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De Jésus à Jésus, en passant par Darwin

24 mars 2012

Christian de Duve, Professeur émérite de l’UCL, Prix Nobel de Médecine, a publié récemment un livre sur Jésus. Il y exprime sa conviction d’homme de science. Peu de temps auparavant, un autre scientifique s’est penché sur la figure de Jésus : Jean-Christian Petitfils, historien.

 

De Jésus à Jésus, en passant par Darwin

Dans ce petit livre de 90 pages (De Jésus à Jésus, en passant par Darwin, Odile Jacob, Paris 2012), Christian de Duve nous livre un bref résumé, sobre et intéressant, de son itinéraire scientifique (pp. 19-43) ainsi qu’une description et une justification de sa pensée philosophique et religieuse actuelle (pp. 45-89).

La thèse centrale du livre, enveloppée par les souvenirs personnels de l’auteur, est l’affirmation que l’espèce humaine est marquée par un « péché originel génétique ». Pour l’auteur, cela veut dire que notre patrimoine génétique, hérité de nos ancêtres et préservé par la sélection naturelle, présente des traits comme l’« égoïsme de groupe » et l’hostilité à l’égard d’autres groupes. Il y a quelque cent mille ans, ces traits étaient nécessaires à la survie de nos ancêtres, mais aujourd’hui ils risquent de déclencher des conflits pouvant aller jusqu’à l’holocauste nucléaire. Il faut impérativement apporter un remède à ce danger. Et ce remède, nous le trouvons dans la doctrine de Jésus de Nazareth. Christian de Duve voit en lui un homme sage. Mais, pour notre Prix Nobel, il faut expurger ses enseignements de tout dogmatisme et condamnation, et sa vie de tout miracle. Par ailleurs, la personne de Jésus doit renoncer à toute prétention à la divinité, qui n’est qu’un ajout des siècles postérieurs.

L’auteur affirme sa totale adhésion aux principes du darwinisme. En outre, il proclame sa foi, jusqu’à preuve du contraire, dans toute une série de vérités scientifiques, « parce que j’en connais les preuves » (p. 65). Sans preuves scientifiques, il ne semble donc pas disposé à accepter des affirmations. Par contre, il ne croit ni à l’existence de l’âme ni à un Dieu créateur (il semble plutôt pencher vers la croyance dans un univers éternel, une sorte de panthéisme : cf. p. 77).

A propos de ces idées, il convient de dire que l’Eglise catholique n’a jamais condamné le darwinisme en tant que théorie scientifique. Jean-Paul II l’a même qualifié de « plus qu’une hypothèse » (Message à l’Académie Pontificale des Sciences, 22-X-96). Une autre chose est d’expliquer l’existence de l’univers et son évolution, donnant lieu à la vie et à la conscience, en excluant l’intervention divine. C’est ce que de Duve soutient et qui est inacceptable pour un chrétien.

Le christianisme affirme non seulement l’existence d’un Dieu créateur, mais aussi une intervention divine créatrice de chaque âme humaine. Pour ce qui est de l’origine de la vie, l’Eglise n’a jamais exigé de croire à une intervention de Dieu. Cependant, à l’heure actuelle, l’idée que la matière donnerait lieu de façon spontanée à la vie se heurte à des problèmes scientifiques qui semblent pratiquement insurmontables [1].

Par ailleurs, l’existence de vérités scientifiques montre qu’il y a une rationalité dans le monde, que je découvre avec mon intelligence. Et cette rationalité, peut-elle provenir de l’irrationalité du Big Bang et du hasard ? N’est-il pas plus logique d’admettre l’action, à l’origine, d’une Raison créatrice ?

En outre, on peut se demander si Christian de Duve connaît les preuves, par exemple, des Droits de l’homme. Ou s’il y a des preuves scientifiques du fait que je doive tenir mes engagements. Ou si la science peut me dire ce qui est le bien et c’est qui est le mal. Ou encore si elle peut m’expliquer pourquoi la doctrine de Jésus peut sauver l’humanité.

Finalement, il est inacceptable que la doctrine chrétienne sur la divinité du Christ, sur sa résurrection et ses miracles puisse être expédiée en deux paragraphes, en invoquant des invraisemblances que nourrissent notre crédulité et des fausses reconstructions de la vie d’un homme (Jésus), faites à partir de quelques bribes historiques (cf. pp. 56-57). Se débarrasser de façon si légère de trois siècles d’études critiques (exégétiques, historiques, archéologiques) sur les fondements du christianisme, réalisées par des milliers de chercheurs de différentes convictions religieuses, n’est pas digne d’un homme de science.

Jésus

C’est précisément à ce mépris de la recherche historique que répond un autre livre sur Jésus de Nazareth récemment paru : « Jésus » (Fayard, Paris 2011, 668 pp.). Son auteur est un célèbre historien français, qui a publié une trentaine de livres : Jean-Christian Petitfils. Cette oeuvre est composée d’un intéressant prologue (pp. 9-32), vingt chapitres sur la vie publique de Jésus (pp. 35-449), un épilogue sur les évangiles de l’enfance (pp. 451-478) et sept annexes (pp. 481-579), ainsi que les notes bibliographiques.

Jean-Christian Petitfils, qui ne cache pas sa foi chrétienne, a fait travail d’historien, sans s’appuyer sur les données qui ne relèvent que de la foi. Il utilise une vaste bibliographie classique et surtout moderne en langue française et anglaise, et aussi quelques ouvrages sélectionnés d’auteurs allemands, traduits en français. Les annexes abordent d’importants sujets collatéraux, qui n’auraient pas trouvé leur place dans le corps de l’ouvrage. Certaines de ces annexes portent sur des sujets plus spécialisés, mais toujours d’un grand intérêt, comme la question synoptique et celle des reliques de la Passion, qui sont le plus souvent oubliées dans les études historiques sur Jésus de Nazareth.

Sans négliger les évangiles synoptiques, le professeur Petitfils s’appuie surtout sur celui de Jean, qui, selon lui et selon une opinion chaque fois plus largement partagée parmi les spécialistes, est le plus fiable d’un point de vue historique. L’importance qu’il accorde au linceul de Turin peut surprendre, mais il développe abondamment les arguments qui montrent la fiabilité historique de cette relique de la Passion.

L’auteur fait une bonne synthèse de toutes les données historiques, exégétiques et archéologiques partagées aujourd’hui par bon nombre de spécialistes. Cela n’empêche pas que certaines de ses opinions soient discutables, ou puissent être considérées comme dépassées dans quelques années (par exemple, à propos de la chronologie de la vie de Jésus ou de la précision historique des évangiles;  affirmer, comme beaucoup d’autres historiens et exégètes, que l’auteur du quatrième évangile n’est pas l’Apôtre Jean, mais un autre Jean, le presbytre).

Nous nous trouvons, en définitive, devant une œuvre solide de haute divulgation, fort documentée, équilibrée. Elle montre bien que la foi chrétienne en Jésus de Nazareth, Dieu et homme, né de Marie vierge, mort sur la croix et ressuscité, est solidement fondée d’un point de vue historique. Bien entendu, ni l’histoire, ni aucune autre science humaine, ne pourra jamais démontrer la vérité de notre religion, mais elle peut nous dire — et c’est bien l’objectif du professeur Petitfils — qu’il est assez raisonnable de l’admettre.

 

Emmanuel Cabello est prêtre, Docteur en Sciences de l’Education et en Théologie.


[1] A propos de ces questions, le lecteur peut se référer à Fiorenzo Facchini, Evolution et Création.