« L’athéisme et ses raisons » est le septième d’une série de dix articles. Dans ces textes, différents auteurs tentent une réflexion sur les idées qui configurent le monde actuel de la philosophie, de la science et de la culture, sur les principes qui orientent aujourd’hui notre manière de voir et d’agir. Ils s’interrogent aussi sur les atouts et les défis du message chrétien dans une culture postmoderne.
Ces derniers siècles, il y a eu en Europe différents types d’athéisme, parmi lesquels l’athéisme « humaniste » ou antithéisme de Marx et de Nietzsche, et l’athéisme positiviste. Aujourd’hui, dans les milieux académiques et culturels, prédomine un athéisme pratique ou d’indifférence. Il existe aussi un athéisme militant et parfois virulent dans certains petits groupes ou individualités du monde scientifique et philosophique, comme chez Richard Dawkins, parmi les hommes de science, et Michel Onfray, parmi les philosophes.
Plutôt que d’examiner séparément ces différentes variétés d’athéisme, il est peut-être plus simple de regrouper les questions les plus importantes posées par les athéismes actuels. Nous tenterons ensuite de présenter les réponses fournies par des auteurs croyants.
Trois questions fondamentales occupent l’esprit de l’athée contemporain : la présence du mal dans le monde, le statut de notre liberté et la possibilité d’expliquer sans Dieu l’existence de l’univers. Commençons par cette dernière.
1. L’origine de l’univers
Depuis la nuit des temps, l’homme croit en l’existence de Dieu. Et, au moins depuis les anciens philosophes grecs, il a donné une formulation philosophique aux raisons qui l’amenaient à cette croyance. Aristote a formulé les fameuses cinq voies qui montrent le besoin d’un Créateur donnant raison de l’existence du monde. De nombreux siècles plus tard, Thomas d’Aquin les a reprises avec une profondeur métaphysique décisive.
L’argument tendant à prouver que ces cinq voies ne démontrent rien, peut être exposé de la façon suivante : pourquoi le monde existe-t-il ? Réponse théiste : parce que Dieu l’a créé. Réplique de l’athéiste : et qui a fait Dieu ? L’objection est claire et simple, peut-être un peu trop simple.
Aristote et Thomas d’Aquin n’accepteraient pas cette objection. Ils partent du fait que l’univers est composé d’êtres qui sont tous contingents, c’est-à-dire qui n’ont pas en eux-mêmes la raison de leur existence, mais qu’ils reçoivent cette existence d’autres, qui les ont engendrés. Et qu’à l’origine de tous — disent-ils —, il doit y avoir un Etre qui existe par lui-même, un Etre que nous appelons Dieu. Sans cet Etre, source de tout être, rien ne serait. Prolonger à l’infini la série de causes ne résout pas le problème. Prenons un exemple : dans un convoi de marchandises, le dernier wagon avance parce que l’avant-dernier exerce une traction sur lui ; à son tour, l’avant-dernier est mu par celui qui le précède, et ainsi de suite. Mais si, à la tête du convoi, il n’y avait pas de locomotive, qui se meut par elle-même, aucun wagon ne bougerait. Ainsi, sans un Etre nécessaire, qui a l’existence par lui-même, il n’y aurait pas la moindre chaîne d’êtres.
A court d’arguments, André Comte-Sponville, athéiste contemporain, écrit : « Pourquoi n’y aurait-il pas de l’absolument inexplicable ? Pourquoi la contingence n’aurait-elle pas le dernier mot, ou le dernier silence ? Ce serait absurde ? Pourquoi la vérité ne le serait-elle pas ? » Drôles de questions pour un philosophe qui se dit héritier du rationalisme des Lumières. Autant dire, avec un autre athéiste, Robin Le Poidevin, professeur à l’Université de Leeds : « pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien demeure un mystère ». En d’autres mots, ils nient Dieu, mais n’offrent aucune autre explication à l’existence du monde.
2. Le problème du mal
Si Dieu est bon et tout-puissant, pourquoi le mal existe-t-il ? Le mal physique (les multiples maladies, les tsunamis, les famines, etc.) et le mal moral (l’injustice dans ses innombrables formes : Shoa, goulags, armes de destruction massive, etc.). Pourquoi tellement de douleur dans le monde ? Un Dieu tout-puissant, dont les chrétiens disent qu’il est notre Père, peut-il permettre tout cela sans sourciller ? Et non seulement le permettre, mais en être souvent la cause directe, étant l’auteur de la création ?
L’objection est forte et bien connue. On serait tenté de dire qu’il n’y a pas d’autre réponse que le silence. Les paroles qui essaient de conforter celui qui souffre peuvent sembler souvent déplacées, voire blessantes. Mais, sans prétendre donner une réponse satisfaisante, il importe, en conscience, de remettre l’objection dans son contexte.
Tout d’abord, s’il y a un jugement universel à la fin des temps, qui rend toute justice, à tous et de façon parfaite, le problème se pose dans des termes différents. Benoît XVI approfondit cette idée dans Spe salvi, son encyclique sur l’espérance. Il y explique que si l’injustice avait le dernier mot dans l’histoire, cela susciterait une frustration qu’un Dieu juste ne peut permettre. C’est pourquoi l’injustice du monde devient une raison importante pour croire en la réalité du jugement final et de la vie éternelle.
Ensuite, toujours pour ce qui est du mal moral, nous devons nous garder d’accuser Dieu de nos erreurs. Dieu nous a créés libres, avec le risque que nous utilisions mal notre liberté. Mais, rétorquent les athéistes, si le mal est conséquence de la liberté, comme Dieu ne peut pas faire le mal, est-ce qu’il est moins libre que nous ? La question est mal posée. Choisir le mal n’est pas nécessaire pour que la liberté existe, car une liberté qui choisit le mal est une liberté faible. Pourquoi ? Parce que la volonté — qui ordonne quelle décision il faut prendre — est orientée par sa nature vers le bien. Si elle choisit le mal, c’est parce qu’elle est faible. De même qu’une intelligence qui affirme l’erreur est une intelligence faible, ou qu’un œil qui voit mal est un œil faible. Plus une personne a une intelligence bien formée et une volonté forte, plus elle adhère facilement au bien, sans être pour autant privée da sa liberté de choix. Cela arrive à un degré suprême en Dieu, qui, pouvant toujours choisir, choisit toujours le bien.
La réalité du mal physique semble plus difficile à concilier avec Dieu. Pour résoudre cette question, il faut procéder avec ordre : avant de poser la question du mal, il faut répondre à la question de la contingence.
Dieu, aurait-il pu créer un univers meilleur, plus parfait ? Oui, évidement. Mais pas absolument parfait car cet univers serait alors un autre Dieu et nous aurions un Dieu qui crée un autre Dieu, un Dieu créé, ce qui est absurde. Il en résulte que les êtres créés ont nécessairement leurs limitations. On peut donner à celles-ci le nom de mal, mais ce serait un abus de langage. Un mal est la privation d’un bien, mais d’un bien propre à la nature de l’être en question.
Le fait, par exemple, qu’une pierre ne voie pas n’est pas un mal, car il ne correspond pas à une pierre de voir. Mais le fait qu’un homme soit aveugle est un mal, car c’est le propre de la nature humaine de jouir de la vision. Cela veut dire que le mal existe dans les créatures contingentes, créées. En d’autres mots, pour que le mal existe, il faut préalablement que les êtres contingents existent. Avant la question de l’existence du mal, il faut se poser la question de l’existence des êtres contingents, question à laquelle nous avons déjà répondu. Ce raisonnement ne résout pas le problème du mal, mais évacue l’objection qu’il pose à l’existence de Dieu.
Ajoutons qu’il ne faut pas chercher la réponse ultime à l’existence du mal dans un argument concret, mais dans l’ensemble du christianisme. Le pape François, dans son encyclique sur la foi, écrit : « A l’homme qui souffre, Dieu ne donne pas un raisonnement qui explique tout, mais il lui offre sa réponse sous la forme d’une présence qui accompagne » (n. 57). Cette compagnie de Jésus-Christ, crucifié pour nous apporter le salut éternel, est bien plus parlante que tous les arguments que nous pouvons produire. Depuis la croix, Jésus nous invite à offrir nos souffrances, pour coopérer avec lui dans l’œuvre de la Rédemption (cf. Col 1, 24).
3. Dieu et notre liberté
Si Dieu existe, il est omniscient et tout-puissant. Dans ce cas, je ne peux être libre, car Dieu connaissant mon avenir, mon existence est prédéterminée. Mais, à l’inverse, puisque je fais l’expérience de ma liberté, Dieu n’existe pas.
On peut répondre à ce raisonnement en disant que Dieu regarde toutes choses depuis l’éternité, qu’il voit instantanément, comme une réalité présente, ce qui se déroule dans le temps. Thomas d’Aquin aimait illustrer cette idée avec l’image suivante : si quelqu’un se trouve sur un chemin qui présente un virage, il verra, par exemple, ceux qui sont devant lui, mais pas ceux qui le suivent. Mais s’il se trouve sur une colline d’où il peut voir tout le chemin, alors il verra simultanément tous ceux qui le parcourent. Du haut de son éternité, Dieu voit comme choses présentes tout ce qui se passe dans le cours total du temps, sans que cela impose une nécessité aux hommes.
Le problème de fond réside dans le fait que nous ne souhaitons pas que Dieu existe, que nous voulons être autonomes, dicter nous-mêmes les normes de notre conduite. L’existence de Dieu et d’un ordre moral qui nous précède nous enlèveraient notre dignité d’hommes adultes. Mais, face à cette vision, il faut rappeler que le christianisme ne conçoit pas la vie morale de l’homme comme simple obéissance à des commandements imposés de l’extérieur. Il affirme au contraire qu’il appartient à chacun d’entre nous de discerner où se trouvent le bien et le mal, mais que ce bien et ce mal existent indépendamment de nous : notre autonomie morale est réelle mais pas absolue.
Certains de nos contemporains — Jean-Paul Sartre en serait le prototype ─ éprouvent un malaise dans le grand écart qu’ils prétendent réaliser entre, d’une part, la prétention d’une liberté totale et, d’autre part, les conditions limitées de son exercice : nous voulons tout mais nous ne pouvons pas tout (nous ne pouvons par exemple pas voler comme un oiseau ni empêcher la terre de tourner…). La liberté existe en nous, qui sommes des êtres limités par notre propre nature et par l’existence des autres.
4. Conclusion
Si l’athéisme des siècles passés (le positivisme, Marx, Nietzsche) a proposé des utopies qui ont échoué, les athéismes actuels nient Dieu sans rien offrir à la place. Il existe aussi un athéisme pratique, sans fondement rationnel, mais paradoxalement assez répandu en Occident. C’est l’athéisme de ceux qui ne veulent pas penser à Dieu, de crainte de devoir changer de vie. A ceux-ci, confrontés à une vie absurde, sans origine connue et vouée à terminer dans le néant, il nous faut présenter l’alternative chrétienne, celle d’une vie terrestre comblée et heureuse, avec la perspective d’une éternité de bonheur. Il nous appartient à nous, chrétiens, de la montrer avec des arguments crédibles, dont le premier est notre vie.
Emmanuel Cabello est prêtre, Docteur en Sciences de l’Education et en Théologie. Dans trois autres articles publiés sur didoc, ce même auteur expose brièvement les raisons de croire en Dieu, en Jésus-Christ et dans l’Eglise.