Une librairie de référence pour le lecteur chrétien Expédition dans toute la Belgique Papers sur des questions d’actualité

La dignité de la fin de vie menacée?

30 avril 2014

Etienne Vermeersch s’inquiète des menaces qui pèsent sur la dépénalisation de l’euthanasie. Le philosophe, athéiste militant, ancien vice-recteur de l’université de Gand, s’émeut de ce que l’on ait osé déposer plainte contre un médecin euthanasieur. Le professeur Willem Lemmens lui répond.

 

Etienne Vermeersch tire la sonnette d’alarme : la dignité de la fin de vie est menacée (De Morgen, 11 mars). Un site web voit le jour et les citoyens sont appelés à « signer », ce qu’ils font en masse. À vrai dire, si l’on devait donner raison à Vermeersch, tous les citoyens de ce pays devraient signer. Mais a-t-il vraiment raison ? Dans un article d’opinion circonstancié, il n’hésite pas à déformer la réalité et à jouer sur les émotions.

La dignité de la fin de vie est-elle menacée dans notre pays ? C’est étrange d’entendre une telle affirmation de la bouche d’une personne qui triomphait encore tout récemment quand l’euthanasie pour les mineurs est devenue légale. N’était-ce pas une avancée ? Alors, où est le problème ? Apparemment, ce qui le gêne est le fait qu’un grand nombre de pédiatres ont prétendu qu’ils n’avaient aucun besoin de la loi pour garantir les meilleurs soins à leurs patients : ils redoutent même que l’on ait donné un mauvais signal. Le message des médecins est clair : non, le défaut d’extension de la loi ne mettait pas en danger la dignité de la fin de vie et, non, nous n’avons vraiment pas besoin d’une loi qui affirme le contraire. Quoi qu’il en soit, ceux qui voulaient cette loi (symbolique) l’ont obtenue. Craignent-ils maintenant que les possibilités légales ne soient pas exploitées ? Il s’agit probablement d’un souci sans fondement : les premiers succès ne manqueront pas d’apparaître prochainement dans les médias.

Vermeersch redoute la naissance d’un mouvement qui viserait à saper systématiquement « notre législation sur l’euthanasie ». Car une plainte a été adressée à l’Ordre des Médecins contre un docteur qui s’emploie depuis des années à briser le « tabou » autour de l’euthanasie dans les médias et dans des conférences. Il pourrait y avoir d’autres plaintes, même auprès du parquet. Où voit-on ici une « campagne de dénigrement » systématique ? Ne pourrait-on plus avoir recours aux instances judiciaires de ce pays ? Le législateur a estimé à juste titre qu’il fallait tout mettre en œuvre pour éviter les abus et dysfonctionnements en matière de soins médicaux. Cela vaut aussi pour les soins liés à la fin de vie. C’est à cela que sert la législation. Si des citoyens considèrent que la loi sur l’euthanasie n’a pas été correctement appliquée, ou que leurs droits sont lésés, ne peuvent-ils pas tenter d’obtenir justice ? Vermeersch se scandalise : on terrorise un pauvre docteur. Mais, si tout est en règle, il n’y a rien à craindre. À moins que tout ne soit pas en règle ? Laissons les juristes et l’Ordre des médecins faire leur travail. Espérons qu’ils l’accomplissent avec le même zèle dont Vermeersch fait preuve pour remettre à leur place les citoyens qui osent réclamer justice. Le fait que ces personnes souffrent aussi ne semble vraiment pas le préoccuper.

Ce qui l’inquiète davantage est évident. La politique toujours plus libérale en matière d’euthanasie fait surgir de nombreuses questions tant en Belgique qu’à l’étranger. Est-ce interdit ? Est-il exclu que cette politique mène à de mauvais soins médicaux, voire à des conséquences immorales ? De plus en plus de citoyens se montrent méfiants face aux mensonges et aux manipulations perpétrés par le lobby euthanasique pour imposer son point de vue. Vermeersch va jusqu’à ériger en idéal auquel tout le monde aurait « droit »la fin de vie provoquée activement par un médecin à la demande du patient. Toute autre solution, comme la sédation palliative, est rendue suspecte et rabaissée de façon caricaturale au rang de « bricolage ». Seule une loi sur l’euthanasie aussi large que possible apporterait une réponse efficace à la souffrance insupportable. Et donc seuls la Belgique et les Pays-Bas offrent actuellement la possibilité de mourir dignement. Est-ce crédible ? C’est pourtant la vision que l’on assène à la population, sans que celle-ci ne semble vraiment savoir quelle est (ou devrait être) la différence entre l’euthanasie et la sédation palliative, par exemple.

D’autre part, on fait tout pour minimaliser les problèmes complexes qui menacent de se faire jour lorsque des patients psychiatriques, des handicapés ou des personnes atteintes de démence sénile formuleraient de plus en plus facilement une demande d’euthanasie en raison de « souffrances insupportables ». Vermeersch ne semble voir qu’un seul problème : leur impossibilité actuelle de faire cette demande de façon suffisamment claire. La loi doit donc encore être élargie, tout le monde doit être inclus dans cette success-story. Et tous ceux qui émettent des critiques sont intolérants, inhumains et mal informés.

La vérité ne serait-elle pas un peu plus subtile ? Les gens qui se montrent critiques à l’égard de la pratique euthanasique actuelle sont peut-être tout simplement soucieux de la liberté et de la dignité de tous les citoyens, également en ce qui concerne les soins liés à la fin de vie : la liberté et la dignité du patient, bien entendu, mais aussi celle du médecin, du personnel soignant et des proches ; bref, de toutes les parties concernées. Certains souhaitent peut-être tout bonnement faire entendre leur voix de façon libre et digne lorsqu’ils estiment que, malheureusement, la loi sur l’euthanasie mène à des pratiques contraires à des soins cliniques vraiment humains.

On ferait mieux d’écouter davantage ces personnes. Elles aussi manifestent haut et fort leur inquiétude de voir la dignité de la fin de vie menacée par les manipulations et la désinformation.

Willem Lemmens est professeur d’éthique à l’Universiteit Antwerpen. Ce texte a été publié dans De Morgen du 15 mars dernier et cosigné notamment par : Mohamed Achaibi, Philippe Ballaux, Jan Becaus, Benoit Beuselinck, Gerard Bodifée, Luc Braeckmans , Filip Buekens, Roger Burggraeve, Steven Bieseman, Yves Biot, Marc Calmeyn, Georges Casteur, Paul Clement, Katrien Cornette, Herman De Dijn, Yvonne Denier, Raf De Rycke, Jan De Volder, Daniel Devos, Timothy Devos, Johan De Tavernier, Willeke Dijkhoffz, Marc Eneman, Griet Galle, Chris Gastmans, An Haekens, Mouloud Kalaai, Fernand Keuleneer, Hilde Kieboom, Lieven Lagae, Olivier Lins, Pierre Mertens, Hendrik Opdebeeck, Roeland Polspoel, Toon Quaghebeur, Abdellatif Riffi, Katrien Schaubroeck, Bernard Spitz, René Stockman , Michiel Strybos, Johan Taels, René Trau, Steven Vanackere, Bart Van den Eynden, Bernadette Van den Heuvel, Bert Vanderhaegen, Toon Vandevelde, Stefaan Van Gool, Guy Vanheeswijck, Walter Van Herck, Els van Hoof, Linus Vanlaere, Luc Van Melkebeke, Fernand Van Neste, Jean-Pierre Verbelen, Jos Vermylen, Jan Wouters, Kristien Wouters, et encore quelque 500 personnes qui l’on signé sur le site www.euthanasie.stop. Ce texte a été traduit du néerlandais par Pierre Lambert.