En anglais, la « traversée du Tibre » signifie la conversion d’un anglican au catholicisme. Le 20 octobre dernier, le Saint-Siège a annoncé la création d’ordinariats personnels. Ils sont des structures juridiques destinées à accueillir les anglicans qui le désirent dans la pleine communion avec l’Eglise catholique.
Le Vatican a ouvert la voie aux anglicans désireux d’être en communion avec le Pape. Il a annoncé cette semaine que Benoît XVI avait l’intention de permettre à des communautés anglicanes d’entrer dans la pleine communion avec l’Église catholique tout en conservant des éléments de leur patrimoine spirituel et liturgique particulier. Si cette nouvelle a pris de nombreuses personnes par surprise, elle n’en reste pas moins une bonne nouvelle.
Les espoirs de réunification entre anglicans et catholiques ne datent pas d’hier. Grâce au Mouvement d’Oxford, au XIXème siècle, l’estime pour l’Église catholique s’est accrue parmi les anglicans et certains ont « traversé le Tibre ». L’exemple le plus connu est celui du cardinal John Henry Newman, qui sera prochainement béatifié par le pape.
Mais des obstacles se sont sans cesse dressés sur le chemin de l’unité. Génération après génération, les anglicans désireux d’entrer dans la pleine communion avec l’Église de Rome ont été contraints de suivre cet itinéraire de façon individuelle. Ce faisant, ils ont toutefois aidé à clarifier ce qui était en jeu.
En 1896, ces efforts furent entravés par la décision du pape Léon XIII de déclarer la nullité des ordinations anglicanes. En d’autres termes, aux yeux de l’Église catholique, les prêtres et évêques anglicans ne disposaient pas des pouvoirs sacerdotaux et épiscopaux parce qu’ils avaient perdu leurs liens avec les apôtres du Christ. Cela provoqua une grande déception chez de nombreux anglicans. Je pense que c’est le célèbre écrivain et traducteur Ronald Knox qui disait, après être devenu prêtre catholique, qu’il avait pour le moins fait beaucoup de communions spirituelles en célébrant l’eucharistie anglicane.
Mais la décision de Léon XIII eut le mérite de souligner l’importance essentielle de la succession apostolique. C’est uniquement parce qu’ils descendent directement des Douze Apôtres, qui reçurent les pouvoirs divins du Christ lui-même, que les prêtres catholiques peuvent consacrer le Corps et le Sang véritables du Christ pendant la Messe et pardonner les péchés dans la confession.
Ensuite vint le problème de la contraception dans les années 1920. Après la décision de la Communion anglicane de changer son enseignement sur la question à la conférence de Lambeth en 1930, le pape Pie XI condamna fermement cette forme de contrôle des naissances, en indiquant que l’Église catholique n’avait pas la faculté de changer cette doctrine. Celle-ci fut réaffirmée par Paul VI en 1968, contre l’opinion d’un nombre assez important de personnes qui considéraient que l’Église n’avait d’autre choix que de se plier aux conceptions modernes.
Une chose similaire se produisit lors du refus de l’Église catholique d’ordonner des femmes. À l’heure actuelle, la Communion anglicane compte un certain nombre de femmes ayant reçu l’ordination sacerdotale ou épiscopale. Le pape Jean-Paul II signala que ni lui, ni l’Église n’avaient le pouvoir de changer les enseignements du Christ en cette matière. L’Église n’est pas le fief du pape, ni non plus une démocratie.
Tous ces événements incitèrent certains anglicans à réfléchir de façon plus approfondie sur la nature de l’unité chrétienne, et tout particulièrement sur l’autorité du pape pour préserver les enseignements authentiques de Jésus-Christ à travers les siècles. Ils finirent par se convaincre que ceux-ci ne pouvaient être trouvés pleinement qu’en communion avec l’évêque de Rome.
Ainsi, après des décennies de discussion, d’étude et de prière, Benoît XVI apporte une solution. Il va publier une Constitution apostolique dans le but de créer une structure appelée « ordinariat personnel » dans le droit canon catholique. Cela permettra aux anciens anglicans d’entrer en pleine communion avec l’Église catholique. Si cette disposition est une bonne nouvelle, elle ne sera sans doute pas facile à mettre en pratique.
L’anglicanisme vit le jour en Angleterre (où l’Église anglicane reste l’église officielle), mais est aujourd’hui répandu dans tout le monde anglophone, notamment en Amérique du Nord, en Australasie, et en Afrique anglophone. Les « ordinariats personnels » sont destinés aux anglicans qui souhaitent réellement entrer dans la pleine communion avec Rome, tout en conservant des « éléments du patrimoine spirituel et liturgique anglican ». Dans certains pays, dont l’Angleterre, on a longtemps hésité à établir des communautés catholiques nationales, notamment pour les Polonais et les Ukrainiens. Les évêques préféraient de loin que tout le monde assiste le dimanche à la même liturgie dans les mêmes paroisses. Cette question a été abordée différemment aux États-Unis, ce qui signifie que l’établissement dans ce pays de communautés épiscopaliennes (comme on les appelle outre-Atlantique) semblerait poser moins de difficultés.
Reste la question des relations avec les anglicans qui ne souhaitent pas entrer dans la pleine communion avec l’Église catholique : en quoi la Constitution apostolique va-t-elle les affecter ?
Sur une note positive, l’expérience récente de l’entrée dans l’Église catholique de nombreux clergymen anglicans (dont beaucoup mariés), qui ont reçu l’ordination comme prêtres catholiques, s’est avérée très favorable. Leur ferveur et leur dévouement rendent un grand service à l’Église. Mais cela soulève la question du rôle permanent du clergé marié dans l’Église catholique. Jusqu’ici, les arrangements ont été considérés comme exceptionnels et de nature transitoire. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal William Levada, a déjà précisé que, si les prêtres anglicans mariés peuvent être ordonnés prêtres catholiques, il ne peut être question d’évêques mariés.
La résolution de ces complications n’a pas été de tout repos pour le Vatican. « Nous nous sommes efforcés de répondre de façon équitable et uniforme aux requêtes de pleine communion qui nous sont parvenues d’anglicans de différentes parties du monde au cours de ces dernières années, commente le cardinal Levada. En faisant cette proposition, l’Église souhaite satisfaire les aspirations légitimes de ces groupes anglicans pour atteindre la pleine communion visible avec l’évêque de Rome, le successeur de saint Pierre. »
La Constitution apostolique relative à l’Église anglicane doit peut-être aussi être considérée dans le contexte des discussions qui doivent s’engager la semaine prochaine sur le retour des membres de la Société de saint Pie X – fondée par l’archevêque français dissident Marcel Lefebvre – dans la pleine communion avec l’Église. Nombreux sont ceux qui espèrent que les signes de bienvenue adressés aux anglicans s’étendront aussi aux membres de cette société.
Le chemin vers l’unité des chrétiens est à la fois enthousiasmant et semé d’embûches. Comme l’enseigne le Concile Vatican II, la clé de l’œcuménisme réside dans la conversion : « Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l’unité des chrétiens, doivent être regardées comme l’âme de tout l’œcuménisme. » Avec la prière et la charité, rien n’est impossible. Le moment est donc venu d’intensifier notre prière, notre charité et notre union aux intentions du Saint-Père.
Andrew Byrne est prêtre catholique à Londres. Ce texte a été publié en anglais le 22 octobre sur www.mercatornet.com . La traduction a été assurée par Pierre Lambert. Vous pouvez lire cet article en langue originale sur http://www.mercatornet.com/articles/view/crossing_the_tiber1/