Le débat sur la « pilule » date de la publication de l’Encyclique « Humanae Vitae », en 1968. Il peut paraître un peu dépassé. Mais force est de constater qu’un nombre croissant de femmes rejettent la contraception hormonale, à cause de ses effets sur leur corps, ou sur leur couple. L’Eglise s’y oppose également. Elle prône la paternité responsable, mais de quoi s’agit-il ?
Dans leur Guide totus de l’amour et de la fécondité, René et Marie Sentis tentent d’expliquer ce qu’est la paternité responsable. Ce petit livre, qui se lit facilement, a été rédigé par les promoteurs de la méthode Billings (une méthode qui permet la régulation naturelle de la fertilité) en France.
Dans une première partie, intitulée « L’Eglise pour la vie », les auteurs expliquent la doctrine de l’Eglise. Le livre est clair, alternant les explications des auteurs avec des témoignages et des citations de l’Ecriture et du Magistère. René et Marie Sentis s’inscrivent fidèlement dans la ligne de l’enseignement de l’Eglise, qu’ils connaissent en profondeur. Ils se réfèrent également souvent à l’ouvrage fondamental de Karol Wojtyla, Amour et responsabilité.
Les auteurs insistent beaucoup sur une idée essentielle : le débat sur la régulation des naissances n’est pas un débat de méthodes, dans lequel les procédés artificiels seraient condamnés par l’Eglise au profit des procédés naturels ; ce n’est pas non plus un débat dans lequel doit primer la question de l’efficacité (en d’autres mots : on ne se marie pas en vue de réaliser une « performance » dans le domaine du contrôle des naissances).
La vision chrétienne de l’amour humain et de la procréation est beaucoup plus profonde. A l’instar de l’encyclique Humanae Vitae, de Paul VI, elle unit précisément la dimension unitive et procréative de l’acte conjugal, de telle sorte que l’amour est toujours ouvert à la vie, et que cette ouverture authentifie la vérité de l’amour conjugal : « Le désir d’engendrer des vies nouvelles est le signe le plus visible et le plus vrai de l’amour conjugal. L’amour ne doit pas s’épuiser dans le couple mais doit, au contraire, se concrétiser et se manifester dans de nouvelles vies ; les enfants sont l’œuvre des époux qui coopèrent ainsi à l’amour du Créateur. Le don de la personne n’est pas total s’il veut être réciproque. Ainsi, un don, lorsqu’il en appelle un autre en retour, n’est pas totalement gratuit ; il comporte nécessairement une notion d’échange, de réciprocité qui n’élimine pas pour autant l’amour mais qui le rend imparfait. Par contre, le don de la vie, bien qu’apportant des satisfactions dans la paternité et dans la maternité, est le don gratuit par excellence, car il n’implique ni le choix de la personnalité propre à l’enfant, ni le consentement aux faiblesses et aux infirmités qu’il peut être amené à subir dès la conception ou ultérieurement. Il n’y a pas de conditions préalables au don de la vie » (pp. 14-15).
Si des motifs sérieux recommandent de retarder une naissance, la continence périodique devient une nouvelle modalité de cet amour ouvert à la vie. Elle n’est jamais une expression du refus de la vie. Elle manifeste d’une autre manière l’ouverture à la paternité, ouverture pleinement responsable, parce que profondément humaine. Dans l’exercice de cette responsabilité, les époux chrétiens ne s’opposent jamais à l’Auteur de la vie mais tâchent de se faire ses interprètes et ses collaborateurs, en tirant parti des caractéristiques inscrites par le Créateur dans la physiologie humaine. Ils n’excluent jamais la vie mais ils la servent, aussi dans les situations où ils jugent qu’une vie nouvelle peut entraîner de graves inconvénients pour la mère, pour l’enfant à naître, ou pour l’ensemble de la famille, et qu’il vaut donc mieux l’éviter. Se faire responsable de la vie, c’est aimer la vie.
Les auteurs insistent sur la différence entre paternité responsable et mentalité contraceptive. Les deux attitudes peuvent coïncider à certains moments dans le souci d’éviter une grossesse, mais, dans la perspective de la paternité responsable, l’acte conjugal posé en période inféconde possède un objet totalement différent de celui de l’acte contraceptif : « Lorsqu’on rétorque alors : “La finalité est la même !”, il y a, en fait, à la base de l’objection, une confusion entre la notion de finalité et d’intentionnalité. Lorsque les époux pratiquent l’abstinence périodique, leur intention est de différer une grossesse (…) Par contre, la finalité de l’acte est respectée (…) alors qu’elle ne l’est pas dans la contraception » (p. 115). La finalité de l’acte conjugal — ou son objet, dans le langage de la morale fondamentale — consiste toujours à manifester un amour ouvert à la vie. L’acte conjugal, c’est dire avec tout son être au conjoint : « Je me donne totalement à toi, et je te donne donc aussi cette possibilité inscrite en moi d’être père ou mère ». C’est pourquoi, si, malgré le souhait des parents d’éviter une grossesse, celle-ci devait survenir malgré tout, ils l’accueilleraient volontiers.
Ils soulignent aussi le fait que, dans le cadre de la paternité responsable, la continence périodique suscite et renforce le respect de l’autre, et donc l’amour conjugal. A cet égard, deux citations illustrent très bien ce constat : « Je ne contiens pas l’amour. C’est l’amour qui me contient ! » (Gustave Thibon, cité à la p. 101) ; « Par le respect, l’homme renonce à ce qu’il fait d’ordinaire si volontiers : prendre possession et utiliser à ses propres fins. Au lieu d’agir ainsi, il s’efface, garde une distance. Il en résulte un espace spirituel dans lequel ce qui mérite le respect peut se dresser librement et émettre sa lumière » (Romano Guardini, cité à la p. 130).
René et Marie Sentis n’évitent pas les questions épineuses, qui ont fait couler beaucoup d’encre, comme la loi de la gradualité, la coopération au péché du conjoint, l’attitude à adopter par le médecin face à une femme qui demande la pilule, etc. Leurs réponses sont judicieuses et nuancées.
Une seconde partie, beaucoup plus courte, s’intitule « La méthode Billings » et explique brièvement cette méthode naturelle qui permet de vivre la continence périodique. Les auteurs sont promoteurs de cette méthode spécifique, mais ils se réfèrent avec respect aux autres méthodes.
Stéphane Seminckx est prêtre, docteur en médecine et en théologie.
Le livre est disponible sur didoc shop : Guide totus de l’amour et de la fécondité.