On dit que, pour certains patients, le fait de donner des organes vitaux rend du sens à leur vie. Si vous devez subir une transplantation d’organe en Belgique, il y a une petite chance que vous deviez la vie sauve à une personne morte par euthanasie.
Le cas de la Belgique
La tâche complexe de vérifier la compatibilité entre donneurs et receveurs en Belgique — où l’euthanasie a été légalisée en 2002 — est prise en charge par un organisme appelé Eurotransplant. En 2008, son comité d’éthique a déclaré que le prélèvement d’organes sur des patients euthanasiés était moralement acceptable, pour autant que l’on veille au respect de certains protocoles. Cette démarche n’avait pas beaucoup retenu l’attention à l’époque. Les critères ont été publiés dans le rapport annuel d’Eurotransplant pour 2008.
Si l’utilisation d’organes issus de patients euthanasiés reste peu fréquente, elle existe bel et bien. La semaine dernière (l’article est daté du 17 juin 2011), l’équipe dirigée par Dirk Van Raemdonck des cliniques universitaires de Leuven faisait savoir par communiqué de presse que des greffes de poumons prélevés sur quatre patients euthanasiés avaient été effectuées avec succès entre 2007 et 2009.
Depuis 2009, trois autres personnes euthanasiées ont fait don de leurs organes, signale le docteur Dirk Ysebaert, de l’hôpital universitaire d’Anvers, dans un courriel adressé à MercatorNet.
Dans leurs publications scientifiques, les chirurgiens belges expriment leur espoir que l’euthanasie augmentera le nombre d’organes disponibles. Dans un article paru en 2009 dans la revue Transplantation Proceedings, le docteur Ysebaert et son équipe écrivaient : « Le potentiel en Belgique (et aux Pays-Bas) pourrait être considérable. Selon la Commission fédérale d’évaluation et de contrôle de l’euthanasie en Belgique, le pourcentage de patients souffrant d’une maladie neurologique débilitante et dont la demande d’euthanasie avait été acceptée s’élevait entre 5 % et 9,5 % de tous les cas d’euthanasie entre 2003 et 2005. »
Dans la communication la plus récente sur ce thème, un article publié dans la revue Applied Cardiopulmonary Pathophysiology, le docteur Van Raemdonck et ses confrères font observer que les poumons de patients euthanasiés sont de qualité supérieure à ceux prélevés sur des donneurs en état de mort cérébrale ou après mort cardiaque : « Contrairement à ces donneurs, les personnes euthanasiées ne connaissent pas de phase d’agonie avant l’arrêt circulatoire, comme c’est le cas pour les donneurs qui meurent d’hypoxémie ou suite à un choc cardiogénique ou hypovolémique. »
Par ailleurs, les médecins belges estiment que tout le monde sortirait gagnant de cette pratique. Dans une lettre envoyée à une autre revue, celle de la European Society for Organ Transplantation, plusieurs médecins relatent le cas d’une femme souffrant du syndrome de locked in qui a été euthanasiée et qui acceptait de faire don de ses organes. Et de conclure avec optimisme : « Cette possibilité pourrait faire augmenter le nombre d’organes transplantables, tout en procurant un certain réconfort au donneur et à sa famille, sachant que la mort du patient apporterait une aide à d’autres personnes en attente d’un organe. »
Le nombre officiel d’euthanasies pratiquées en Belgique croît d’année en année. En 2008, la dernière année pour laquelle on dispose de données officielles, ce nombre s’élevait à 705. Toutefois, dans la plupart des cas, les organes des patients euthanasiés ne conviennent pas pour la transplantation. En effet, plus de 80 % d’entre eux ont un cancer. En revanche, les organes de patients souffrant d’une maladie neuromusculaire ou de troubles psychologiques peuvent convenir.
Des quatre greffes de poumons effectuées par le docteur Van Raemdonck, trois ont été pratiquées avec des organes prélevés sur des personnes souffrant « d’une maladie bénigne débilitante comme un trouble neurologique ou musculaire ». Le quatrième donneur n’avait aucune maladie physique, mais un « trouble mental insupportable ».
Les médecins impliqués dans le prélèvement d’organes après euthanasie tiennent à souligner qu’ils suivent à la lettre la loi belge sur l’euthanasie, ainsi que les directives d’Eurotransplant. Ils insistent tout particulièrement sur l’absence de lien entre la demande d’euthanasie et le besoin d’organes. Pour eux, les insinuations selon lesquelles ils tueraient des patients pour utiliser leurs organes sont le fruit d’une imagination macabre. « Pour tirer les choses au clair sur un aspect qui n’est pas assez souligné dans la presse grand public : ces patients ont eux-mêmes demandé explicitement de donner leurs organes dans la mesure du possible, raconte le docteur Ysebaert à Mercatornet. La demande n’a jamais été formulée par une tierce partie. De même, la possibilité du don d’organes a toujours été discutée après l’acceptation de la demande d’euthanasie. »
Bien que la synergie entre le souhait de mourir d’un patient et le besoin d’organe d’un autre patient puisse être troublante, ces affaires n’ont pas été conclues dans les recoins d’un obscur sous-sol d’hôpital. Les médecins concernés ont publié plusieurs communications dans des revues spécialisées. Il n’empêche que cette nouvelle n’a pas trouvé de véritable écho en dehors de la Belgique. Un spécialiste britannique des transplantations affirmait n’en avoir jamais entendu parler.
Problèmes éthiques
La mise au jour de ces pratiques doit soulever aujourd’hui un grand nombre de points d’interrogation.
À commencer par la question de la transparence. Un document publié sur le site web d’Eurotrasplant, « Current ethical considerations in organ transplantation » (Considérations éthiques actuelles concernant les greffes d’organes), n’aborde pas le thème du prélèvement d’organes après euthanasie. Doit-on en conclure que cela ne pose pas problème sur le plan éthique ? Eurotransplant déclare que la « transparence » est un de ses principes phares. Or, dans son rapport annuel 2010, on ne trouve nulle part le mot « euthanasie ».
On ne sait pas exactement combien de fois des dons d’organes ont été faits à partir de patients euthanasiés. Dans son rapport annuel, Eurotransplant classe l’euthanasie parmi les « autres causes de mort » au lieu de la mettre en exergue comme une question revêtant un intérêt public particulier. Le docteur Michael A. Bos, président du comité d’éthique d’Eurotransplant, signale dans un courriel envoyé à MercatorNet que « la responsabilité en matière de transparence incombe aux centres de transplantation belges » et non à Eurotransplant. Mais la publication dans des revues académiques est-elle suffisante ? Y a-t-il d’autres cas qui n’ont pas été consignés par écrit ?
Les médecins belges ne sont pas réputés pour leur transparence en matière de compte rendu des cas d’euthanasie et l’on peut donc difficilement exclure cette possibilité. Selon une étude publiée dans le British Medical Journal l’année dernière, seule la moitié de tous les cas belges d’euthanasie font l’objet d’un rapport.
La qualité du consentement éclairé est un autre problème. La loi belge spécifie qu’une demande d’euthanasie doit être traitée par deux médecins après consultation d’un troisième médecin et qu’il doit s’écouler un mois entre la demande et la mort. Dans le jargon de l’euthanasie, la demande doit être « actuelle, volontaire, mûrement réfléchie, répétée et écrite. »
Or, la simple possibilité de transcender la perte de dignité, le désespoir ou la dépendance en faisant don de ses organes vitaux pourrait intensifier le désir d’euthanasie chez certaines personnes. Comme les médecins le suggèrent eux-mêmes, cela pourrait donner un sens à des vies dépourvues de « qualité de vie ». Et ce n’est pas uniquement un phénomène belge. Plus tôt cette année, un prisonnier condamné à mort dans l’Oregon a écrit un article d’opinion dans le New York Times en manifestant son souhait de faire don de ses organes après son exécution : « En faisant don de tous mes organes aujourd’hui, je pourrais satisfaire près d’1 % de la liste d’attente dans mon État. J’ai 37 ans et je suis en bonne santé. Jeter mes organes après mon exécution serait tout bonnement du gaspillage. » Et d’affirmer que la moitié de ses compagnons du « couloir de la mort » seraient disposés à faire de même.
En présentant le don d’organes comme le « don de la vie », cet ultime acte d’altruisme pourrait devenir irrésistible pour certaines personnes pensant que leur existence est sans valeur. Et, une fois qu’une personne s’est portée volontaire pour donner ses organes sains, quelle est la probabilité de trouver un médecin belge prêt à l’en dissuader ? Le docteur Ysebaert et son équipe ont synthétisé leur philosophie dans un article de 2009 : « Peut-on refuser une demande de faire don de ses organes après une euthanasie si le patient en manifeste expressément le souhait ? »
De façon surprenante, malgré l’intensification du débat sur l’euthanasie et le suicide assisté aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie, l’expérience belge n’a pas retenu l’attention.
Le docteur Peter Saunders, de l’association britannique Care Not Killing, détracteur de l’euthanasie (et collaborateur de MercatorNet), a été choqué en apprenant la nouvelle. Son blog a été cité par le journal londonien The Telegraph : « J’ai été abasourdi par la nonchalance avec laquelle cette question était traitée, comme si tuer des patients pour ensuite prélever leurs organes était la chose la plus naturelle du monde… La façon prosaïque dont le processus de prélèvement est décrit dans l’article donne particulièrement froid dans le dos et montre le degré de collaboration nécessaire entre l’équipe d’euthanasie et les chirurgiens de la transplantation — amenez-les dans la salle d’opération d’à côté, tuez-les et conduisez-les ici pour qu’on prélève leurs organes. Tout cela le même jour, dans cette bonne vieille Belgique. »
Eurotransplant a condamné la pratique chinoise de recours à des organes de prisonniers exécutés : « L’exploitation commerciale d’organes prélevés sur des détenus exécutés est considérée comme une violation des droits de l’homme et une pratique inacceptable… Tout acte risquant de jeter le discrédit sur les activités de transplantation est à déplorer. »
Est-ce que l’emploi d’organes prélevés sur une personne souffrant d’une maladie mentale et pensant que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue ne jette pas le discrédit sur les activités de transplantation ? Ne cherche-t-on pas la paille, sans voir la poutre ?
Michael Cook est le rédacteur en chef de MercatorNet. Cet article a été publié sur ce site sous le titre « Des chirurgiens belges voient d’un bon œil les dons d’organes en provenance de patients euthanasiés ». Les intertitres sont de notre rédaction. Source : http://www.mercatornet.com/articles/view/belgian_surgeons_welcome_euthanasia_organs/. Il a été traduit en français par Pierre Lambert.