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Religions et violence (1/2)

8 juin 2014

Certains prétendent que les religions sont à l’origine de la violence. La Commission Théologique Internationale (CTI) a publié le 6 décembre 2013 une étude critique sur la violence religieusement motivée « Dieu Trinité, unité des hommes :Le monothéisme chrétien contre la violence ».

Ce texte est le fruit de cinq années de travail entre experts. On peut en trouver la version complète en italien ici.

Les caricatures des religions

Quelques phrases échantillonnées permettent de synthétiser la teneur de son contenu : « L’excitation de la violence au nom de Dieu » est « la corruption maximale de la religion » ; « Les guerres de religion, ainsi que la guerre à la religion, sont simplement insensées ». Suite aux attentats terroristes du World Trade Center, certains en ont profité pour partir en guerre contre les religions, en particulier monothéistes (c’est-à-dire qui croient en un Dieu unique). Pour eux, le monothéisme, avec ses écritures dépassées et ses dogmes intouchables, serait intrinsèquement porteur de violences : guerres de religion, terrorisme, massacres, tortures, jugements et exécutions sommaires, discriminations sexuelles, manipulations des femmes, des faibles et des enfants, harcèlements moraux, psychologiques et physiques, etc.

Le biologiste anglais Richard Dawkins a par exemple dirigé en 2006 un documentaire télévisé intitulé The Root of all Evil ?, accusant le monothéisme d’incitations graves à la violence. Colin Howson, un logicien canadien, assimile dans son livre Objecting to God (2012), les religieux à des parasites imbus de pouvoir ; Yahvé à un être violent et cruel ; Jésus à un juge inflexible qui condamne certains à un enfer éternel. Dans la même ligne, on pourrait encore citer Michel Onfray, Piergiorgio Odifreddi, Christopher Hitchens, Peter Atkins, Sam Harris, Daniel Dennett.

Les religions monothéistes avec leurs saintes écritures seraient les farces les plus tragiques de l’histoire. En bons stratèges médiatiques, ces athées contemporains utilisent habilement la charge émotionnelle de témoignages d’atrocités et d’injustices faites au nom de Dieu, pour inciter à la révolte et pour diaboliser le monothéisme. Leurs attaques biaisées tendent à encourager l’agnosticisme religieux, le laïcisme politique ou l’athéisme, présenté sous un visage humaniste et pacifiste, et condamnent injustement les monothéismes. Ils mettent les religions et Dieu au banc des accusés, au risque de tomber dans le travers de la violence intolérante qu’ils prétendent dénoncer.

La véritable racine du mal

Pour la CTI, l’assimilation simpliste et réductrice des monothéismes entre eux, avec des dérives religieuses sectaires et intrinsèquement dangereuses, est elle-même dangereuse et réductrice.

En fait, le danger n’est pas propre aux monothéismes, mais à tout système différentiateur. La racine du mal est à chercher dans le cœur orgueilleux (cf. Mt 15, 19) qui corrompt la société, divise et envenime les relations entre les hommes, croyants ou athées. Les luttes de pouvoir, l’argent, la gloire, les médias, les partis politiques, les obédiences, les idéologies (athées ou non), les théories, les sports ou les concours : aucune source de différence n’est à l’abri de différends, de discriminations, de favoritismes, de jalousies, de fraudes égoïstes, d’explosions de violences et d’exploitations injustes. Les injustices et rivalités accompagnent toute l’histoire humaine, et cela vaut également pour les persécutions antireligieuses. Face à ces divisions alimentées par l’orgueil humain, la CTI oppose l’unité, l’unicité et la simplicité de Dieu, l’harmonie amoureuse de la Trinité, où règnent le don de soi, l’humilité et l’esprit de service.

Le Dieu de la Bible

Tandis que certains proposent l’alternative d’un « polythéisme tolérant » plus digne d’une société moderne, la CTI se demande pourquoi une telle hargne, soi-disant pacifique et tolérante, se déchaîne avec violence verbale et partialité, spécialement contre l’Eglise catholique, alors que le message fondateur et perpétuel de celle-ci est des plus pacifistes et justes qui soient. Ainsi, le Dieu unique ne condamne jamais l’innocent, mais il récompense le juste, prend le parti du faible, et punit d’une juste peine, dans la mesure de leur immoralité, le mensonge, la haine, la violence, l’orgueil, la discrimination, la fraude, … sans acception de personnes, tout en offrant son pardon à qui le demande humblement et loyalement.

La « pureté religieuse de la foi dans le Dieu unique » est comme une « source de l’amour entre les hommes ». La CTI cite abondamment l’Ancien et le Nouveau Testament : par exemple Jésus qui ordonne à Pierre de remettre son épée dans le fourreau, ou qui demande instamment de vivre la charité envers tous (aimez vos ennemis, pardonnez, priez pour ceux qui vous persécutent, soyez miséricordieux, aimez-vous comme je vous ai aimé, etc.), dépassant ainsi, non seulement la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent), mais encore la loi de tolérance (respectez-vous, supportez-vous les uns les autres). La doctrine du Christ atteint plus qu’aucune autre l’harmonie entre la justice et la miséricorde.

Une révélation et une assimilation progressives

Cependant le document reconnaît que les hommes n’ont connu et assimilé la doctrine révélée que progressivement, comme le montre la Bible, parfois dans des « pages difficiles », selon les cultures propres aux époques passées. La foi grandit et se purifie progressivement des sacrifices humains et animaux, de l’idolâtrie et de la peur des caprices des dieux, pour passer de l’hénothéisme (c’est-à-dire un polythéisme où un dieu prédomine sur les autres) au monothéisme. De plus, les hommes pécheurs ne parviennent pas à mettre parfaitement en pratique cette doctrine d’origine divine.

Cela n’empêche que l’idéal est progressivement révélé et présenté au croyant, l’appelant à un amour non-violent toujours plus responsable. Pour nous sauver de la violence, Dieu met en action un plan de salut dont le sommet est atteint dans l’Incarnation rédemptrice de la seconde personne de la Trinité, même s’il embrasse toute l’histoire humaine, du début (« le sang de ton frère crie vers Moi », Gn 4, 10) jusqu’à sa fin (« tout ce que vous avez fait à ces petits, qui sont mes frères, c’est à Moi que vous l’avez fait », Mt 25, 40). Dans ce plan, Dieu le Fils devenu victime de la violence, dépasse celle-ci par son amour et sa puissance de résurrection.

La CTI montre que ce plan n’est pas irrationnel. Les apories de l’athéisme se nourrissent d’une sensibilité réductrice et anachronique, spécialement du scandale du mal, des violences et du chaos, apparemment dénués de sens ; mais elles buttent contre la présence stable de lois, d’ordre, de bonté dans le monde, et d’interventions divines pleines d’espoir dans l’histoire, comme l’Incarnation et la Rédemption. Bien que Dieu soit transcendant et impénétrable, ses relations trinitaires nous sont révélées et servent de modèle de convivialité et d’amour, pour les relations entre nous et avec Dieu. Le Logos, Parole de Dieu incarnée en Jésus-Christ, est aussi Raison Logique qui interpelle et manifeste un amour capable de donner sa vie et de s’humilier par compassion, service et assistance. Il affirme que tout homme, de sa conception à sa vie éternelle, est digne d’être aimé, et de participer à l’édification de la société et du Royaume du Père. Dans le Christ Rédempteur, Dieu veut rassembler et réunir tous les hommes, ses enfants dispersés, non par l’amour de la force, mais par la force de l’amour, qui neutralise la justification de la violence grâce au sacrifice de la Croix et la Résurrection. Après l’exemple de Jésus-Christ, seule l’attitude de service aimable, qui devrait guider tout homme et habiter toute autorité, purifie de la tentation de dominer égoïstement.

Deux visions déformées du Christ

A propos de cette neutralisation de l’incitation à la violence, suite à l’exemple du Christ, la CTI critique au chapitre 5 deux tentations réductrices actuelles : le « dolorisme » (dans le sens d’une « substitution pénale » qui attire sur soi toutes les peines accablantes pour combler la justice vindicative du Père), et ce qu’on l’on pourrait appeler le « kénotisme » (la CTI parle à plusieurs reprises de la kénose du Fils, c’est-à-dire de son anéantissement, de son humiliation, du dépouillement de ses attributs divins, jusqu’à devenir la cible de la violence humaine). L’insistance disproportionnée et vertigineuse de ces aspects, bien présents assurément, restreignent le moteur de l’efficacité rédemptrice à la douleur ou à l’humiliation de Jésus, au point d’éclipser son amour invincible qui en est le véritable moteur. Le Christ ne se dépouille pas de sa divinité mais de son éclat divin, prenant la nature humaine fragile, faible, et la forme d’un serviteur (cf. Ph. 2, 6-7 ; Rm 8, 3), sans perdre sa nature divine. Il n’est pas sans force ou sans pouvoir, mais plutôt obéissant, sans violence, vengeance ou haine. Il jouit continuellement des pleins pouvoirs au Ciel et sur terre : Il donne pleinement sa vie sans perdre le pouvoir de la reprendre et de vaincre la mort (cf. Jn 10, 19). Il est l’homme plus fort qui maîtrise la violence du mal, de la mort et du malin, et leur arrache tout ce qu’ils semblaient dominer (cf. Lc 11, 22; Rm 14, 9 ; He 2, 14). Il manifeste que la force de son amour dépasse et vainc toute force, tout pouvoir de violence, de péché, de mensonge, d’orgueil, de haine et de mort, qui ont pu s’acharner en vain sur sa Victime innocente.

Un autre article aborde également ce thème: Religions et violence (2/2).

Philippe Dalleur est prêtre, Docteur en Sciences Appliquées et en Philosophie. Il enseigne la philosophie de la biologie à l’Université Pontificale de la Sainte Croix. Ce texte a fait l’objet d’une légère modification le 15-6-14. Ce texte a fait l’objet d’une légère adaptation le 16-9-14.