Le synode sur l’Amazonie a débuté à Rome le 6 octobre dernier et poursuivra ses travaux jusqu’au 27 octobre. Un seul point du document préparatoire a accaparé l’attention du grand public : l’idée d’ordonner des hommes mariés pour pallier le manque de prêtres dans ces vastes territoires d’Amérique du Sud. Serait-ce une bonne solution ?
Tel n’est pas l’avis de l’Uruguayen Martin Lasarte, missionnaire salésien et père synodal. D’après lui, le synode a des questions bien plus urgentes à traiter. Il s’est exprimé sur ce sujet au cours d’une session de travail avec des experts et des journalistes, le 23 septembre dernier, à l’Université de la Sainte-Croix (Rome). Nous offrons ici de larges extraits de son intervention.
À son avis, l’éventuelle ordination sacerdotale de viri probati est un sujet qui mérite d’être étudié. « Le problème fondamental n’est pas le thème en lui-même, mais la convenance et la motivation de le traiter durant le synode, si l’on tient compte de la situation actuelle ».
« La question de l’ordination sacerdotale d’hommes mariés comme option pastorale normale engage fortement toute l’Église catholique ». Donc « quand on dit que c’est seulement pour les communautés isolées de la forêt vierge, on oublie le dogme de l’écologie intégrale : tout est interconnecté ». Dès lors, « il ne semble pas constructif qu’une région de l’Église, même en communion avec Pierre, essaie de faire un pas de ce genre de manière individuelle ».
Un éventuel changement de discipline est envisageable, mais « il est essentiel de prendre des décisions en communion synodale », sans que toutes les Églises particulières doivent « se voir obligées de changer la belle tradition du célibat sacerdotal vécu dans l’Église occidentale durant 1700 ans ».
Les deux grands thèmes du synode
« En convoquant le synode, le pape a indiqué deux thèmes à travailler : l’évangélisation dans cette région et l’écologie intégrale ». Cela comporte de multiples aspects : la relation entre l’annonce et la promotion humaine, l’inculturation de l’Évangile, la migration des jeunes vers les villes, la population marginale dans les périphéries des grandes villes amazoniennes, l’expansion de groupes protestants, le respect du milieu et des cultures autochtones…
« L’agenda du synode est très riche : si le thème de l’ordination d’hommes mariés venait à occuper le devant de la scène, cela ne rendrait pas un bon service au synode lui-même. Du point de vue médiatique et ecclésial, cela créerait un climat de forte controverse et de polarisation qui ne serait d’aucune utilité pour les populations indigènes amazoniennes, pour l’évangélisation et le problème délicat et urgent de la crise écologique ».
Cléricalisme
Le P. Lasarte met en question la raison de fond que l’on utilise habituellement pour ordonner des prêtres non célibataires : pallier le manque de ministres. « Affronter le problème en ces termes, c’est faire preuve d’un énorme cléricalisme ». On pense à « une Église où il n’y aurait pas d’implication forte et de sentiment d’appartenance de la part des laïcs ». Ce qui lui fait ajouter : « j’ai l’impression qu’on veut cléricaliser les laïcs », alors qu’il est prioritaire d’arriver à « une Église de baptisés protagonistes, de disciples, de missionnaires ».
Il faut se souvenir à ce propos de l’expérience de certains pays de mission. En Corée, l’Église est née grâce à un laïc, baptisé en Chine : durant son premier demi-siècle d’existence, jusqu’en 1835, l’Église s’est développée seulement avec des laïcs, jusqu’à ce qu’elle ait pu compter sur la présence stable de prêtres. De même, au Japon, l’Église catholique a survécu durant plus de 200 ans sans prêtres, dans des communautés qui comptaient des catéchistes, des baptistes et des prédicateurs, tous laïcs. Jusqu’à l’arrivée de nouveaux prêtres au XIXe siècle, les chrétiens étaient intimement convaincus que l’Église reviendrait au Japon et que cela se reconnaîtrait à trois signes : « les prêtres seront célibataires, il y aura une représentation de Marie et ils obéiront au pape de Rome ».
Des régions où les vocations sacerdotales ne manquent pas
Essayer de remédier au manque de prêtres en ordonnant des hommes mariés, c’est un peu mettre la charrue avant les bœufs. Les vocations surgissent lorsque les communautés chrétiennes sont ferventes, avec des laïcs actifs. Les catholiques du nord-ouest de l’Inde, après avoir vécu isolés durant des siècles, sont passés d’un millier de baptisés en 1923 à 1,6 million à l’heure actuelle, avec 1.600 prêtres dont la moitié sont autochtones.
Comment se fait-il que dans certaines parties de l’Amazonie, après 200 ou 400 ans, on se retrouve devant une stérilité ecclésiale et vocationnelle ? Il y a des diocèses et des congrégations dans lesquels, après plus d’un siècle, il n’y a pas eu une seule vocation locale indigène. On dit parfois que les peuples amazoniens ne comprennent pas le célibat. Mais on a dit la même chose de l’Inde, de l’Océanie et de l’Afrique. Il faudrait plutôt se demander comment l’évangélisation s’est effectuée.
Autocensure missionnaire
Martin Lasarte a évoqué le choc produit par la fameuse Déclaration de la Barbade (1971), rédigée par un groupe d’anthropologues, où l’on affirmait que « la Bonne Nouvelle de Jésus était une mauvaise nouvelle pour les peuples autochtones ». Dans certaines régions on est tombé dans l’autocensure, on a perdu la joie de l’évangélisation dont parle le pape François (Evangelii gaudium, 24-11-13). Je me souviens de cas de religieuses qui avaient décidé de ne pas proclamer Jésus-Christ, ni de faire la catéchèse ‘par respect pour la culture indigène’. Elles se limiteraient à témoigner et à servir. Vingt ans plus tard, lorsque les groupes évangéliques sont arrivés dans les communautés indigènes, on demanda au prêtre de la mission s’il ne serait pas opportun de parler aussi de Jésus. Sa réponse fut : ‘Il était temps, petites sœurs, de dire quelque chose sur Jésus’ ».
Une Église fournisseur de services
« L’engagement social de l’Église dans l’option évangélique pour les plus pauvres a été et est une richesse énorme, qui s’est matérialisée dans de nombreuses initiatives en faveur de la santé, de l’éducation, de la défense des droits humains, de la défense des terres indigènes. Le problème surgit lorsque ce genre d’activité absorbe le reste de la vie et le dynamisme de l’Église ». Par exemple, « en plus d’un endroit, j’ai entendu de la part d’agents pastoraux des expressions de ce genre : ‘Quand les gens ont besoin de services, ils viennent chez nous (Église catholique), mais quand ils cherchent un sens à leur vie, ils vont chez les autres (évangéliques, etc.)’ ».
« L’Église est devenue un grand fournisseur de services (santé, éducation, promotion, défense…), mais elle a peu fait comme ‘mère de la foi’ ».
Le P. Lasarte estime qu’il y a là une grave erreur qui a « rendu notre travail pastoral stérile, entraînant ainsi une déforestation spirituelle ». « J’ai visité un diocèse où, au début des années 1980, 95% de la population était catholique pour se retrouver actuellement au niveau de 20%. Je me souviens du commentaire d’un missionnaire européen qui a systématiquement désévangélisé la région : ‘Nous ne favorisons pas la superstition, mais la dignité humaine’. Je crois qu’avec cela tout est dit ».
La grande nouveauté
La stérilité vocationnelle est une conséquence de ces options pastorales. « Personne ne laisse tout tomber pour devenir animateur social, personne ne donne sa vie à une ‘opinion’ ; personne n’offre l’absolu de sa vie à quelque chose de relatif, mais seulement à l’Absolu de Dieu ».
« Une communauté chrétienne qui ne génère pas de vocations sacerdotales et religieuses est une communauté affectée par une maladie spirituelle. Nous pouvons ordonner des viri probati et plus encore, mais les problèmes fondamentaux resteront : une évangélisation sans Évangile, un christianisme sans Christ, une spiritualité sans Esprit Saint ».
En définitive, conclut le P. Lasarte : « Les authentiques vocations sacerdotales n’existeront que lorsqu’une relation authentique, exigeante, libre et personnelle sera établie avec la personne du Christ. Cela peut paraître très simpliste, mais, à mon avis, la ‘nouvelle voie’ vers l’évangélisation de l’Amazonie est la nouveauté du Christ ».
Source : http://www.aceprensa.com/articles/amazonia-evangelizar-no-discutir-el-celibato/. Le texte a été traduit de l’espagnol par l’abbé Jean Gottigny. Il a fait l’objet d’une correction le 18-11-19.