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“Amoris laetitia”: quelques repères doctrinaux

26 avril 2016

L’Exhortation apostolique Amoris lætitia offre les bases pour donner une nouvelle et bien nécessaire impulsion à la pastorale familiale, sous tous ses aspects. Au chapitre VIII, le texte évoque certaines situations délicates qui font assez clairement apparaître la faiblesse humaine. Le titre du chapitre résume assez bien l’orientation proposée par le pape François : « Accompagner, discerner et intégrer la fragilité ».

 

Nous sommes invités à éviter les jugements sommaires et les attitudes de rejet et d’exclusion, et à assumer, en revanche, la tâche de discerner les diverses situations, en engageant avec les personnes concernées un dialogue sincère et empreint de miséricorde. « Il s’agit d’un itinéraire d’accompagnement et de discernement qui “oriente ces fidèles à la prise de conscience de leur situation devant Dieu. Le colloque avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus entière à la vie de l’Église et sur les étapes à accomplir pour la favoriser et la faire grandir. Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. Familiaris consortio, n. 34), ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église (…)” »1, exigences que le Saint-Père présuppose et qu’il n’a voulu en aucun cas changer2.

En ce qui concerne les sacrements de Pénitence et de l’Eucharistie, l’Église a toujours et partout enseigné que « celui qui est conscient d’un péché grave doit recevoir le sacrement de la Réconciliation avant d’accéder à la communion »3. La structure fondamentale du sacrement de la Réconciliation « comporte deux éléments également essentiels ; d’une part, les actes de l’homme qui se convertit sous l’action de l’Esprit Saint : à savoir la contrition, l’aveu et la satisfaction ; d’autre part, l’action de Dieu par l’intervention de l’Église »4. Si la contrition parfaite ou imparfaite (attrition), comportant la résolution de changer de vie et d’éviter le péché, manquait totalement, les péchés ne pourraient pas être pardonnés et l’absolution, si elle est donnée, serait invalide5.

Le processus de discernement doit aussi être cohérent avec la doctrine catholique sur l’indissolubilité du mariage, dont la valeur et l’actualité sont fortement soulignées par le pape François. L’idée que les rapports sexuels seraient licites dans le cadre d’une deuxième union civile suppose que cette deuxième union serait considérée comme un vrai mariage, supposition en contradiction avec la doctrine de l’indissolubilité selon laquelle le mariage conclu et consommé ne peut pas être dissous, même par le pouvoir vicaire du Pontife romain6. En revanche, si la deuxième union n’est pas reconnue comme un vrai mariage, le premier étant et restant le vrai mariage, l’on accepterait un état et une condition de vie qui « est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans l’Eucharistie »7. Si, en outre, la vie more uxorio [NDT : « comme des époux »] dans la deuxième union était considérée comme moralement acceptable, le principe fondamental de la morale chrétienne selon lequel les rapports sexuels ne sont licites qu’à l’intérieur du mariage légitime serait remis en cause. Aussi la Congrégation pour la Doctrine de la Foi disait-elle dans sa Lettre du 14-IX-1994 : « Le fidèle qui vit habituellement more uxorio avec une personne qui n’est pas sa femme légitime ou son mari légitime, ne peut accéder à la Communion eucharistique. Si ce fidèle jugeait possible de le faire, les pasteurs et les confesseurs auraient, étant donné la gravité de la matière ainsi que les exigences du bien spirituel de la personne et du bien commun de l’Église, le grave devoir de l’avertir qu’un tel jugement de conscience est en opposition patente avec la doctrine de l’Église »8.

Le pape François rappelle à juste titre qu’il peut exister des actions qui, tout en étant gravement immorales du point de vue objectif, ne seraient pas imputables sur le plan subjectif, tout au moins pas pleinement, à cause de l’ignorance, de la peur ou d’autres circonstances atténuantes que l’Église a toujours prises en compte. À la lumière de cette possibilité, il ne serait pas possible d’affirmer que celui ou celle qui vit dans une situation matrimoniale objectivement et gravement irrégulière soit nécessairement en état de péché mortel9. La question est délicate et difficile, parce que le principe que « de internis neque Ecclesia iudicat » — à savoir que même l’Église ne peut pas juger de l’état intime de la conscience — a toujours été accepté. C’est pourquoi le Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs affirmait dans sa Déclaration à propos du canon 915, citée par le pape François10, que l’interdiction de recevoir l’Eucharistie s’étend aussi aux fidèles divorcés remariés, ayant grand soin de préciser ce qui doit s’entendre par péché grave dans le contexte de ce canon. Voici le texte de la Déclaration : « La formule “et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste” est claire et doit être comprise d’une façon qui n’en déforme pas le sens, en rendant la norme inapplicable. Les trois conditions suivantes sont requises : a) le péché grave, compris objectivement, parce que de l’imputabilité subjective le ministre de la communion ne peut juger ; b) la persistance obstinée, ce qui signifie qu’il existe une situation objective de péché qui perdure au cours du temps, et à laquelle la volonté des fidèles ne met pas fin, tandis que d’autres conditions ne sont pas requises (attitude de défi, monition préalable, etc.) pour que la situation soit fondamentalement grave du point de vue ecclésial ; c) le caractère manifeste de la situation de péché grave habituel. »11

La même Déclaration précise que certains divorcés remariés ne sont pas en cette situation de péché grave habituel, concrètement ceux qui, ne pouvant pas interrompre la vie commune pour des raisons sérieuses, s’abstiennent des actes propres des conjoints, demeurant pour eux l’obligation d’éviter le scandale, puisque le fait de ne pas vivre more uxorio est en soi tout à fait privé12. En dehors de ce cas, à l’heure de prodiguer les soins pastoraux à ces fidèles, il faudra tenir compte du fait qu’il semble très difficile que ceux qui vivent une deuxième union puissent avoir la certitude morale d’être en état de grâce, car seule l’interprétation de signes objectifs peut permettre à la conscience et au confesseur de le confirmer. En outre, il faudrait distinguer entre une vraie certitude morale subjective et une erreur de conscience que le confesseur a l’obligation de corriger, comme nous l’avons dit, pour autant que dans l’administration du sacrement le confesseur est non seulement père et médecin mais aussi maître et juge, tâches dont il doit certainement s’acquitter avec le maximum de miséricorde et de délicatesse, en cherchant avant tout le bien spirituel de ceux qui s’approchent de la confession.

Les aspects doctrinaux mentionnés, appartenant à l’enseignement multiséculaire de l’Église et pour un bon nombre au magistère ordinaire et universel, ne doivent pas empêcher les prêtres d’engager dans un esprit ouvert et de grand cœur un dialogue cordial de discernement. Comme le pape François l’a écrit, il s’agit « d’éviter le grave risque de messages erronés, comme l’idée qu’un prêtre peut concéder rapidement des ‘‘exceptions’’, ou qu’il existe des personnes qui peuvent obtenir des privilèges sacramentaux en échange de faveurs. Lorsqu’on rencontre une personne responsable et discrète, qui ne prétend pas placer ses désirs au-dessus du bien commun de l’Église, et un Pasteur qui sait reconnaître la gravité de la question entre ses mains, on évite le risque qu’un discernement donné conduise à penser que l’Église entretient une double morale »13. Bien au contraire, sachant que les circonstances particulières sont très variées et que leur complexité peut être grande, les principes doctrinaux mentionnés devraient aider à discerner la meilleure voie pour aider les personnes concernées à emprunter un chemin de conversion qui les conduise à une meilleure intégration dans la vie de l’Église et, lorsque cela sera possible, à la réception des sacrements de Pénitence et de l’Eucharistie.

Notes

1. Pape François, Exhortation apostolique post-synodale Amoris lætitia, 19-III-2016, n° 300. La citation interne correspond au n° 86 du Rapport final du Synode 2015.

2. Le Saint-Père l’affirme explicitement dans Amoris lætitia, n° 300.

3. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 1385.

4. Ibid. 1448.

5.  Cf. ibid. 1451-1453 ; Concile de Trente, sess. XIV. Doctrina de sacramento pænitentia, ch. 4 (DH 1676-1678).

6. Saint Jean Paul II, dans son discours à la Rote romaine, 21 janvier 2000, n° 8, a déclaré que cette doctrine est définitive.

7. Saint Jean Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio, 22 novembre 1981, n° 84.

8. Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi aux évêques de l’Église catholique sur l’accès à la communion eucharistique de la part des fidèles divorcés remariés, 14-IX-1994, n° 6.

9. Cf. Amoris lætitia, n° 301.

10. Cf. ibid. n° 302.

11. Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs, Déclaration sur l’admissibilité à la Sainte Communion des fidèles divorcés remariés, 24-VI-2000, n° 2.

12. Cf. ibid. Il n’est pas inutile de rappeler qu’on ne peut pas exiger que les fidèles qui vivent une deuxième union civile garantissent absolument qu’ils n’auront plus jamais de rapports conjugaux. Il suffit qu’ils aient la résolution ferme et sincère de s’abstenir. Dans certains cas, un seul des conjoint aura cette résolution, auquel cas et compte tenu des circonstances et de l’âge, cela peut être suffisant pour qu’il puisse accéder aux sacrements, le risque de scandale devant toujours être écarté.

13. Pape François, Amoris lætitia, n° 300.

Angel Rodríguez Luño est Doyen de la Faculté de Théologie de l’Université Pontificale de la Sainte Croix, Consulteur de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et membre ordinaire de l’Académie pontificale pour la Vie. Source : http://www.eticaepolitica.net/. Ce texte a été traduit de l’espagnol par l’abbé Alphonse Vidal. Il a fait l’objet de quelques corrections le 4-5-16.