Ce livre nous présente le témoignage d’un bénévole, engagé dans les soins palliatifs. Il y rappelle notamment que le concept de « soin » exclut l’idée de donner la mort. L’appellation « soins palliatifs intégraux », incluant l’euthanasie, renferme une contradiction.
En 1995, Marie de Hennezel publiait son premier livre, « La mort intime », où elle affirmait « Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre ». Elle osait l’affirmer après avoir travaillé de nombreuses années comme psychologue dans la première unité de soins palliatifs française. Dans ces unités, des personnes, ne pouvant plus être aidées par la médecine curative, peuvent être accompagnées par une équipe de soignants motivés et mourir à leur heure, apaisées physiquement et psychiquement dans toute la mesure du possible. Le concept de soins palliatifs, né sous l’impulsion de Cicely Saunders au St Christopher’s Hospice de Londres dans les années 1960, est aujourd’hui devenu réalité dans de nombreux hôpitaux de par le monde. Cependant, de nos jours, la société a tendance à occulter la mort et à considérer que le temps qui la précède est un temps de souffrance inutile, dénué de sens. D’où l’émergence du concept de soins palliatifs dits « intégraux », qui englobe la possibilité de l’euthanasie.
En 2020, est parue la deuxième édition d’un livre intitulé « Prends mes mains dans les tiennes »*, résultat d’une réécriture complète d’une première édition publiée en 2014. Devenu volontaire dans une unité de soins palliatifs d’un hôpital bruxellois après s’être retiré de la vie professionnelle, son auteur, Attilio Stajano, y livre un poignant témoignage des accompagnements qu’il y a réalisés. Il y offre aussi une analyse de l’évolution qu’il a observée dans l’application du concept de soins palliatifs depuis que des lois dépénalisant l’euthanasie ont été votées dans plusieurs pays, la Belgique faisant office de précurseur en la matière.
A travers le récit de rencontres avec des malades en fin de vie, Attilio Stajano nous présente les soins palliatifs comme étant des soins spécialisés destinés à des personnes malades dont le pronostic vital est engagé à court terme et que la médecine ne peut plus guérir. L’intention est de soulager la douleur et d’assurer au patient un confort et une qualité de vie tels que les jours qui restent à vivre soient vécus le plus humainement possible. Le patient est placé au centre des soins dans le respect de ses priorités, en veillant à préserver l’unité de la personne souffrante dans toutes ses dimensions : physiologique, psychique, affective et spirituelle. Il ne s’agit pas de se tenir à l’écart des progrès de la médecine, mais de faire rimer qualité des soins avec humanité plutôt que rentabilité alors que les hôpitaux deviennent des entreprises où il faut faire tourner les machines pour équilibrer le budget. Les connaissances les plus actuelles quant au contrôle de la douleur sont appliquées. Quand la douleur physique est soulagée, il reste encore beaucoup de choses très importantes à faire avec le patient pour l’aider à affronter le plus sereinement possible cette phase ultime de sa vie sans en hâter le cours. Tenter d’achever ce qui reste inaccompli, découvrir que sa vie a eu un sens, tels sont des défis que des malades souhaitent encore aborder, témoigne Attilio Stajano. Il convient aussi de soutenir les familles et les proches, car trop angoissés par la souffrance du malade ou par leur propre souffrance, ils n’arrivent plus à discerner ce qui est encore bon pour le patient. C’est parfois aussi le moment où des nœuds se dénouent, avec des retrouvailles familiales et des pardons échangés. Et quand l’expression verbale n’est plus possible, il reste la présence silencieuse et le toucher, avec discrétion et sans rien imposer.
Confronté à la maladie, il arrive, écrit Attilio Stajano, que le patient désire la mort, par épuisement, par crainte de la douleur ou de la solitude, ou pour ne pas peser sur l’entourage. Surgit aussi souvent la difficulté de passer au-dessus de la déchéance que la maladie, parfois associée au grand âge, impose au corps. Attilio Stajano rappelle que même dans le corps dévasté par la maladie, la dignité de la personne n’est pas perdue, car « celle-ci est ontologique, elle ne dépend pas de la performance ». La famille, si elle est présente, n’arrive pas toujours à discerner ce que désire vraiment le patient et peut en arriver à souhaiter sa mort par compassion. Considérant qu’il s’agit d’assurer le meilleur accompagnement pour le patient, quelle que soit sa demande, l’euthanasie s’est progressivement introduite dans les services de soins palliatifs comme un soin de fin de vie, passant outre la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé, selon laquelle les soins palliatifs « n’entendent ni accélérer ni repousser la mort ».
Dans l’annexe de la nouvelle édition de son livre, Attilio Stajano présente les normes et pratiques en fin de vie dans plusieurs pays européens, avec un focus particulier sur la Belgique. Il tire un triste bilan près de 20 ans après le vote de la loi dépénalisant l’euthanasie sous certaines conditions en Belgique. Il observe une transformation de la profession médicale et de la société civile qui entraîne une déshumanisation des soins de fin de vie. Il constate que l’euthanasie est maintenant intégrée comme un des choix de fin de vie même dans des unités de soins palliatifs. Il pointe du doigt des extensions arbitraires des critères d’application de la loi par rapport aux intentions initiales du législateur et des transgressions non sanctionnées. Et de conclure en lançant ce cri d’alarme: « il est urgent de s’arrêter et de réfléchir, de chercher à faire la distinction entre ce qui est juste aux yeux de la conscience et ce qui est autorisé par la loi ».
* Attilio Stajano, « Prends mes mains dans les tiennes », Editions Mols, 2020. Danièle Godelaine est membre de l’asbl « Solidarité Fin de Vie », et bénévole dans une Maison de Repos et de Soins à Bruxelles.