Pour Jean-Paul II, la liberté religieuse constituait le droit humain le plus fondamental. Encore faut-il s’entendre sur la réalité que ce droit recouvre. Ce texte de Salvador Bernal nous éclaire sur deux conceptions antagonistes qui s’affrontent aujourd’hui.
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 a été signée par des pays très différents, dirigés à l’époque par des personnes d’idéologies différentes et même antagonistes. Jacques Maritain, un des rédacteurs de cet important document, n’a pas caché son optimisme pratique : « Nous sommes d’accord sur ces droits tant qu’on ne nous demande pas de les justifier » (El hombre y el Estado, Buenos Aires 1969, 94).
Mais, avec le passage des années, aujourd’hui la question est loin d’être pacifique et réapparaît régulièrement, tant sur le plan doctrinal que dans l’application politique et juridique des libertés. L’évident contraste historique du double langage marxiste resurgit maintenant dans de nombreuses républiques islamiques et se manifeste de façon douloureuse par la violation du droit fondamental à la liberté religieuse. Les minorités chrétiennes de nombreuses régions du monde en sont les victimes, aussi par la violence.
Les minorités chrétiennes dans le monde islamique
Un cas emblématique est l’injuste condamnation à mort de la chrétienne Asia Bibi au Pakistan, accusée de blasphème. Face à la forte mobilisation internationale, le ministre pakistanais des minorités a réalisé une enquête qui a débouché sur une demande d’indulgence au président Asif Ali Zardari. Mais le Tribunal Supérieur de Justice de Lahore a empêché que le gouvernement d’Islamabad accorde cette grâce pour une raison formaliste de type occidental : l’exécutif ne peut agir tant que les juges ne se prononcent pas dans la procédure d’appel qui est en cours. En revanche, la Cour ne soulève aucune objection à l’application d’une loi pénale contre le blasphème, loi qui est manifestement injuste, car contraire à des principes juridiques élémentaires.
La situation en Afghanistan n’est pas plus favorable pour les chrétiens. Selon une dépêche de France Presse du 28 novembre, deux convertis au christianisme sont exposés à la peine de mort pour avoir abandonné l’Islam. L’un d’eux travaillait depuis 1995 pour une ONG occidentale bien connue : la Croix Rouge. Un grand paradoxe : alors que de nombreux soldats occidentaux donnent leur vie pour normaliser la situation en Afghanistan, le gouvernement de ce pays ne fait pas grand chose pour abroger d’anciennes lois islamiques incompatibles avec la liberté religieuse.
Au cours de son pontificat, Jean-Paul II a mené une grande bataille en faveur de la liberté religieuse tant il était convaincu que c’était là le premier des Droits de l’Homme. Le thème était constamment à l’ordre du jour, par exemple, à la traditionnelle audience au corps diplomatique accrédité au Saint-Siège les premiers jours de l’année. Benoît XVI n’a pas rompu cette tradition. Le 11 janvier dernier, il a parlé expressément des chrétiens du Moyen-Orient « menacés de nombreuses façons, y compris dans l’exercice de leur liberté religieuse, abandonnant la terre de leurs parents, où a grandi l’Eglise des premiers siècles. » Il a également évoqué la violence au Pakistan, où « certains événements ont directement affecté la minorité chrétienne », ainsi que les attaques récentes d’alors — répétées récemment — contre la communauté copte en Égypte. La demande du Pape était claire : « faire tout ce qui est possible pour que de telles attaques ne se reproduisent pas et que les chrétiens puissent se sentir pleinement intégrés dans la vie de leur pays. »
Différentes conceptions des Droits de l’Homme
Le problème est le manque croissant de consensus en matière de Droits de l’Homme, conduisant à de graves conséquences dans le domaine religieux. Dans le monde occidental prévaut la conception universaliste, enracinée dans les exigences de la dignité de la personne, de toute personne humaine. Selon cette conception, soutenue également par le Saint-Siège, il s’agit de protéger le droit à la liberté religieuse des individus.
En revanche, pour l’Organisation de la Conférence Islamique, la liberté religieuse doit se soumettre au droit de chaque pays et, concrètement, à la loi islamique. Dans cette perspective, la reconnaissance de la libre pratique religieuse devient purement théorique. Le respect de la religion — comme la loi sur le blasphème — prévaut sur le respect de la personne.
L’objectif de l’OCI dans sa demande réitérée à l’ONU d’une convention internationale interdisant la diffamation des religions est, essentiellement, d’appuyer les législations nationales qui font du blasphème un crime, qui peut être puni de mort. De même, ils pénalisent comme un affront à une institution publique l’éventuel changement de religion, ou même les simples activités d’évangélisation, les taxant de prosélytisme abusif.
Dans certains pays d’Europe, indépendamment du fait que le délit de blasphème se trouve encore ou non dans certains codes pénaux (…), on conserve des lois qui protègent la liberté religieuse et qui considèrent comme illicites, à des degrés divers, les actes qui offensent la religion. Dans la pratique, elles s’appliquent rarement car les juges tendent à donner plus de poids à la liberté d’expression.
Au contraire, dans les pays islamiques, les ONG de défense des Droits de l’Homme considèrent que les lois contre le blasphème finissent par être oppressives pour les minorités. En outre, elles sont souvent invoquées comme moyen politique pour faire taire l’opposition et même comme recours pour éliminer un adversaire dans des querelles d’ordre matériel entre voisins, ou encore pour se défaire d’un concurrent commercial gênant.
On comprend que la liberté religieuse soit au centre de la diplomatie internationale, comme le rappelait Isabelle de Gaulmyn dans La Croix (18-11-10). En dehors de l’action de différentes ONG, le Conseil de l’Europe est très actif dans ce domaine, tant dans ses assemblées qu’au Tribunal de Strasbourg. Le Département d’Etat des Etats-Unis publie un rapport annuel sur ce droit fondamental, qui est largement diffusé ; et, depuis la présidence de George W. Bush, il compte un ambassadeur spécial chargé de la promotion de la liberté religieuse dans le monde. Il conviendrait que le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU trouve — ce qui est loin d’être simple — un nouveau consensus diplomatique établissant un statut de la « diffamation religieuse » compatible avec la liberté.
Ces jours-ci, précisément, est paru le rapport que publie annuellement depuis 1999 l’Aide à l’Eglise en Détresse. Il présente les résultats d’une recherche très étendue. Il se peut qu’avec l’équivalent du Secrétariat d’Etat américain, ce soit la source la plus importante pour connaître objectivement l’étendue et les nuances de ce problème humain qui revêt un caractère dramatique dans trop d’endroits de la planète.
Salvador Bernal est juriste et écrivain. Source : http://www.aceprensa.com. Ce texte a été traduit de l’espagnol par Carine Therer.