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La joie de l’Evangile

18 mars 2017

 

Il y a un peu plus de trois ans, le pape François publiait « La joie de l’Evangile ». Cet article offre une présentation de cette exhortation apostolique, plus précisément des chapitres 1 (« La transformation missionnaire de l’Eglise »)  et  5 (« Evangélisateurs avec esprit »).

 

Le pape François pose un diagnostic sans concessions : Le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus. Même les croyants courent ce risque, certain et permanent. Beaucoup y succombent et se transforment en personnes vexées, mécontentes, sans vie (n. 2).

Un appel à la conversion

Face à ce constat, François lance une invitation décisive : J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse (n. 3).

Le pape vit de la conviction que Jésus est notre joie, toujours nouvelle, et qu’en dehors de lui, nous ne pouvons trouver ni la paix ni le bonheur véritables. Il nous presse d’abandonner l’idée néfaste que la joie vient d’avoir plus (avoir une bonne santé, une bonne carrière, beaucoup de biens, une vie tranquille, etc.) et veut nous convaincre qu’elle surgit de l’ambition d’être plus. Jésus nous permet d’être le plus : en lui, nous sommes enfants de Dieu, participants de la nature divine. En d’autres mots, le pape nous demande d’opérer une conversion radicale, pour que nous puissions dire avec saint Paul : Pour moi, vivre c’est le Christ (Ph 1, 21).

François remarque que la joie peut changer de forme selon les circonstances, selon l’âge et les épreuves de la vie. Mais, pour celui ou celle qui vit du Christ, elle demeure toujours au plus profond de nous-mêmes, un peu comme au fond des abysses, dont aucune tempête ne peut altérer le calme. Cette persistance de la joie et de la paix intérieure au gré des aléas de l’existence atteste de leur authenticité. Nous connaissons tous des exemples de personnes sereines et profondément heureuses, en dépit des épreuves de la vie (cf. nn. 6-7).

La joie de l’amitié avec Dieu

De cette joie retrouvée dépend notre élan apostolique : C’est seulement grâce à cette rencontre — ou nouvelle rencontre — avec l’amour de Dieu, qui se convertit en heureuse amitié, que nous sommes délivrés de notre conscience isolée et de l’auto-référence. Nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai. Là se trouve la source de l’action évangélisatrice. Parce que, si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres ? (n. 8)

Il ne faut pas confondre paix et tranquillité. La paix règne en nous lorsque nous laissons Dieu entraîner nos cœurs à vivre un amour plus qu’humain. La tranquillité d’une vie bien rangée — si tant est que ce soit possible —, loin d’être un idéal, est une source d’ennui et d’amertume continuels. La maladie de notre époque est l’auto-référence, le repli sur soi, les cœurs ratatinés comme des raisins secs.

Il nous est proposé de vivre à un niveau supérieur, dit le pape. L’authentique « réalisation personnelle » passe à travers le don de soi : c’est en se donnant que l’on se réalise (n. 10). En d’autres mots, la joie n’est pas seulement une condition de l’évangélisation, mais aussi l’un de ses fruits : Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir (Ac 20, 35).

« Etre le Christ »

Face à la mission évangélisatrice, François nous met en garde contre une autre forme d’auto-référence, qui consisterait à ramener l’apostolat au produit de notre énergie, de nos talents, de notre expérience. Bien que cette mission nous demande un engagement généreux, ce serait une erreur de la comprendre comme une tâche personnelle héroïque, puisque l’œuvre est avant tout la sienne, au-delà de ce que nous pouvons découvrir et comprendre. Jésus est « le tout premier et le plus grand évangélisateur » (n. 12). La référence est le Christ, dont nous sommes les instruments.

Cette considération nous rend humbles et audacieux à la fois : Je peux tout en celui qui me rend fort (Ph 4, 13). L’homme ou la femme qui vit du Christ devient d’une certaine manière le Christ : au-delà de ses limitations et de sa misère, le formidable pouvoir d’attraction de Jésus s’exerce, de même qu’il s’exerce au-delà d’une modeste portion de pain dans l’Eucharistie.

Jésus veut des évangélisateurs qui annoncent la Bonne Nouvelle non seulement avec des paroles, mais surtout avec leur vie transfigurée par la présence de Dieu (n. 259). L’apôtre est un homme de prière, de pénitence, de vie eucharistique, un christianus, un homme du Christ, qui rend le Seigneur présent dans les innombrables situations de la vie courante.

Tous missionnaires

Au n. 19, le pape nous rappelle que l’Eglise — et chacun d’entre nous — a une mission, qui repose sur un mandat du Christ : Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit (Mt 28, 19-20a). Nous sommes tous « missionnaires » (au sens étymologique : « porteurs d’une mission »). Le pape parle de « sortie missionnaire » : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile (n. 20). Ces périphéries se situent aussi dans nos familles, notre milieu professionnel et social. Il ne faut pas partir nécessairement au bout du monde.

Aux nn. 34-39, le pape François donne quelques conseils sur la méthode. Il recommande de ne pas perdre l’essentiel au profit de l’accessoire, d’éviter de tomber dans le travers des pharisiens obnubilés par des questions futiles. Notre témoignage de chrétien dans une réception ou un dîner de famille ne doit pas être celui de pontifier sur le mariage des prêtres, le sacerdoce des femmes, ou l’accès à l’Eucharistie des uns et des autres. Nous devons donner un témoignage positif d’union à l’Eglise, au pape, de charité pour tous et d’enthousiasme pour la seule chose qui est nécessaire (cf. Lc 10, 42) : aimer le Christ, et le suivre.

Le pape parle aussi de la miséricorde et de la loi de la gradualité (cf. n. 44) : Un cœur missionnaire est conscient de ces limites et se fait « faible avec les faibles […] tout à tous » (1 Co 9, 22). Jamais il ne se ferme, jamais il ne se replie sur ses propres sécurités, jamais il n’opte pour la rigidité auto-défensive (n. 45). Etre apôtre ne signifie pas être doctrinaire, champion de la vérité au point de la contredire, en faisant violence à la plus grande vérité, à la révélation dans le Christ de l’amour infini du Père.

Evangélisateurs avec esprit

François nous prévient aussi contre la tentation de nous justifier en invoquant les difficultés du temps actuel. Il évoque l’attitude des premiers chrétiens et des saints : Il est salutaire de se souvenir des premiers chrétiens et de tant de frères au cours de l’histoire qui furent remplis de joie, pleins de courage, infatigables dans l’annonce, et capables d’une grande résistance active. Il y en a qui se consolent en disant qu’aujourd’hui c’est plus difficile ; cependant, nous devons reconnaître que les circonstances de l’empire romain n’étaient pas favorables à l’annonce de l’Évangile, ni à la lutte pour la justice, ni à la défense de la dignité humaine. A tous les moments de l’histoire, la fragilité humaine est présente, ainsi que la recherche maladive de soi-même, l’égoïsme confortable et, en définitive, la concupiscence qui nous guette tous. Cela arrive toujours, sous une forme ou sous une autre ; cela vient des limites humaines plus que des circonstances. Par conséquent, ne disons pas qu’aujourd’hui c’est plus difficile ; c’est différent. Apprenons plutôt des saints qui nous ont précédés et qui ont affronté les difficultés propres à leur époque (n. 263).

Notre engagement est un engagement d’amour. Il est donc gratuit, désintéressé. Nous ne proclamons pas la Bonne Nouvelle pour satisfaire une ambition humaine, atteindre des objectifs qui sont les nôtres et montrer au monde ce que nous savons faire : Peut-être que le Seigneur passe par notre engagement pour déverser des bénédictions quelque part, dans le monde, dans un lieu où nous n’irons jamais. L’Esprit Saint agit comme il veut, quand il veut et où il veut ; nous nous dépensons sans prétendre, cependant, voir des résultats visibles. Nous savons seulement que notre don de soi est nécessaire. Apprenons à nous reposer dans la tendresse des bras du Père, au cœur de notre dévouement créatif et généreux. Avançons, engageons-nous à fond, mais laissons-le rendre féconds nos efforts comme bon lui semble (n. 279). Il s’agit de revivre l’élan de la Pentecôte.

Le pape nous rappelle également que nous avons un grand allié au cœur même des personnes que nous fréquentons, à savoir la soif de vérité et d’amour : Parfois, nous perdons l’enthousiasme pour la mission en oubliant que l’Évangile répond aux nécessités les plus profondes des personnes, parce que nous avons tous été créés pour ce que l’Évangile nous propose : l’amitié avec Jésus et l’amour fraternel (n. 265).

Stéphane Seminckx est prêtre, docteur en médecine et en théologie.