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D’où vient la crise de la pédophilie dans l’Eglise ?

18 novembre 2010

Différentes thèses s’affrontent à l’heure d’établir les causes de la crise de la pédophilie dans l’Eglise. Nous en présentons ici un exposé succinct.

 

 

Découvrir les racines de cette crise est décisif si l’on veut y remédier de façon efficace. Grosso modo, deux hypothèses s’affrontent.

Première hypothèse

La première situe la cause principale des abus sexuels des prêtres dans la morale répressive de l’Eglise catholique, plus particulièrement dans la loi du célibat ecclésiastique obligatoire. Certains soutiennent que l’abstinence sexuelle imposée aux prêtres favorise les pratiques sexuelles déviantes à l’égard des mineurs, par une sorte de mécanisme de compensation.

Ce n’est pas l’avis du professeur Hans-Ludwig Kröber, Directeur de l’Institut de Médecine légale psychiatrique de l’Université Libre de Berlin. Il est l’un des grands spécialistes de la pédophilie. Son Institut publie régulièrement des études sur les auteurs et les victimes des délits d’abus sexuels. Il affirme que les pédophiles sont des personnes qui ont eu une activité sexuelle précoce et non des personnes adultes présentant une « superproduction hormonale » par manque de partenaire. Pour lui, l’idée que le célibat soit à l’origine des délits sexuels est une « bêtise du point de vue scientifique » (cf. Célibat et pédophilie).

Philip Jenkins, sociologue, professeur de la Pennsylvania State University, est auteur de l’étude la plus sérieuse sur les prêtres pédophiles aux Etats-Unis. Comme Kröber, il n’est pas catholique. Sur le rapport entre célibat et pédophilie, il est aussi très clair : « Mes recherches autour de ces cas pendant les vingt dernières années indiquent qu’il n’y a aucune preuve que les prêtres catholiques ou d’autres clercs célibataires soient plus enclins à une mauvaise conduite ou à des abus que les membres du clergé de n’importe quelle autre église, ou que les laïcs. » (cf. Célibat sacerdotal et abus sexuels). Il semble donc que la morale catholique dite « répressive » ne soit pas responsable des abus sexuels [1].

Enfin, il faut aussi rappeler que la plupart des abus sexuels sur des mineurs (de l’ordre de 85%) sont commis à l’intérieur des familles, par des personnes mariées.

Deuxième hypothèse

Si le célibat et la morale catholique ne peuvent pas être incriminés, où pouvons-nous trouver les causes de ces dépravations ? George Weigel signale une autre explication possible. Il a réalisé une étude importante des abus sexuels de prêtres aux Etats-Unis et a publié ses conclusions dans son œuvre « The Courage to be Catholic » [2]. Ce livre, rédigé à chaud pendant l’année 2002, c’est-à-dire au lendemain de la crise des abus sexuels aux Etats-Unis, est une étude passionnée des causes, des circonstances et des acteurs de ces tristes événements. Certaines de ses affirmations ne sont valables que pour les Etats-Unis, mais il présente un diagnostic des racines de la crise de la pédophilie qui a une valeur plus universelle.

A son avis, cette crise à l’intérieur de l’Eglise résulte de la confluence de deux tendances. La première était appelée à l’époque (années 60), dans les ambiances ecclésiastiques, « l’ouverture de l’Eglise au monde moderne ». Cette ouverture, tout à fait légitime, s’est malheureusement réalisée sans discernement. Le monde, en effet, ne s’est jamais identifié au paradis, et peut être moins encore à ce moment précis de l’histoire.

Les années 60 furent les années de la revendication d’une liberté totale, surtout dans le domaine sexuel. Le point d’orgue de ce mouvement fut la contestation de mai 68. A l’époque tout devait être permis. « Interdit d’interdire ! » était l’un des slogans les plus en vogue. Parmi les tabous à briser, il y avait celui de la sexualité avec les mineurs. Plusieurs personnages célèbres (dont certains continuent aujourd’hui à occuper des postes de responsabilité dans la société), se sont prononcés à des degrés divers en faveur de la pédophilie.

Une première indication de l’intérêt de cette piste signalée par Weigel nous vient des statistiques relatives aux abus sexuels sur mineurs des deux côtés de l’Atlantique. Ils connaissent un maximum entre les années 60 et la moitié des années 80.

La conjonction de ces deux tendances — dans l’Eglise, l’ouverture au monde, et dans le monde la revendication de la « liberté sexuelle » — provoqua, dans de larges secteurs du catholicisme, un rejet de l’enseignement moral de l’Eglise. A ce propos, la réception chahutée, en 1968, de l’encyclique « Humanae Vitae » sur la régulation des naissances est emblématique. Cette désobéissance fut très faiblement condamnée. On peut même dire qu’elle fut tolérée de façon tacite. C’est à ce moment précis qu’a commencé la polarisation à l’intérieur de l’Eglise, un phénomène qui perdure aujourd’hui.

Tout cela a favorisé le « dissentiment », comme on l’appelait alors, un désaccord qui s’est progressivement élargi à l’ensemble de la doctrine morale de l’Eglise sur la sexualité. Ce « dissentiment » était le fait, entre autres, de théologiens, de professeurs et de formateurs de séminaires et d’une partie du clergé. Le dissentiment s’est étendu à d’autres points de doctrine, comme la nature du sacerdoce (considéré davantage comme un service social qu’un véritable ministère où les prêtres agissent au nom du Christ et in persona Christi) ; et puisque le monde auquel il fallait s’ouvrir était démocratique et « progressiste », on refusa d’accepter des valeurs « conservatrices », telles que la Tradition et l’existence de la hiérarchie. C’est ainsi que se vérifia le vieil adage latin « corruptio optimi pessima », la corruption d’une partie du clergé donna lieu aux terribles dérives dont on prend clairement conscience aujourd’hui.

Voilà une description à grands traits des circonstances générales qui ont favorisé toute une série de déviations théoriques et pratiques. Pour être complets, nous devrions encore considérer les particularités de chaque pays. Dans plusieurs d’entre eux, l’Eglise dirigeait des écoles et des internats et, par conséquent, des nombreux prêtres et religieux étaient en contact étroit et quotidien avec des enfants et des adolescents. En même temps, ils étaient aussi dans une position d’autorité, qui favorisait l’impunité. Il ne faut pas non plus oublier le prestige et l’autorité dont l’Eglise catholique et ses institutions jouissaient à cette époque. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour provoquer la catastrophe.

On en a pris conscience très tard car, auparavant on ne voyait pas ou on ne voulait pas voir. Et pas seulement dans l’Eglise. Le Professeur Adriaenssens a affirmé qu’à l’époque où les faits étaient plus nombreux, le phénomène de la pédophilie était nouveau, même pour les psychiatres. Et Stéphane Durviaux, conseiller auprès du Délégué pour les droits de l’enfance en Belgique a déclaré que la Justice ne faisait pas mieux que l’Eglise, jusqu’à l’explosion de l’affaire Dutroux (Le Soir, 15-9-10).

Conclusion

Si le diagnostic de Weigel est exact, outre l’accueil et le soin des victimes ainsi que la condamnation des abuseurs, il faudra poursuivre un travail de clarification doctrinale et morale dans de larges secteurs de l’Eglise. Cette tâche a commencé dès l’élection de Jean-Paul II au siège de Pierre. Elle se poursuit avec Benoît XVI, qui travaille avec détermination à ce qu’il appelle la purification de l’Eglise. Elle suppose un travail de discernement par rapport au monde et à la pensée dominante, héritée des années 60. Il s’agit là d’une tâche qui rencontrera nécessairement l’opposition, voire la persécution.

Emmanuel Cabello est prêtre, Docteur en Sciences de l’Education et en Théologie.


[1]Pour clarifier les rapports entre pédophilie et célibat, il faut faire deux remarques supplémentaires : la première vient de Mgr Charles J. Scicluna, promoteur de justice de la Congrégation romaine qui juge les cas de pédophilie. Il a déclaré au journal Avvenire (13-3-10) que 60% des cas dits de pédophilie devraient être appelés plutôt « éphébophilie », puisque les victimes n’étaient pas des enfants mais des adolescents du même sexe (cf. Les abus sexuels des prêtres). La seconde est assez évidente : il existe parfois un lien inversé entre célibat et pédophilie, dans la mesure où certaines personnes présentant une immaturité affective cherchent un refuge dans la prêtrise. A ce sujet, la Congrégation pour l’Education Catholique a publié un document le 4-11-05, afin de préciser les critères de sélection des candidats au sacerdoce.

[2]Ed. Basic Books, New York 2003.