L’auteur nous invite, à l’occasion de la journée mondiale du livre le 23 avril, à redécouvrir la valeur inestimable de la lecture pour la formation et le développement de la personne humaine, et à l’intégrer dans notre vie quotidienne.
Bruxelles, rond-point Montgomery, 2018. Une après-midi printanière, avec une température agréable et un petit vent tiède. Un couple se tient près de la sortie du métro et interpelle des passants, visiblement avec peu de succès. Un jeune garçon remonte l’escalier mécanique et sort de la station, les yeux cloués sur son livre ouvert. Il s’arrête, lève le regard et prend une bouffée d’air frais. Il jette un coup d’œil en direction de sa destination, reprend sa marche et replonge dans sa lecture. En passant à hauteur du couple, celui-ci l’interpelle. Il essaie de masquer sa surprise par un sourire à son interlocuteur, mais sans trop de conviction, pour éviter d’entamer ce qu’il craint devenir une longue conversation. La personne qui l’a arrêté ne cache pas son émotion de voir un lecteur en pleine rue. Elle le félicite à plusieurs reprises, en louant son esprit d’intellectuel. Le garçon la remercie, lui montre l’ouvrage, et, après avoir brièvement échangé avec elle, poursuit sa route et sa lecture.
La scène peut paraître banale, mais elle ne l’est pas. Si l’on doit s’émouvoir, féliciter et encourager quelqu’un parce qu’il lit, c’est que la lecture est devenue une pratique relativement peu courante dans la société de l’ « hyperloisir ». Non seulement elle est souvent considérée — de façon réductrice — comme un simple loisir mais, dans la gamme des loisirs, elle passe bien après la télévision, les relations sociales, le sport, les jeux vidéo, les séries et Internet.
Cependant, il y a peu d’activités aussi complètes pour le développement personnel et social que la lecture. Notre société manque cruellement de lecteurs et cela se remarque. Pour ne citer qu’un chiffre, en Europe, en moyenne 16% des adultes éprouvent des difficultés à lire et à écrire, d’après le rapport PISA (2012) (1).
Ne constatons-nous pas, si nous observons autour de nous, que bon nombre de personnes parlent de sujets sans les avoir véritablement étudiés ? Quand la lecture est abandonnée, c’est aussi l’étude qui est délaissée, et finalement toute la culture qui se trouve affectée. La lecture et l’étude sont aujourd’hui deux actes de rébellion, de lutte pour la liberté, car une société dont les individus ont abandonné la lecture et l’étude, est une société plus facilement manipulable et moins ouverte au dialogue. Or, tout dans la société actuelle nous pousse à mettre la lecture et l’étude de côté.
La « culture » de l’immédiateté et de l’efficacité, dans laquelle nous avons été formés et vivons, conduit à donner et recevoir, le plus rapidement possible, avec peu d’effort et de recul, beaucoup d’informations et d’avis, souvent divergents, voire contradictoires, et sans gradation en termes de véracité. La conséquence en est qu’on a l’impression de connaître beaucoup et rapidement. Mais on perd la formation, l’esprit critique, la capacité d’approfondir les sujets et de chercher la vérité sur les personnes, les choses et les évènements.
L’intelligence humaine cesse ainsi d’être cette belle capacité, vierge à la naissance et appelée à se perfectionner par la connaissance et la compréhension de la réalité tout au long de la vie, pour devenir un simple récipient qui se remplit, la majeure partie du temps, d’informations superficielles qui ne favorisent pas réellement le développement de la personne.
C’est là que se manifeste la beauté de la lecture. Elle qui fait honneur au profond désir de l’être humain de transmettre son savoir et sa sagesse afin que beaucoup d’autres puissent en profiter. Sur des supports qui peuvent aller le plus loin possible dans l’espace et dans le temps. Merveilleuse invention que l’écriture et ses différents supports !
A l’instar de ce que nous raconte Jean Giono dans son court et profond livre L’homme qui plantait des arbres, la lecture est une activité patiente et magnanime, transformatrice de la personne et de la société.
L’homme contemporain, obnubilé par le développement de la science et de la technologie, a fini par mépriser la lecture car il la juge fastidieuse, trop légère dans la balance du plaisir et du loisir à moindre effort.
Et pourtant. Depuis de nombreux siècles — et aujourd’hui encore plus —, la lecture s’avère être l’un de grands moyens de formation. Lire des ouvrages réputés par leur niveau littéraire, philosophique, historique, anthropologique ou sociétal, dans les divers domaines des connaissances, coopère puissamment au développement intégral de la personne et de sa culture générale.
Une bonne lecture — orientée au bien de la personne — ouvre des perspectives dans la vie ; elle donne accès à d’autres perceptions de la réalité et à des cultures qu’on ne connaîtra jamais, permettant ainsi de mieux comprendre les autres ; elle fait prendre du recul par rapport aux situations quotidiennes et invite à réfléchir ; elle facilite la vie sociale car elle amène des sujets, des centres d’intérêts et des émotions à partager avec d’autres ; elle permet de mieux comprendre l’être humain ; elle met des mots aux sentiments qu’on ressent et aide à mieux se connaître soi-même ; elle développe l’imagination, la créativité, l’empathie et la mémoire ; elle nourrit le vocabulaire et améliore la manière de s’exprimer.
Il va de soi que tous les livres ne méritent pas la même considération. Il y a des livres qui peuvent avoir des incidences négatives sur notre comportement ou entraîner une conception biaisée de la réalité. Mais beaucoup sont franchement excellents et contribuent à développer les valeurs humaines et spirituelles, aidant ainsi à grandir en tant que personne.
C’est que, comme tout acte humain, la lecture a une dimension morale. Il est dès lors important de porter un bon jugement et de se faire conseiller, non seulement pour éviter des lectures nuisibles, mais également pour essayer de donner priorité aux meilleurs livres, sans pour autant renoncer à ses centres d’intérêts et sujets de prédilection.
Deux conseils pratiques en guise de conclusion.
Etablir un moment (quotidien, hebdomadaire, mensuel) à consacrer à la lecture, sachant qu’elle contrarie la loi du moindre effort et que souvent le temps nous manque. Ne pas se tromper en attendant que la période opportune arrive. Si l’on n’est pas habitué à lire, il faut commencer par se forcer et ainsi créer un habitus, qui deviendra moins laborieux au fur et à mesure qu’on l’acquiert, et finira par nous donner le goût de la lecture.
Pour tirer profit à long terme des lectures, il est utile de prendre note des idées intéressantes et des phrases qui attirent notre attention. Grande est la différence — et cela se remarque — entre la personne qui cite un auteur qu’elle a lu, et celle qui a trouvé la citation, par exemple, sur Internet. Alors que la première en connaît le contexte et l’a faite sienne, la deuxième ne fait qu’en profiter superficiellement pour agrémenter son discours. Rien de tel que de s’arrêter pour savourer, intégrer et retenir une phrase qui exprime nettement et correctement une idée ou une impression jusqu’alors confuse dans notre esprit !
Sergio Sahli est juriste et gérant dans le secteur non-marchand.
(1) http://www.eli-net.eu/fileadmin/ELINET/Redaktion/Factsheet-Literacy_in_Europe-A4.pdf