Les grands classiques de la littérature nous éclairent sur la grandeur de la personne humaine.
C’est en janvier 1813 qu’a été publié le roman le plus aimé d’Angleterre. Orgueil et préjugés est devenu l’histoire-type d’un mariage en tout point convenable et d’une richesse éblouissante, mais il reste aussi, 212 ans plus tard, un modèle pertinent de vertus sociales et d’examen de conscience moral.
« La vanité et l’orgueil sont deux choses différentes », déclare Mary Bennet, « bien que ces mots soient souvent utilisés comme synonymes. Une personne peut être orgueilleuse sans être vaniteuse. L’orgueil se rapporte davantage à l’opinion que nous avons de nous-mêmes, la vanité à ce que nous voudrions que les autres pensent de nous ». Cette distinction — une opinion rehaussée de soi-même par opposition au fait de se fier à l’opinion d’autrui — s’avère avoir une bonne base étymologique. Le mot latin vanum signifie « vide », « sans contenu », « indigne de confiance » — comme une noix qui n’est qu’une coquille sans rien à l’intérieur, ou une armée qui a fière allure mais qui se disperse dans la bataille, ou encore une opinion sans aucune substance. Prud [qui a donné Pride, orgueil, NDT], en vieil anglais, a des connotations de bravoure et d’excellence.
Orgueil et préjugés médite abondamment sur ces deux traits de caractère. M. Darcy confie en sa supériorité intérieure, au point d’être hautain et dédaigneux. Miss Bingley est vaniteuse, certaine que ses qualités extérieures — apparence, élégance, manières et argent — la placent au-dessus des autres. L’orgueil, avec son orientation intérieure vers la valeur, peut apprendre de la valeur des autres : M. Darcy peut être racheté. Mais la vanité est vide. Le roman se termine sans la moindre perspective de salut pour Miss Bingley.
Le monde d’Austen est un monde d’éducation morale : nos manières — et avec elles notre caractère — peuvent être améliorées, approfondies et raffinées. Comme parent, c’est le type d’éducation que je prends le plus au sérieux. Je pense en particulier à l’orgueil et à la vanité de mes enfants. Je crois — surtout lorsqu’il s’agit d’une perspective de mariage — qu’ils devraient avoir une certaine fierté et apprendre à se réserver pour quelqu’un de valable. Quant à la vanité, je voudrais la vaincre à plate couture, surtout à l’ère des médias sociaux. Dans leurs pires versions, les médias sociaux sont la technologie de la vanité, un réseau électronique global dédié à « ce que nous voudrions que les autres pensent de nous ». Ils séparent le grain de son enveloppe et célèbrent l’enveloppe.
Leurs effets négatifs sont désormais évidents. Les recherches menées par TikTok lui-même indiquent que, chez les adolescents, « l’utilisation compulsive est corrélée à toute une série d’effets négatifs sur la santé mentale, tels que la régression des compétences analytiques, de la formation de la mémoire, de la réflexion contextuelle, de la profondeur de la conversation, de l’empathie et l’augmentation de l’anxiété ». Tout ce que Jane Austen aurait voulu que nous cultivions est systématiquement sapé par la cupidité des entreprises et par une génération de parents trop apathiques pour réagir.
Mes enfants me demandent quand ils pourront avoir un téléphone, et la réponse que je leur donne est, bien sûr, « Quand je serai mort ». Mais cela ne suffit pas à les éloigner des smartphones. Chaque jour, nous travaillons à construire une culture de la valeur intérieure, une indépendance par rapport à l’opinion des autres.
Austen elle-même a noté que la lecture avait un rôle à jouer : passant en revue les exigences habituelles d’une éducation — connaissance de la musique, de l’art, des langues étrangères, élégance personnelle, etc. — M. Darcy ajoute : « Et à tout cela, elle doit encore ajouter quelque chose de plus substantiel, à savoir l’amélioration de l’esprit par d’abondantes lectures. » La lecture cultive l’intériorité, tout en développant en nous une sensibilité aux émotions des autres. Il n’est pas surprenant qu’Austen dépeigne ses personnages en train de lire des livres et de constituer des bibliothèques : la lecture est l’un des fondements de sa culture. « Je ne peux comprendre que l’on néglige une bibliothèque familiale à une époque comme la nôtre », déclare M. Darcy.
Mais nous ne nous contentons pas de lire. Le week-end dernier, notre librairie a organisé son tout premier bal Orgueil et préjugés, au cours duquel plus de 150 membres de notre communauté, dont de nombreux enfants et adolescents, ont appris des danses country anglaises et se sont rencontrés et mélangés. Musique excellente, bonnes manières, élargissement du cercle de connaissances, exercice, sens de la beauté dans l’ordre, élégance vestimentaire et gastronomique — autant de bonnes choses qui se retrouvent dans un bal. (…) L’aspect le plus frappant de l’événement est sans doute le fait que les participants n’étaient pas sur leur téléphone, même pas pour prendre des photos de leurs beaux costumes. Ils étaient pleinement présents, apprenant des pas de danse, se souvenant de nouveaux noms, vérifiant leur carnet de bal. Et ils s’amusaient. Tout le monde voulait recommencer. (…)
Nous savons que c’est dans ce type de culture que nous voulons élever nos enfants. Nous pouvons sentir son pouvoir. Elle est suffisamment forte pour pousser les jeunes à ne plus utiliser leur téléphone, pour les obliger à se regarder dans les yeux, pour faire cesser les selfies, même lors d’une soirée où tout le monde était particulièrement beau.
Cette année marque les 250 ans de la naissance de Jane Austen, en 1775. Des événements seront organisés en son honneur dans le monde entier. C’est le moment idéal pour se familiariser à nouveau avec ses vertus — compétences analytiques, formation de la mémoire, réflexion contextuelle, profondeur de la conversation, empathie, autonomie, etc., tous les acquis ruinés par l’utilisation des médias sociaux. L’intérêt durable que suscite aujourd’hui Jane Austen ne se limite pas à l’envie de porter de jolies robes dans de grandes maisons : il indique une faim pour le type de nourriture qui peut rétablir la santé de notre société malade et solitaire.
Source : https://firstthings.com/jane-austen-against-the-smartphone/. Ce texte a été traduit de l’anglais par Stéphane Seminckx.