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Des vérités non-négociables dans une culture relativiste

9 septembre 2014

Que peuvent avoir en commun la lutte pour l’abolition de l’esclavage, le mouvement pour les droits civils des noirs, la défense de l’enfant non encore né et du mariage, et la liberté religieuse ? La conviction qu’il existe des vérités qui sont intouchables parce que la qualité éthique de la société en dépend. Sheila Liaugminas, journaliste de Chicago, gagnante d’un prix Emmy et collaboratrice de MercatorNet, l’explique dans un livre.

 

D’où est venue l’autorité d’Abraham Lincoln pour dire que le droit de choisir d’avoir des esclaves était immoral ? Car en fin de compte, les lois du pays le permettaient. Et d’où vint l’autorité de Martin Luther King pour mener un mouvement réclamant de nouveaux droits civils pour les noirs ? Après tout, la ségrégation était légale. Et d’où est venue l’autorité morale des Nations Unies pour demander la reconnaissance des droits de l’homme dans une déclaration internationale, malgré le fait que quelques états membres les transgressaient ?

Des premiers principes, répond Liaugminas. Des principes qui sont enracinés dans la nature humaine et qui, à travers la raison, permettent de découvrir une série de droits intrinsèques à toute personne car ils dérivent de la dignité humaine.

Le problème est que la culture actuelle, marquée par le relativisme, est en train de perdre la cohérence intellectuelle. Ainsi, il n’est pas étrange de se trouver face à des activistes « qui aiment grimper sur les épaules de Martin Luther King », mais qui « ne sont pas disposés à assumer les conséquences ultimes de son enseignement sur la justice et la vérité des droits de l’homme ».

Le mouvement civil de nos jours

Liaugminas explique comment la rhétorique de Luther King sur les lois injustes et l’égale dignité de tous les êtres humains a trouvé une continuité dans le mouvement pour la vie qui est né aux Etats-Unis après la légalisation de l’avortement, avec la sentence Roe v. Wade de 1973.

Ce message a pénétré progressivement les générations plus jeunes qui, aujourd’hui, tendent à voir le débat sur l’avortement en termes de justice plutôt que de libération : étant donné que le fœtus est un être humain vivant (indépendamment du fait qu’il soit désiré ou pas), l’avortement est une injustice radicale qui nous affecte tous et à laquelle nous devons mettre fin.

Alveda King, nièce de Luther King, insiste depuis des années sur le fait que le rêve de son oncle inclut aussi les enfants dans le sein de leur mère. Elle dénonce la politique de deux poids, deux mesures pour juger aujourd’hui la discrimination : « Beaucoup d’entre nous parlons de tolérance et d’insertion, mais ensuite nous refusons d’être tolérants et accueillants envers les plus faibles et les plus innocents de la famille humaine ».

Le défunt Richard John Neuhaus, une référence intellectuelle du catholicisme nord-américain, a lui aussi soutenu le fait que la lutte contre l’avortement constitue le mouvement civil du moment. Comme le rappelle Liaugminas, le même Neuhaus a participé le 28 août 1963 à la grande marche à Washington pour réclamer la fin de la discrimination contre les noirs, ce qui lui permit de faire le pont entre les deux mouvements.

C’est précisément Neuhaus, qui fut pasteur luthérien et activiste politique de gauche avant de se convertir au catholicisme et d’être ordonné prêtre, que l’on considère comme l’artisan de l’alliance qu’ont peu à peu nouée les évangélistes et les catholiques nord-américains dans les débats publics sur les questions éthiques et sociales.

Un noyau de principes intouchables

Fin 2009, quelques mois après la mort de Neuhaus, quelques 150 leaders religieux des principales confessions chrétiennes des Etats-Unis ont présenté la Déclaration de Manhattan pour expliquer qu’il y a un noyau de principes intouchables qui se situent au-delà de la division gauche-droite.

Le manifeste proclame comme « vérités non-négociables » — pas seulement comme convictions des croyants — la dimension sacrée de la vie humaine à partir du moment de la conception jusqu’à la mort naturelle, la reconnaissance du mariage comme union entre un homme et une femme et les droits de la conscience et de la liberté religieuse.

Benoît XVI, lui aussi, avait encouragé les catholiques à être conséquents à l’heure de défendre dans la vie publique certains « principes non-négociables », qui coïncident en bonne partie avec ceux de la Déclaration de Manhattan (cf. Discours du 30-06-2006). Ce n’était pas là une position confessionnelle, car ce sont des principes qui « sont inscrits dans la nature humaine elle-même et, donc communs à toute l’humanité », disait alors le pape.

Ce sont précisément les décisions sur ces questions qui configurent la qualité éthique d’une société. Dans ce domaine, les étiquettes politiques de « gauche », « droite », « progressiste », « conservateur »… n’ont pas leur place. « Au centre de ces principes se trouve la dignité humaine », explique Liaugminas. « Ainsi donc, s’il faut une étiquette, on devrait s’octroyer celle de “défenseurs de la dignité” ».

Quand le langage déforme la réalité

Le désaccord autour de ce noyau de principes non négociables peut s’expliquer, selon Liaugminas, par la « dictature du relativisme » dénoncée par Benoît XVI. Si nous nions la possibilité d’une vérité objective et universelle, nous entrons dans le terrain du pur arbitraire où l’on peut justifier tout et son contraire.

Liaugminas explique, avec les mots de Josef Pieper, que dans une culture relativiste, les gens non seulement sont incapables de trouver la vérité mais qu’en plus, ils ne préoccupent pas de la chercher. « On ne cherche plus le réel, car on est satisfait de la fiction et on se contente de la parfaite fiction de la réalité, créée par un abus délibéré du langage ».

Aujourd’hui s’est imposé un langage sur les droits, basé sur l’autonomie individuelle, qui dissimule par des euphémismes les véritables droits et devoirs dérivés de la dignité humaine.

Ainsi, on parle du « droit de choisir » et de la « compassion » pour couvrir l’avortement et l’euthanasie, qui sont deux décisions destinées à en terminer avec la vie humaine vulnérable ; on a recours à l’« égalité » pour redéfinir le mariage ; et on invoque la séparation entre l’Eglise et l’Etat pour restreindre les droits de la conscience.

D’où la volonté de Liaugminas, dans ce livre, de reproposer un langage commun sur la dignité humaine que partagent de fait les leaders sociaux les plus charismatiques et les confessions religieuses les plus importantes des Etats-Unis. « Un langage qui se réfère aux premiers principes qui donnent forme à une société libre, juste et morale. Un langage qui évite les étiquettes politiques (…) ainsi que les nombreux slogans et préjugés des adversaires pour bloquer le dialogue ».

Voici les références du livre : Sheila Liaugminas, Non-Negotiable Essential Principles of a Just Society and Humane Culture, Ignatius Press, San Francisco 2014. Source de l’article: http://www.aceprensa.com/articles/verdades-innegociables-en-una-cultura-relativista/. Ce texte a été traduit de l’espagnol par Carine Therer.