’à côté de ce grand scandale que le monde ne veut pas voir, il y a aussi des scandales secondaires de nos insuffisances, de nos péchés, qui cachent le vrai et grand scandale, et laissent penser : « Mais ils ne vivent pas réellement sur le fondement de Dieu ! ». Mais il y a une si grande fidélité ! Le célibat, et ce sont précisément les critiques qui le montrent, est un grand signe de la foi, de la présence de Dieu dans le monde. Prions le Seigneur pour qu’il nous aide à nous libérer des scandales secondaires, pour qu’il rende présent le grand scandale de notre foi : la confiance, la force de notre vie qui se fonde en Dieu et en Jésus Christ !