« Rayez de la loi la possibilité de l’euthanasie sur base de la seule souffrance psychologique » : sous ce titre, 65 spécialistes ont écrit une lettre ouverte publiée dans La Libre Belgique du 8-12-15.
Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’euthanasie en 2002, une décision d’euthanasie — le cas De Moor/Van Hoey — a été contestée par la commission d’évaluation et renvoyée à la justice. Il existe un documentaire télévisé de la chaîne australienne SBS de cette euthanasie ainsi que des conversations entre le patient et le médecin. De même, récemment ‘The Economist’ a diffusé un reportage vidéo incisif sur une jeune fille brugeoise de 24 ans, qui a renoncé en dernière instance à l’exécution de son euthanasie, qui lui avait été accordée pour motif de souffrance psychique (24 & Ready to Die).
Dans notre lettre ouverte du 11 septembre 2015 (Le Soir), nous avions épinglé l’insécurité juridique dans laquelle se trouvent les médecins pratiquant l’euthanasie pour seul motif de souffrance psychique. Avec cette deuxième carte blanche, nous voulons à nouveau attirer l’attention du public sur la difficulté spécifique que pose l’euthanasie pour seul motif de souffrance psychique, notamment l’impossibilité d’en objectiver l’incurabilité. L’idée que cette incurabilité puisse être attestée, par exemple, par des indications de lésions organiques ou de dommage des tissus, en d’autres termes, sur la base de critères démontrant la maladie, indépendamment de ce qui est ressenti ou pensé subjectivement, est problématique pour la souffrance mentale. Soyons clairs: la souffrance psychique est réelle et peut être au moins aussi sévère que la souffrance physique. Cependant, ce qui la caractérise, est qu’on ne peut se baser que sur la parole de celui qui souffre pour l’estimer. Et c’est une bonne chose, parce que seul celui qui souffre sait combien ça fait mal au moment même. Au moment même… puisque, quand nous souffrons mentalement, nous sommes le plus souvent convaincus que notre avenir est sombre. C’est même précisément cette pensée qui précipite notre détresse, puisque, tant que nous voyons des perspectives, nous arrivons généralement à supporter beaucoup.
La dépression est aujourd’hui la maladie mentale la plus répandue: on estime qu’une personne sur sept sera confrontée à une grave dépression dans sa vie (OMS, 2011). Si nous mettons ces chiffres en rapport avec le fait que le désespoir est l’un des éléments centraux d’un épisode dépressif, il apparaît clairement que le sentiment désespéré est sans rapport avec le caractère désespéré d’une situation. A la différence de maladies qui sont la conséquence de dommages organiques, la souffrance psychique est associée à un changement de fonctionnement – et non à une lésion – des tissus. Cette différence est essentielle car, par définition, ces changements dynamiques peuvent se renverser, et parfois même subitement. Nous voyons, par exemple, comment certaines personnes qui ont été déclarées incurables et qui, sur cette base, ont obtenu le droit à une euthanasie, y renoncent parfois quand de nouvelles – et fragiles – perspectives se font jour. Ceci prouve paradoxalement que la maladie ne pouvait être qualifiée d’incurable. L’évaluation subjective de ses propres perspectives, en cas de souffrance psychique, ne permet donc pas d’en étayer le caractère incurable. La conclusion est claire : la loi actuelle suppose à tort qu’en cas de souffrance psychique, il peut y avoir des critères cliniques objectifs qui permettent d’appuyer l’euthanasie. C’est pour cette raison que l’euthanasie pour seul motif de souffrance psychique ne peut être réglée par la loi.
Par ailleurs, d’aucuns défendent l’idée que (seule) la mort comme option peut induire un renversement vers un rétablissement et que pour cette raison cette option peut être considérée comme faisant partie de soins de qualité. A notre avis, ceci équivaut à une faillite radicale du secteur des soins de santé mentale. L’option de ‘la mort comme thérapie’, y compris son application effective par euthanasie dans certains cas, implique a priori le renoncement à ce qu’une thérapie peut et doit être dans tous les cas: l’ouverture inépuisable de nouvelles perspectives.
En tant que représentants des différents groupes professionnels directement impliqués par la question, dans les diverses régions du pays et au-delà des lignes de fracture idéologiques classiques, nous sommes alarmés par la banalisation croissante de l’accès à l’euthanasie pour seul motif de souffrance psychique. Nous sommes convaincus de ce que cette situation est intrinsèquement liée à l’impossibilité d’asseoir une législation sur une évaluation subjective. Voilà pourquoi nous insistons pour que soit retirée de la législation actuelle la possibilité d’une euthanasie au seul motif de souffrance psychique.
Arian Bazan est psychologue clinique à l’ULB. Avec Gertrudis Van de Vijver (Philosophe à l’UGent) et Willem Lemmens (éthicien à l’Université d’Anvers), elle a écrit cette lettre au nom de 65 professeurs, psychiatres et psychologues. La liste complète des signataires se trouve sur http://www.demorgen.be/opinie/schrap-euthanasie-op-basis-van-louter-psychisch-lijden-uit-de-wet-b277b650/. Le texte original se trouve sur http://www.lalibre.be/debats/opinions/la-mort-comme-therapie-la-difficulte-de-l-euthanasie-pour-seul-motif-de-souffrance-psychique-5666ec92357004acd0fe76a6#comments//.