Le 9 avril 2020, en l’église de Saint-Germain l’Auxerrois, Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, a célébré la messe de la Cène du Seigneur « sans la présence des fidèles ». Voici le texte de son homélie.
« Faites ceci en mémoire de moi ». Voici les paroles éternelles qui traversent le temps et l’espace. Saint Paul nous dit que lorsque nous mangeons ce pain et buvons ce vin, nous proclamons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. Que se passe-t-il en ce temps où la mort rôde dans notre pays et dans le monde entier ? Nous ne mangeons plus le pain de la vie ? Nous ne proclamons plus sa mort ?
Vous le savez, tous les prêtres célèbrent la messe chaque jour. Ce n’est pas facultatif, ce n’est pas une fonction subalterne. C’est le cœur même de leur ordination. Le sacerdoce ministériel, le sacerdoce des prêtres est au service du sacerdoce des baptisés. C’est le sens même du lavement des pieds. Il est ordonné pour que ces baptisés deviennent toujours plus des disciples missionnaires. La célébration de la messe nous introduit à une dimension eschatologique car elle fait pénétrer la création tout entière dans une dimension céleste. Tout est récapitulé dans le Christ et la créature rejoint son Créateur. La célébration de l’eucharistie est le centre de la vie du prêtre, il s’agit de l’expression vitale de son sacerdoce. C’est une question de vie ou de mort. Un prêtre qui ne célèbre pas la messe pourrait être poursuivi pour non-assistance à personne en danger.
Ce que nous vivons en ce moment où les prêtres célèbrent sans leurs fidèles nous fait saisir profondément ce que peut être la souffrance du prêtre. La souffrance du prêtre n’est pas ce que les braves gens croient habituellement. Ils disent : « C’est parce qu’il vit seul, qu’il est célibataire, qu’il n’aura pas d’enfant ». Cette compassion est touchante, mais elle n’est pas exacte. Le choix assumé du célibat est un acte de la liberté comme tout engagement radical. C’est surtout un acte d’amour, un don total de soi à Dieu qui nous prend tout entier avec nos faiblesses, nos manquements, notre misère. La souffrance du prêtre est liée à l’eucharistie, à la messe. Le prêtre donne son corps, son cœur, sa parole, son être tout entier pour que le Christ sauve le monde par son offrande en ce lieu, en cet instant où la messe est célébrée.
Il y a un peuple élu : le peuple juif. Il y a un peuple de prêtres : le peuple chrétien. À la messe, les baptisés offrent à Dieu l’unique sacrifice du Christ et l’offrent pour le salut du monde. Quand le prêtre, le dimanche, voit une église vide de ses baptisés, qu’il entend cette phrase crucifiante : « Ce matin j’ai préféré faire la grasse matinée » ou bien : « Je n’avais pas envie » ou encore : « C’est trop long et c’est ennuyeux » et puis aussi : « Je prie tout seul », son cœur est vraiment transpercé comme celui de la Vierge Marie au pied de la Croix. Voilà la souffrance du prêtre. Elle est invisible, elle n’est connue que de Dieu seul. Je crois que c’est Jésus qui fait ainsi à ses prêtres la grâce de partager avec lui un tout petit peu de sa douleur extrême d’avoir été rejeté le Vendredi saint : « Mon âme est triste à en mourir » (Mt 26, 38). Vous pensez peut-être que cette souffrance du prêtre est bien légère. Eh bien vous vous trompez car les blessures les plus douloureuses sont les blessures faites à l’amour. Le prêtre a donné sa vie par amour : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » (Mt 6, 21).
Si tous les baptisés avaient l’intelligence de ce qui se passe à la messe, ce n’est pas 4 % des baptisés qui pratiqueraient, mais 100 %. Espérons que ce que nous vivons aujourd’hui donnera à tous les baptisés l’intelligence de ce grand mystère et un cœur qui se laisse toucher par l’amour du Seigneur.