Dans tout dialogue, le respect de l’autre exige de chercher à bien le comprendre. De bonnes relations avec l’islam imposent donc de nous efforcer d’entrer dans la « psychologie musulmane », dans la façon d’être, de penser et d’agir des musulmans. C’est ce que tente de faire Annie Laurent dans son petit livre « L’islam peut-il rendre l’homme heureux ? ».
Pour comprendre l’islam, on ne peut se limiter à des considérations historiques ou sociologiques, ni à des réactions émotives. Il faut s’investir dans une analyse rationnelle de son message, en prenant garde de distinguer sa doctrine des personnes qui la vivent, et en sachant que l’islam est interprété et vécu selon des modalités très diverses.
Le plus grand mérite de ce petit livre réside, à notre avis, dans la clarification des concepts, évitant des parallélismes indus entre islam et christianisme, qui naissent de confusions liées à l’emploi, dans les deux religions, de notions et de termes qui sont identiques mais recouvrent des réalités totalement différentes.
L’identité de l’homme
Dans un premier chapitre, Annie Laurent analyse la différence anthropologique radicale entre les visions musulmane et chrétienne, tributaire de conceptions opposées de Dieu. Là où le christianisme parle d’un Dieu unique en trois Personnes, d’un Dieu vivant une relation d’amour en Lui-même et avec ses créatures, d’un Dieu qui est communion de personnes et invite à la communion de ses créatures, d’un Dieu qui vient à la rencontre de l’homme en prenant sur Lui notre humanité, l’islam proclame le monothéisme absolu, radical, d’un Dieu solitaire, qui n’entre en relation avec ses créatures que pour exiger leur « soumission » (signification du mot « islam »).
Pour le musulman, l’être humain n’est pas « une image et une ressemblance de Dieu ». Pour lui, le fait que Dieu prenne un « visage humain » en Jésus-Christ est inconcevable. Dieu n’est pas un Père. Il n’offre pas un amour qui invite à une réponse d’amour.
Dans l’islam, la notion de « personne », d’une dignité humaine liée au fait d’être homme, un être doué de raison et de volonté libre, « capable de Dieu » comme dit le Catéchisme de l’Eglise Catholique, est tout simplement inexistante. C’est pourquoi les « droits de l’homme » sont subordonnées à la charia, la loi islamique, qui résulte de l’arbitraire de Dieu, impose des peines infamantes (comme des amputations) et instaure des inégalités (entre l’homme et la femme, entre le musulman et le non-musulman).
La vocation de l’homme
Le deuxième chapitre aborde « la vocation de l’homme ». Celle-ci réside tout entière dans la « soumission ». Il n’y a pas de relation d’amour, de collaboration, de filiation avec Dieu. L’histoire des alliances conclues par Dieu avec les hommes, qui traverse toute la Bible, est étrangère au Coran. Dieu doit être reconnu, adoré en tant que Dieu, mais, à part l’exception du soufisme — courant minoritaire et persécuté à l’intérieur même de l’islam —, il n’est pas aimé. A l’inverse, Dieu n’aime pas tous les hommes, mais seulement ceux qui lui obéissent. Le musulman ne prie pas, il ne dialogue pas avec Dieu : il « fait la prière », c’est-à-dire qu’il accomplit l’obligation de réciter des formules, cinq fois par jour. Le bien, pour lui, n’est pas ce qui attire le cœur de l’homme : il se réduit à l’obéissance à la Loi.
Outre la prière rituelle, la vie du musulman est rythmée par quatre autres obligations : la profession de foi (une simple formule, prononcée sans la moindre préparation catéchétique), le jeûne du Ramadan (souvent compensé par des agapes festives et abondantes au coucher du soleil), l’aumône légale et le pèlerinage à La Mecque.
La notion de péché n’est pas la même que dans le christianisme. Il est essentiellement désobéissance à la loi et perturbation de l’ordre public. Il n’y a pas de notion de « péché originel » : on n’a pas besoin d’être sauvé, mais simplement « guidé ».
De tout ceci résulte une conception des relations interpersonnelles et de la société fort différente de la vision chrétienne. Tout est soumis à l’idéal de l’expansion de l’islam, qui n’est pas tant une ambition spirituelle que politique : la femme ne peut épouser un non-musulman ; l’apostat est rejeté, voir châtié (parfois avec la mort), la violence (djihad) est admise pour répandre l’islam ; les juifs et les chrétiens qui vivent au milieu de musulmans sont soumis à des discriminations.
La destinée de l’homme
Les musulmans croient en l’au-delà (ciel et enfer ; il n’y a pas de purgatoire) et dans le jugement. Mais, ici aussi, il y a une différence fondamentale avec le christianisme. Les réalités de l’au-delà sont purement matérielles. Le ciel ne consiste pas en la vision béatifique de Dieu et en une communion plénière d’amour avec Lui. Il est réduit à une abondance infinie de biens, même ceux qui étaient interdits sur terre (comme l’alcool), sans souffrance ni travail, etc.
Le bonheur ne réside donc pas en une plénitude d’amour partagé, mais dans la pleine satisfaction d’aspirations matérielles. Ce qui nous ramène à cette question fondamentale : l’islam peut-il rendre l’homme heureux ?
Stéphane Seminckx est prêtre, Docteur en Médecine et en Théologie.
Annie Laurent est écrivain, journaliste et spécialiste du Moyen-Orient. Titulaire d’une maîtrise en Droit international, elle a obtenu un doctorat d’État en sciences politiques. Le pape Benoît XVI l’a nommée experte au synode spécial des évêques pour le Moyen-Orient qui s’est tenu à Rome en octobre 2010. Voici les références du livre : Annie Laurent, L’islam peut-il rendre l’homme heureux ?, Artège, Perpignan 2012 (80 pages). Cet article a fait l’objet d’un ajout le 7-4-16.