Les propos récents de Benoît XVI sur le préservatif ont suscité de nombreux commentaires. A ce propos, nous publions un article remontant à l’année 2004. Il est signé par un prêtre catholique, professeur de philosophie morale de renommée internationale. Il répond à certaines prises de position erronées concernant la doctrine de l’Eglise sur ce point.
La plupart des gens sont convaincus qu’une personne infectée par le virus du SIDA qui a des relations sexuelles devrait utiliser un préservatif pour prévenir une infection de son partenaire. Quoi qu’on puisse penser de la promiscuité, des actes homosexuels ou de la prostitution, cette personne agit à tout le moins avec sens des responsabilités en essayant d’éviter de transmettre son infection aux autres.
Nombreux sont ceux qui pensent que l’Église catholique n’est pas d’accord avec une telle vision des choses. Comme l’a récemment suggéré une émission Panorama de la BBC, d’aucuns pensent que l’Église enseigne que les homosexuels et les prostituées actifs ne devraient pas utiliser de préservatifs parce que le préservatif est « intrinsèquement mauvais » (The Tablet, 26 juin). Beaucoup de catholiques partagent également cet avis. L’un d’eux est Hugh Henry, responsable éducatif au Linacre Centre à Londres, qui expliquait à Austen Ivereigh dans le Tablet de la semaine dernière que l’utilisation du préservatif, même dans le seul but de prévenir l’infection d’un partenaire sexuel, ne respectait pas la structure fertile propre à l’acte conjugal, rendait impossible le don de soi entier et mutuel, et violait de ce fait le sixième commandement.
La contraception se définit à partir d’un acte humain
Or ce n’est pas là l’enseignement de l’Église catholique. Il n’y a pas même d’enseignement officiel du magistère sur le préservatif, la pilule contraceptive ou le diaphragme. Le préservatif ne peut être intrinsèquement mauvais, seuls des actes humains peuvent l’être. Le préservatif n’est pas un acte humain, mais une chose. Ce que l’Église catholique a clairement décrit comme étant « intrinsèquement mauvais » est un type spécifique d’acte humain, défini par Paul VI dans son encyclique Humanae Vitae, et repris plus tard au n° 2370 du Catéchisme de l’Église Catholique, comme « toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation » [1].
La contraception, comme acte humain spécifique, comprend deux éléments : la volonté d’entretenir des relations sexuelles et l’intention de rendre la procréation impossible. Un acte contraceptif exprime donc un choix contraceptif. Comme je l’ai écrit dans un article dans le Linacre Quarterlyen 1989, « un choix contraceptif est le choix d’un acte qui empêche des relations sexuelles librement consenties, ayant des conséquences procréatrices prévisibles, d’avoir ces conséquences, ce choix n’étant fait que pour cette raison ».
C’est pourquoi la contraception, considérée comme un acte humain qualifié d’« intrinsèquement mauvais » ou désordonné, n’est pas déterminée par ce qui se passe sur le plan physique. Quand on veut empêcher une relation sexuelle d’être fertile, il n’y a aucune différence entre le fait de prendre la pilule ou d’interrompre l’acte par onanisme. La définition précitée ne fait pas non plus de différence entre « faire » et « s’abstenir », parce que le coitus interruptus est une façon — au moins partielle — de s’abstenir.
La définition de l’acte contraceptif ne s’applique donc pas à l’utilisation de préservatifs pour prévenir les conséquences procréatrices possibles d’un viol prévisible. Dans un tel cas, la personne violée ne choisit pas d’avoir des relations sexuelles ou de prévenir les conséquences possibles de son propre comportement sexuel, mais se défend simplement d’une agression envers son corps et de ses conséquences indésirables. Une athlète féminine participant aux Jeux Olympiques qui prend une pilule contraceptive pour empêcher la menstruation ne pratique pas non plus la « contraception », parce qu’il n’y a pas d’intention simultanée d’avoir des relations sexuelles.
L’enseignement de l’Église ne traite pas du préservatif ou d’instruments physiques ou chimiques semblables, mais de l’amour conjugal et de la signification essentiellement conjugale de la sexualité humaine. Il affirme que, si des personnes mariées ont des raisons sérieuses de ne pas avoir d’enfants, elles devraient modifier leur comportement sexuel en s’abstenant — au moins périodiquement — d’actes sexuels. Pour éviter de détruire à la fois la signification unitive et procréatrice des actes sexuels, et donc la plénitude du don de soi mutuel, elles ne doivent pas empêcher l’acte sexuel d’être fertile tout en continuant à entretenir des relations sexuelles.
Que dire aux personnes qui ont un comportement sexuel à risque ?
Qu’en est-il donc des personnes vivant dans la promiscuité, des homosexuels sexuellement actifs et des prostituées ? Ce que l’Église catholique leur enseigne est simplement qu’elles ne devraient pas vivre dans la promiscuité, mais qu’elles devraient être fidèles à un seul partenaire sexuel ; que la prostitution est un comportement qui viole gravement la dignité humaine, principalement la dignité de la femme, et ne devrait donc pas être pratiquée ; et que les homosexuels, comme toutes les autres personnes, sont des enfants de Dieu et sont aimés par lui comme n’importe qui d’autre, mais qu’ils devraient, comme toutes les autres personnes qui ne sont pas mariées, vivre dans la continence.
Mais si elles ignorent cet enseignement, et risquent de contracter le SIDA, doivent-elles utiliser le préservatif pour prévenir une infection ? La norme morale condamnant la contraception comme étant intrinsèquement mauvaise ne s’applique pas dans ces cas. Il ne peut pas non plus y avoir d’enseignement de l’Église à ce propos ; cela n’aurait simplement pas de sens d’établir des normes morales pour des comportements qui sont intrinsèquement immoraux. L’Église devrait-elle enseigner qu’un violeur ne devrait jamais utiliser de préservatif parce qu’il ajouterait au péché de viol le non respect du « don de soi personnel et mutuel plénier et violerait ainsi le sixième commandement » ? Bien sûr que non.
En tant que prêtre catholique, que dirai-je aux personnes infectées par le virus du SIDA vivant dans la promiscuité ou aux homosexuels, qui utilisent le préservatif ? Je tenterai de les aider à vivre une vie sexuelle droite et ordonnée. Mais je ne leur dirai pas de ne pas utiliser de préservatifs. Je ne leur en parlerai tout simplement pas et je supposerai que s’ils choisissent d’être sexuellement actifs, ils garderont au moins leur sens des responsabilités. En ayant une telle attitude, je respecterai pleinement l’enseignement de l’Église catholique sur la contraception.
Il n’y a pas là un appel à faire des « exceptions » à la norme interdisant la contraception. La norme relative à la contraception s’applique sans exceptions. Le choix contraceptif est intrinsèquement mauvais. Mais cette norme ne s’applique évidemment qu’aux actes contraceptifs, tels que définis par Humanae Vitae, qui impliquent un choix contraceptif. Pas tous les actes impliquant l’usage d’un instrument qui, d’un point de vue purement physique, est « contraceptif », sont forcément, d’un point de vue moral, un acte contraceptif répondant à la norme enseignée par Humanae Vitae.
De même, un homme marié qui est infecté par le virus du SIDA et utilise le préservatif pour protéger sa femme contre l’infection n’agit pas dans le but de rendre la procréation impossible, mais dans celui de prévenir l’infection. Si la conception est empêchée, ce sera là un effet secondaire « non désiré » et ne configurera pas pour autant la signification morale de l’acte en acte contraceptif. Il peut y avoir d’autres raisons de déconseiller l’usage du préservatif dans un tel cas, ou de conseiller une abstinence totale, mais cela ne résultera pas de l’enseignement de l’Église sur la contraception mais de raisons pastorales ou de simples raisons de prudence : le risque, par exemple, que le préservatif n’agisse pas de façon efficace. Bien entendu, ce dernier argument ne s’applique pas aux personnes vivant dans la promiscuité, parce que même si les préservatifs ne sont pas toujours efficaces, leur utilisation réduira les conséquences négatives d’un comportement moral néfaste.
Promouvoir l’abstinence et la fidélité
L’arrêt de l’épidémie mondiale du SIDA n’est pas un problème de moralité de l’utilisation du préservatif, mais un problème de prévention efficace des conséquences désastreuses du comportement sexuel immoral des gens. Le Pape Jean-Paul II a clamé de façon répétée que la promotion de l’usage du préservatif n’était pas une solution à ce problème parce que ce faisant, on ne résolvait pas le problème moral de la promiscuité. La question de savoir si, de façon générale, les campagnes de promotion du préservatif encouragent les comportements à risque et étendent la pandémie de SIDA est une question de données statistiques qu’il n’est pas encore facile d’établir. Qu’elles réduisent à court terme les taux de transmission parmi les groupes à taux d’infection élevé, tels que les prostituées et les homosexuels, est indéniable. Qu’elles tendent à réduire les taux d’infection dans les populations vivant dans la promiscuité et « sexuellement libérées », ou, au contraire, à encourager les comportements à risque, dépend de nombreux facteurs.
Dans les pays africains, les campagnes contre le SIDA basées sur la promotion du préservatif sont généralement inefficaces, en partie parce que pour un homme africain, la virilité s’exprime par le fait d’avoir le plus grand nombre possible d’enfants. Pour lui, le préservatif convertit le sexe en une activité qui n’a pas de sens. C’est la raison pour laquelle — et c’est là un argument de poids en faveur du discours du Pape — le programme mis en place en Ouganda est l’un des rares qui ont été efficaces. Même s’il n’exclut pas l’usage du préservatif, il encourage un changement positif du comportement sexuel (fidélité et abstinence), contrairement aux campagnes basées sur le préservatif, qui contribuent à occulter et même à détruire la signification de l’amour humain.
Les campagnes de promotion de l’abstinence et de la fidélité sont certainement et de façon décisive le seul remède efficace à long terme pour combattre le SIDA. Il n’y a donc pas de raison que l’Église considère les campagnes de promotion du préservatif comme utiles pour l’avenir de la société humaine. Mais l’Église ne peut pas non plus enseigner que les personnes pratiquant un style vie immoral devraient en éviter l’usage.
Martin Rhonheimer est prêtre, Docteur en Philosophie, Professeur d’Ethique et de Philosophie Politique. Cet article a été publié dans The Tablet, le 10-7-04, sous le titre « The truth about condoms » (cf. http://www.thetablet.co.uk/article/2284). La traduction en français a été assurée par Bruno Debois. Les intertitres sont de notre rédaction.
[1] Sur la définition de la contraception, cf. aussi Humanae Vitae, quarante ans plus tard (note de la rédaction).