Le 9 juin dernier, le cardinal Joachim Meisner, archevêque de Cologne, prononçait une conférence sur «conversion et mission».
Cette conférence a été donnée à Rome, dans la basilique de Saint Paul Hors-les-Murs, devant des milliers de prêtres, réunis à l’occasion des cérémonies de clôture de l’Année Sacerdotale. Nous en publions certains extraits significatifs :
« Une des pertes les plus tragiques subies par notre Eglise dans la seconde moitié du 20 ème siècle, est la perte de l’Esprit-Saint dans le sacrement de la réconciliation. Pour nous, prêtres, cela a provoqué une terrible perte de notre identité intérieure. Quand les fidèles me demandent : “Comment pouvons-nous aider nos prêtres ?”, je leur réponds toujours : “Allez vous confesser avec eux !”. Quand le prêtre n’est plus confesseur, il devient un assistant social religieux ».
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« Les merveilles de Dieu ne se réalisent jamais sous les projecteurs de l’histoire mondiale. Elles se réalisent toujours à l’écart : précisément, aux portes de la ville [allusion à la conversion de saint Paul] , comme aussi dans le secret du confessionnal. (…) Obtenir de grands effets à travers de petites causes fait partie de la stratégie de Dieu. Paul vaincu, aux portes de Damas, devient le conquérant des villes de l’Asie mineure et de l’Europe. (…) L’Eglise est l’ “Ecclesia semper reformanda” , et, en elle, tant le prêtre que l’évêque sont un “semper reformandus” , qui, comme Paul à Damas, doivent encore et encore être jetés à terre du cheval, pour tomber dans les bras du Dieu miséricordieux, lequel nous envoie ensuite dans le monde » .
« (…) il ne suffit pas, dans notre travail pastoral, de vouloir apporter des corrections aux seules structures de notre Eglise, pour pouvoir lui rendre un visage plus attrayant. Cela ne suffit pas ! Ce qui est nécessaire, c’est un changement du cœur, de mon cœur. Seulement un Paul converti a pu changer le monde, et pas un ingénieur des structures ecclésiastiques. Le prêtre, quand il est plongé dans le style de vie de Jésus, est si habité par Lui que Jésus Lui-même, dans le prêtre, devient perceptible pour autrui. Dans saint Jean, nous lisons : “Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure” ( Jn 14, 23). Cela n’est pas seulement une belle image ! Si le cœur du prêtre aime Dieu et vit dans la grâce, Dieu un et trine vient habiter personnellement dans le cœur du prêtre. Certes, Dieu est omniprésent. Dieu habite partout. Le monde entier est comme une grande église de Dieu, mais le cœur du prêtre est comme un tabernacle dans l’église. C’est là que Dieu vous habite d’une manière tout à fait mystérieuse et particulière ».
« L’obstacle majeur pour permettre au Christ d’être perçu par les autres à travers nous, c’est le péché. Il empêche la présence du Seigneur dans notre existence et c’est pourquoi il n’y a pour nous rien de plus nécessaire que la conversion, aussi en vue de la mission. Il s’agit, pour le dire brièvement, du sacrement de pénitence. Un prêtre qu’on ne trouve pas fréquemment d’un côté ou l’autre de la grille du confessionnal voit son âme et sa mission subir des dommages permanents. Ici nous identifions certainement l’une des causes principales de la crise multiple dans laquelle le sacerdoce s’est enfoncé ces cinquante dernières années. La grâce toute particulière du sacerdoce réside précisément dans le fait que le prêtre peut se sentir “chez lui” aux deux côtés de la grille du confessionnal : comme pénitent et comme ministre du pardon. Quand le prêtre s’éloigne du confessionnal, il entre dans une grave crise d’identité. Le sacrement de pénitence est le lieu privilégié de l’approfondissement de l’identité du prêtre, qui est appelé à faire en sorte que lui-même et les autres croyants se pressent autour de la plénitude du Christ ».
« Dans la prière sacerdotale, Jésus parle aux siens et à notre Père du ciel de cette identité : “Je ne te demande pas que tu les enlèves du monde, mais que tu les protèges du malin. Eux ne sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde. Consacre-les dans la vérité : ta parole est vérité” ( Jn 17, 15-17). Dans le sacrement de pénitence, il s’agit de faire la vérité en nous. Comment est-il possible qu’il nous déplaise de regarder la vérité en face ? » .
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« Souvent nous n’aimons pas ce pardon explicite. Et pourtant Dieu ne se révèle jamais autant comme Dieu que lorsqu’il pardonne. Dieu est amour ! Il est le don de soi en personne ! Il donne la grâce du pardon. Mais l’amour le plus fort est l’amour qui vainc l’obstacle principal à l’amour, c’est-à-dire le péché. La plus grande grâce c’est d’être gracié, et le don le plus précieux c’est le fait de se donner, c’est le pardon. Si nous n’étions pas pécheurs, qui avons plus besoin du pardon que du pain quotidien, nous ne pourrions pas connaître la profondeur du Cœur divin. Le Seigneur le souligne de façon explicite : “Je vous dis qu’il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se convertit que pour nonante-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion” ( Lc 15, 7). Pourquoi (…) un sacrement, qui suscite une telle joie au Ciel, provoque-t-il une telle antipathie sur la terre ? C’est dû à notre orgueil, à la tendance continuelle de notre cœur à se retrancher, à être content de lui, à s’isoler, à se refermer sur lui-même. (…) Seule l’humilité d’un enfant, telle que chez les saints, nous permet de supporter avec joie la différence entre notre indignité et la magnificence de Dieu ».
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« C’est pourquoi, pour moi, la maturité spirituelle d’un candidat au sacerdoce devient évidente par le fait qu’il reçoit régulièrement —au moins avec une fréquence mensuelle— le sacrement de la réconciliation. (…) Si quelqu’un n’est plus fils du Père céleste, il ne peut devenir prêtre, car le prêtre, à travers le baptême, est avant tout fils du Père et, ensuite, à travers l’ordination sacerdotale, il est, avec le Christ, fils dans le Fils. Seulement alors il pourra vraiment être frère des hommes ».
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« La soi-disant crise du sacrement de pénitence n’est pas seulement due au fait que les gens ne viennent plus se confesser, mais que nous les prêtres ne soyons plus présents dans le confessionnal. Un confessionnal où un prêtre est présent, dans une église vide, est le symbole le plus frappant de la patience de Dieu qui attend. Dieu est ainsi. Il nous attend pendant toute la vie. Dans mes trente-cinq années de ministère épiscopal, je connais des exemples poignants de prêtres présents tous les jours dans le confessionnal, sans que vienne un seul pénitent ; jusqu’au jour où le premier pénitent, après des mois ou des années d’attente, se présente finalement. La situation s’est pour ainsi dire débloquée. Depuis ce moment, le confessionnal a commencé à être très fréquenté ».
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« Notre présence, aux deux côtés de la grille du confessionnal, nous amène, à travers notre témoignage, à permettre que le Christ devienne perceptible pour le peuple de Dieu. Pour le dire clairement, avec un exemple négatif : qui entre en contact avec de la matière radioactive, devient radioactif. Si ensuite il entre en contact avec une autre personne, celle-ci sera contaminée à son tour par la radioactivité. Appliquons cela maintenant à un exemple positif : ceux qui entrent en contact avec le Christ, deviennent “Christo-actifs”. Et si le prêtre, ensuite, étant “Christo-actif”, entre en contact avec d’autres personnes, celles-ci seront certainement “contaminées” par sa “Christo-activité”. Voilà notre mission, telle qu’elle a été conçue et qu’elle était présente dès le début du christianisme. Les gens se pressaient alors autour de la personne du Christ pour le toucher, même si ce n’était que l’ourlet de son vêtement. Et même si cela arrivait quand Jésus avait le dos tourné, ils étaient guéris : “car une force émanait de Lui, qui les guérissait tous” ( Lc 16, 19) ».
(…) « Seulement si nous avons fait l’expérience du Père miséricordieux, nous pouvons devenir frères miséricordieux pour les autres. Qui pardonne peu, aime peu, Qui pardonne beaucoup, aime beaucoup. Lorsque nous sortons du confessionnal, qui est le point de départ de notre mission, que ce soit du côté du pénitent ou de celui du confesseur, alors on voudrait embrasser tout le monde, pour leur demander pardon. Cela arrive surtout lorsque nous nous sommes confessés » .
Le texte complet, en italien, peut être consulté sur http://www.clerus.org/clerus/dati/2010-06/09-13/Meisner_it.html . La traduction a été assurée par Stéphane Seminckx .