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« Amoris laetitia »: fidélité à la doctrine et renouveau pastoral

2 mai 2016

 

« L’Institut Pontifical Jean-Paul II pour l’étude du Mariage et de la Famille » accueille avec respect, gratitude et disponibilité filiale l’exhortation apostolique Amoris Laetitia.

 

Dans ce document, le pape François a conclu le chemin synodal commencé il y a deux ans. Nous avons accompagné ce chemin avec la préoccupation que notre contribution ne soit pas absente, avec ouverture de cœur et d’esprit, avec clarté et franchise, sûrs de la fécondité de l’inspiration qui naît de Jean-Paul II, « le pape de la Famille » et qui a mûri pendant ces 34 années d’engagement en recherche et enseignement, toujours vécus en lien étroit avec l’expérience concrète de la pastorale familiale.

Je souhaite communiquer rapidement quelques réflexions qui proviennent d’une première lecture du document. Il faudra du temps pour approfondir avec l’attention que cet enseignement du pape François mérite, caractérisé surtout par le grand désir pastoral d’annoncer la Bonne Nouvelle de la famille à partir de la perspective de la miséricorde, souhaitant rencontrer les familles dans le concret de leur existence et leur fragilité, ouvrant pour toutes un chemin de conversion et de croissance dans l’amour.

Dans le débat ecclésial et dans l’opinion publique, est apparu un grand intérêt pour une question concrète qui n’est certainement pas la plus importante d’un point de vue pastoral, à savoir l’admission à l’Eucharistie des divorcés remariés civilement. En effet, comme le même pape François l’a fait remarquer, ce problème n’est pas central dans le synode. Il suffit de penser aux grands défis de l’Église envers la famille dans le contexte actuel : le fait que les jeunes se marient de moins en moins jeunes ; la perte du rôle social du mariage ; les nouvelles idéologies qui menacent la famille ; et surtout et avant tout, le grand devoir de porter de Christ à toutes les familles, dans le cadre de la nouvelle évangélisation… Sans doute, certains ont voulu concentrer l’attention sur ce point spécifique en le considérant comme un test de vérification, avec l’espoir d’un éventuel changement dans la position de l’Église (on a parlé de « révolution »), comme s’il concernait seulement le niveau pastoral et non doctrinal.

Un chemin d’accompagnement et d’intégration pour les personnes éloignées

Pourtant la question est légitime : le texte qui vient d’être publié représente-t-il vraiment un changement dans la discipline traditionnelle de l’Église, permettant finalement aux divorcés « de revenir à la maison » et d’y recevoir la communion, au moins à certaines occasions ? Après avoir lu le chapitre 8, dans lequel cette question est examinée, il y a une seule conclusion possible : l’exhortation apostolique Amoris Laetitia ne change pas la discipline de l’Église, qui s’appuie sur des raisons doctrinales, comme l’indique Familiaris Consortio n° 84, et le confirme Sacramentum Caritatis n° 29. En effet, le texte du chapitre 8 ne mentionne en aucune façon l’Eucharistie. Dans aucune partie de la nouvelle exhortation post-synodale, le pape François ne dit que les divorcés « de retour à la maison » peuvent accéder à l’Eucharistie sans l’exigence de « vivre comme frère et sœur ». Cette exigence de Familiaris Consortio n° 84 et de Sacramentum Caritatis n° 29 reste totalement valide, comme point de référence pour le discernement. Le minimum que l’on devrait demander pour légitimer le changement d’une discipline enracinée dans la Tradition et la doctrine de l’Église, établie fermement par le Magistère (cf. Mt 5, 37), est une clarification, libre de toute ambiguïté. En effet Jean-Paul II, dans Familiaris Consortio et Benoit XVI dans Sacramentum Caritatis, se sont exprimés avec une clarté limpide.

De plus, il est évident que le pape François, qui a insisté sur l’importance du principe synodal de l’Église, n’a pas souhaité aller au-delà des décisions synodales. Pour autant, on doit aussi affirmer avec clarté qu’admettre à la communion les divorcés « de retour à la maison », en dehors des situations prévues par Familiaris Consortio n° 84 et Sacramentum Caritatis n° 29, va contre la discipline de l’Église, et qu’enseigner que c’est possible va contre le Magistère de l’Église.

Le document du pape François propose par contre un chemin d’intégration, qui permet à ces baptisés de s’approcher graduellement du mode de vie de l’Evangile. En effet, les normes objectives ne tiennent pas compte de la culpabilité subjective (dont seul peut être juge Dieu qui scrute les cœurs), mais respectent les exigences et le but vers lequel tend toute évangélisation : une vie entière conforme à l’Evangile, que l’Église est appelée à offrir à tous, sans exception ni casuistique.

C’est en effet possible, puisque c’est ce que demande l’évangile (n° 102). Quant aux normes morales négatives qui interdisent les actions intrinsèquement mauvaises, il ne peut y avoir ni exception, ni progressivité, et aucun discernement possible qui légitime les dites actions. C’est l’enseignement solide de saint Jean-Paul II dans l’encyclique Veritatis Splendor.

Quelle est alors la nouveauté de ce chapitre huit ? Ce n’est pas la nouveauté d’un changement de doctrine ou de discipline, mais le point de vue pastoral miséricordieux du pape François, avec son désir de porter l’Evangile à ceux qui en sont éloignés, suivant ainsi une logique d’intégration progressive. Pour cela, le document indique qu’il peut exister des circonstances dans lesquelles les personnes qui vivent objectivement dans une situation de péché, peuvent ne pas être coupables en raison d’ignorance, de peur, d’affections désordonnées ou d’autres raisons, que la tradition morale a toujours reconnues et que le Catéchisme de l’Église Catholique mentionne au n° 1735. Cette affirmation est importante : elle signifie que nous ne devons pas juger ou condamner ces personnes, sans être miséricordieux et patients envers elles, ainsi que l’est le Père avec chacun d’entre nous, et chercher pour chacun le chemin de conversion du péché, et de croissance en charité. Il est certain que l’affirmation d’Amoris Laetitia, montre l’impossibilité de définir la « mortalité » du péché personnel, en faisant abstraction de la responsabilité du sujet, qui peut être atténuée ou faire défaut (n° 301), mais n’enlève pas la nécessité de dire que malgré tout, il s’agit d’un état objectif de péché (n° 305).

Une nouvelle perspective pastorale pour l’Église

Mais alors, une fois exclues les interprétations casuistiques et tendancieuses, que veut véritablement nous dire le Saint-Père dans ce texte ? En voici la réponse simple et décisive : il veut annoncer d’une nouvelle manière l’Evangile de la famille et souhaite inviter toutes les personnes, quelle que soit leur situation, à un nouveau chemin : « cheminons, familles, continuons de cheminer » (n° 325). Lui-même avait suggéré cette clé d’interprétation fondamentale quand, au retour de Terre Sainte en mai 2014, il avait dit que la question fondamentale qui l’avait inspiré à promouvoir le chemin synodal, n’était pas une question casuistique, mais l’urgence d’annoncer « ce que le Christ dit à la famille ». Et dans le document, il part du constat que, malheureusement, dans nos sociétés occidentales, y compris chez de nombreux baptisés, le mariage n’est déjà plus considéré comme une Bonne Nouvelle. C’est ici le véritable problème pastoral, celui que l’exhortation apostolique traite avec courage. Le pape veut ouvrir un nouveau chemin, pour la proclamation de la Bonne Nouvelle du mariage et de la famille pour la vie de l’Église.

Pour bien en comprendre le sens, il faut observer que, dans ce document, le pape place au centre de sa méditation l’hymne à la charité (1 Co 13) (chapitre 4), dans lequel l’apôtre saint Paul parle de la charité comme d’une route meilleure. De cette façon, le pape montre que, pour lui, l’amour est une route toujours nouvelle, à parcourir dans la pleine fidélité au plan de Dieu sur l’amour humain. Le dessein de Dieu sur l’amour humain inclut naturellement les dimensions fondamentales que la belle théologie du corps de saint Jean-Paul II, reprise dans le document (n° 150 et suivants), avait rappelée et qui est illustrée et rappelée par le pape François : la différence sexuelle, l’unité indissoluble, la fidélité et l’ouverture à la vie dans la fécondité.

Dans le parcours de cette route de l’amour, reprenons quelques éléments décisifs proposés dans l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, de grande valeur pour le renouveau pastoral :

1. Le cœur du thème éducatif comme vocation à l’amour (chapitre 7)

Fréquemment dans le document, le pape parle de « chemin », « d’histoire », de « récits ». Ce sont des termes qui montrent l’importance de la dimension de la liberté dans le temps : l’Église non seulement « sort » et s’approche des personnes, en les accueillant telles qu’elles sont, en devenant compagne de leur chemin, en les rencontrant ou elles se trouvent, et en les aidant à atteindre un but possible. Face à l’analphabétisme affectif et la fragilité des personnes pour prendre des décisions importantes et irrévocables (« pour toujours »), la réponse peut seulement être un engagement éduqué et renouvelé de la famille, de l’Église et des groupes sociaux.

2. La clarté de l’enseignement sur l’amour conjugal et la fécondité à partir de l’encyclique Humanae Vitae

Le devoir de retour à l’encyclique de Paul VI (dont nous célébrerons le 50e anniversaire) s’ouvre ainsi, comme proposition de l’Église pour évangéliser l’intimité sexuelle.

C’est une lumière nécessaire dans une culture, qui à partir de la révolution sexuelle, a oublié le langage du corps et de la sexualité (n° 222). Ce Magistère réellement prophétique se confirme pleinement dans la perspective d’une écologie intégralement humaine.

3. La reconnaissance de la centralité pastorale de la famille

La famille n’est pas principalement un problème pastoral à résoudre entre bien d’autres, mais un sujet vivant et présent. Il est le principal recours pour l’évangélisation, dans la perspective d’une Église plus familière, une Église qui offre le profil d’une « famille de Dieu ». Il faut activer une circulation et une synergie vertueuse entre Église et famille : tout comme la famille est une « petite Église domestique », la grande Église doit avoir les traits de « la famille de Dieu » (n° 86-87) et elle doit être vécue comme telle.

4. Le caractère sacramentel de la vie chrétienne

Le christianisme se base sur un événement historique qui nous atteint dans la chair et transforme la chair de l’homme. Ce ne sont pas des projets pastoraux élaborés autour d’une table qui peuvent sauver ; il s’agit encore moins d’adapter la morale chrétienne à la mentalité d’un monde occidental en crise de sens. Pour cela, il faut dépasser un quelconque point de vue de l’amour purement émotif ou banalement contractuel et récupérer le sens du mariage comme « charnière » vocationnelle de la vie chrétienne, pour qui y a été appelé.

Affaiblir le mariage dans ses exigences constitutives signifie perdre, outre l’ontologie sacramentelle, le don divin qui soutient la vie de l’Église.

En quittant une logique casuistique, on observe de plus le grand horizon positif que le document du pape François ouvre pour la mission de l’Église vis-à-vis des familles, précisément en tant qu’il remet au centre la question éducative comme question pastorale décisive. Ici l’Institut Pontifical Jean Paul II, se sent appelé d’une manière particulière à la mission reçue, de par son expérience mûrie à un niveau théologique et pastoral.

Mgr Livio Melina est Recteur de l’Institut Pontifical Jean-Paul II pour l’étude du Mariage et de la Famille. La version originale de ce texte a été publiée le 10-4-16 sur http://www.istitutogp2.it/. Ce texte a fait l’objet de deux corrections le 26-5-16.