Il y a quelques mois s’est développée une polémique autour du cas d’une fillette brésilienne de neuf ans, enceinte de jumeaux, du fait d’un viol, et soi-disant menacée d’excommunication par l’archevêque de Recife.
Des données publiées à une certaine distance de cette polémique permettent aujourd’hui de jeter un regard plus objectif sur cette affaire.
Les faits
La fillette de neuf ans a été violée par son beau-père. Auparavant, elle avait déjà subi pendant trois ans des violences sexuelles. Une équipe médicale a pratiqué l’avortement de ces jumeaux, en date du 4 mars 2009, avec l’intention de sauver la vie de la fillette.
Beaucoup se sont émus du fait qu’apparemment, la seule réponse à ce drame de la part de l’archevêque de Recife ait été de frapper d’excommunication la mère et les médecins. Certains médias ont même attribué à l’évêque l’intention d’excommunier la fillette.
Mais, selon une note de l’archidiocèse de Recife, les faits sont différents : les signataires y déclarent s’être occupés de la fillette et de la famille avec charité et tendresse et d’avoir utilisé tous les moyens à leur portée pour éviter l’avortement et sauver ainsi les trois vies. Ils précisent également que l’affaire de la fillette a été rendue publique le 25 février ; le rappel, par l’évêque, de la peine d’excommunication automatique liée au crime de l’avortement, a été fait le 3 mars, alors que l’avortement a été réalisé le lendemain. L’évêque a voulu intervenir ainsi dans un débat qui était déjà public en rappelant l’extrême gravité du crime de l’avortement, son silence pouvant être interprété comme de la connivence ou de la complicité.
Avortement et excommunication
Dans ce contexte, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) a rappelé le 10 juillet dernier la doctrine de l’Eglise sur l’avortement et la peine d’excommunication latae sententiae qui y est liée. L’expression latae sententiae signifie qu’on encourt cette peine par le fait même de commettre le délit.
Ce n’est donc pas l’archevêque de Recife qui a condamné les auteurs de l’avortement. Il n’a fait que rappeler la peine qui, dans le droit de l’Eglise, y est automatiquement liée.
L’excommunication ne s’applique pas à la fillette, car il faut avoir 16 ans accomplis pour être passible de sanctions pénales canoniques. Il n’est pas inutile d’insister ici sur le fait que la peine d’excommunication poursuit un but médicinal ou pastoral : souligner la gravité d’un acte et favoriser l’amendement de son auteur. Elle consiste en une privation de biens spirituels, comme la participation aux sacrements. Elle peut être levée dès que l’auteur manifeste sincèrement son amendement.
On pourrait s’étonner que l’Eglise n’applique pas la peine d’excommunication latae sententiae au viol et à d’autres crimes aussi révoltants. C’est précisément parce qu’ils sont révoltants que cette peine n’est pas nécessaire : il ne viendrait à l’idée de personne qu’un viol puisse être justifié moralement. Ce type de crime est du reste sévèrement réprimé par la loi pénale des Etats.
Conflit de devoirs
Comme le rappelle la mise au point de la CDF, du point de vue moral, une situation comme celle de cette fillette ne se résout pas en pratiquant l’avortement. Même si le viol est un acte inqualifiable, on n’efface pas le mal commis en commettant un nouveau crime.
Dans ce genre de situations, les médecins tenteront toujours de sauver à la fois la vie de la mère et celle de l’enfant (ici, des enfants), même si les chances d’y arriver sont minces. Dans la pratique, ils placeront la fillette sous surveillance médicale étroite et, dès que surviennent les premiers signes d’une complication sérieuse, ils interviendront pour sauver la mère, tout en tentant de sauver également les enfants.
Il y a beaucoup de chances que, dans les deux cas de figure, le résultat final soit la survie de la mère et la mort des fœtus. Mais, du point de vue moral, il s’agit de deux actes totalement différents, puisque, dans l’un, la volonté s’applique à un acte qui est bon en soi —sauver la vie des trois—, tandis que dans l’autre, elle s’applique à un acte qui est toujours mauvais en soi : l’élimination consciente et délibérée de la vie de deux êtres innocents.
Ceci illustre une fois de plus une réalité souvent perdue de vue : la perspective de la morale est différente de celle de l’efficacité technique. La morale se place du point de vue de l’agir conscient et libre qui, dans un acte concret, opte pour le bien ou le mal, devenant ainsi objet de mérite ou de reproche.
Stéphane Seminckx est prêtre, Docteur en Médecine et en Théologie.