Nous reproduisons ici un article d’opinion, publié le 24 juillet dernier dans La Libre Belgique.
Jusqu’à présent, l’aspect le plus positif de la pandémie a été la clarté avec laquelle nous avons pu constater qui contribue le mieux à la paix et au progrès social. Comme l’a dit Guilluy, « les invisibles, ceux qui ‟n’étaient personne” hier encore, ont montré en quelques heures qu’ils étaient en fait les rouages essentiels de la société ». Alors que d’autres sont restés immobiles face à la surprise et à la peur, ou ont même tenté de profiter de la situation, les professionnels des soins ont consacré tout le temps nécessaire et déployé de grands efforts, au risque même de leur propre santé et de leur vie, pour que les malades puissent être pris en charge et que nous nous sentions tous protégés.
Les professionnels des soins rassemblent évidemment le personnel médical et paramédical, mais également tous ceux qui ont une famille et s’occupent de leurs enfants, de leurs parents ou de leurs frères et sœurs. Ce n’est pas là un choix idéologique, confessionnel ou politique, mais une réalité dont nous bénéficions tous. Comme l’a souligné à plusieurs reprises l’Assemblée générale des Nations unies, « les familles fournissent des soins et un soutien matériel et immatériel à leurs membres, qu’il s’agisse d’enfants, de personnes âgées ou de malades, en les protégeant autant que possible de potentielles carences » (A/66/62).
Sans se plaindre, l’immense majorité des parents, des frères et sœurs et des enfants ont appris à mieux agencer leur travail avec les tâches domestiques, à consacrer plus de temps à l’éducation des enfants, à déceler dans le quotidien les occasions de célébrer la famille, qu’ils aient été confinés ensemble ou qu’ils se soient retrouvés derrière un écran, et à remercier ceux qui ont continué à travailler dehors, car ils ont apprécié mieux que quiconque l’importance qu’ils ont pour le monde. En un mot, ils ont appris que même si nous devons garder une distance physique avec les autres pendant un certain temps, nous devons, comme toujours, être très proches d’eux socialement.
Les conséquences du virus n’ont pas été les mêmes pour les personnes âgées, pour les professionnels de la santé, pour ceux qui ont perdu leur emploi ou pour ceux qui n’ont pas pu se permettre de rester confinés. Ce fardeau supplémentaire a largement pesé sur les familles, qui ont vu leurs obligations se multiplier.
Quatre principes fondamentaux pour un bel avenir
Nous avons ainsi mieux compris que la société dont nous étions peut-être fiers n’est pas aussi idyllique que nous le pensions, en termes d’égalité et de liberté, surtout pour les « invisibles ». En pensant à l’avenir, nous constatons que notre marché du travail est obsolète parce qu’il ne permet pas aux femmes de choisir librement la maternité ou leur indépendance ; notre éducation est obsolète, parce qu’elle ne s’adapte pas à l’offre de travail ; notre système social, économique et politique est obsolète, parce que lorsqu’il remporte la victoire contre la pauvreté traditionnelle, il apporte une pauvreté d’un nouveau genre, une pauvreté de temps et d’affection, de l’affection dont nous avons tous tant besoin.
L’Agenda 2030 pour le développement durable, signé par tous les gouvernements du monde il y a cinq ans, a établi la feuille de route la plus claire pour correctement conquérir notre avenir, mais pas la manière de le faire. L’éradication de la pauvreté, le renforcement des habitudes de santé, la mise en place d’une éducation de qualité et équitable pour tous et la réalisation de l’égalité des sexes sont des objectifs incontestés pour tous, mais comment trouver la bonne voie pour y parvenir ? J’ai essayé de répondre à cette question lors de la présentation du document sur les familles et le Covid-19 lors de la célébration officielle de la Journée internationale des familles aux Nations unies. Je pense que, comme l’a montré la récente étude de l’UNICEF présentée le 15 mai dernier, la famille est la bonne réponse dans une approche vraiment holistique. La cellule familiale s’est avérée être le principal acteur du développement des sociétés et la pierre angulaire des villes durables. Par conséquent, tout ce qui concerne son développement doit attirer l’attention pour faciliter son rôle pour les générations à venir.
Une première reconnaissance a été consacrée dans plusieurs documents récents de l’Union européenne, comme le récent accord du Conseil européen, composé des chefs d’État ou de gouvernement, qui déclare que « les politiques publiques doivent être conçues pour créer les conditions, y compris dans l’environnement économique, permettant aux individus et aux familles d’avoir les enfants qu’ils souhaitent et de bénéficier d’une meilleure qualité de vie, de vivre plus en sécurité et de concilier leurs responsabilités professionnelles, familiales et celles liées aux soins » (CM 2525/20).
Il semble évident que les choses ne seront plus ce qu’elles étaient, et que, telles qu’elles sont, personne ne souhaite les conserver. Nous ne pouvons pas changer cela, mais l’avenir dépend de la façon dont nous utiliserons toutes ces leçons pour promouvoir un nouvel ensemble de règles qui, à mon avis, devrait être basé sur quatre principes fondamentaux :
- Flexibilité des conditions de travail : nous avons vu que le télétravail peut être la norme dans de nombreux cas, car il permet de concilier plus facilement travail et famille, aide le travailleur à se sentir plus intégré et permet également à l’entreprise d’économiser de l’espace, du temps et des coûts.
- La responsabilité du partage du travail à la maison : grâce à des modalités de travail plus souples, les femmes ne devront plus faire face seules à la triple charge de travailler comme un homme, d’avoir des enfants et d’être responsables de la plupart des tâches ménagères, puisque les parents pourront passer plus de temps à la maison.
- Solidarité intergénérationnelle : la pandémie a été particulièrement préjudiciable aux membres des groupes sociaux les plus vulnérables, en particulier les personnes âgées, les personnes handicapées et autres malades, ainsi que les jeunes et les populations indigènes dans certaines régions. Au-delà de son impact immédiat sur la santé, la pandémie exposera un grand nombre d’entre eux à un risque accru de pauvreté, de discrimination et d’isolement. Il est nécessaire de rétablir le lien intergénérationnel et de trouver des moyens pratiques pour démontrer que toutes les vies humaines sont d’égale importance.
- Durabilité : n’oublions pas que ce terme, tel qu’il a été initialement créé par la Commission Brundtland en 1994, désigne un développement qui permet de «répondre aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins». Nous devons prendre soin de notre planète, mais parce que nous voulons assurer l’avenir de ses habitants, de nos semblables.
En plus de tant de souffrances, cette pandémie nous offre une occasion unique de transformer nos environnements en des lieux qui facilitent la vie de tous, et en particulier de ceux qui permettent à la société de se renouveler et de se tourner vers l’avenir. Ce faisant, nous contribuerons à rendre l’« invisible » visible et, par là-même, à faire comprendre qu’une grande partie de ce qui a été visible jusqu’à présent n’est pas pertinent.
Ignacio Socias est directeur des relations internationales de l’International Federation for Family Development. Il a coordonné le projet de l’UNICEF « Objectifs de développement durable et politiques familiales » et a présenté le document sur les familles et le Covid-19 lors de la célébration officielle de la Journée internationale des familles aux Nations unies. Nous avons publié cet article sous son titre original. Titre de la rédaction de La Libre Belgique et source : https://www.lalibre.be/debats/opinions/coronavirus-cette-pandemie-nous-offre-une-occasion-unique-de-transformer-nos-environnements-en-des-lieux-qui-facilitent-la-vie-de-tous-5f1ad03a7b50a677fb2c910a.