Une mise au point d’un psychiatre viennois au sujet du célibat sacerdotal, des tendances sexuelles déviantes et de la nécessité pour tout homme ou toute femme de s’efforcer d’éduquer sa sexualité.
Certains émettent la thèse de ce que « faire de la sexualité un tabou », comme une partie de l’opinion publique le reproche à l’Eglise, mène à une mauvais canalisation de la sexualité. Y a-t-il une part de vérité dans cette affirmation ?
— Nous savons aujourd’hui que la sexualité doit être contrôlée pour pouvoir être vécue de façon saine et heureuse. La violence sexuelle et la pédophilie nous montrent que la sexualité ne peut être vécue sans garde-fous, parce qu’elle peut faire du tort. Pourtant, de façon surprenante, nombreux sont ceux qui rêvent encore qu’elle puisse être vécue sans limites, croyant trouver là le paradis terrestre. Cela provient en particulier de l’idéologie du mouvement de 68. Cette image de la répression de la sexualité correspond à une interprétation freudienne très grossière et mécaniciste de l’homme, qui persiste encore dans bon nombre de cerveaux, même si elle est dépassée depuis longtemps. Surtout depuis la révolution sexuelle, certains hommes pensent qu’ils doivent se réaliser sexuellement, parce que, dans le cas contraire, ils pourraient tomber malades. Dans un tel cas de figure, la sexualité est ressentie comme un besoin impérieux, et plus comme quelque chose qui est dirigé et contrôlé par la raison.
L’indignation face aux cas d’abus serait-elle moins grande, si les prêtres catholiques n’étaient pas tenus au célibat ?
— Il est possible que les émotions ne se manifesteraient pas de façon aussi exacerbée si la question du célibat n’était pas en cause. C’est une question dérangeante pour la mentalité actuelle, parce qu’elle démontre qu’un homme peut contenir ses appétits sexuels en raison d’un grand amour. Voilà qui dérange la « société du divertissement », qui pour cette raison s’attaque à ce bastion. Si les prêtres se mariaient, ils ne se distingueraient pas tant, ils seraient comme « l’un des nôtres ». Il est intéressant d’observer que, dans les Eglises orientales, où il y a des prêtres mariés, l’on accorde plus d’estime aux célibataires. Dans les cultures monacales bouddhistes également, on considère qu’une vie consacrée aux réalités spirituelles est unie au célibat.
Le célibat comme ouverture à la transcendance
Le célibat peut-il entraîner une pathologie ?
— Le célibat peut rendre malade, s’il est mal vécu. Le célibat n’est jamais un mode de vie en soi. Au contraire, dans une perspective psycho-dynamique, il est, humainement parlant, un déficit, un déséquilibre, une blessure. Mais ce déficit permet une ouverture immense à la transcendance ; c’est pourquoi il y a des modes de vie liés au célibat dans toutes les cultures. Le célibat ne peut s’expliquer sans le phénomène de la foi et de la relation d’amour avec Dieu. Quand un homme célibataire ne cultive pas une intense relation avec son amour, c’est-à-dire avec Dieu, il se flétrit humainement ou ne résiste pas.
Il est également important qu’un homme célibataire sache ce qu’est une femme, et comment vivre une relation correcte avec elle. Trop d’intimité ou d’ouverture peuvent facilement conduire à une situation de blocage. Pour des raisons professionnelles, j’ai connu plusieurs prêtres qui se sont laissés entraîner dans des relations amoureuses que, de fait, ils ne voulaient pas du tout. Presque toujours, au début, la personne affectée n’avait pas été sincère avec elle-même. Elle invoquait fréquemment un souci pastoral, jusqu’à ce que l’intensité croissante de la relation devienne d’ordre corporel. A l’origine, on retrouve le déficit émotionnel de la solitude qui, dans une relation saine avec Dieu, est comblé par la prière. Quand il néglige la prière à cause du stress ou par activisme, ou qu’il la vide de son contenu, le prêtre devient sujet à de tels désirs inhérents à la nature humaine.
Le célibat peut-il être un « fardeau léger » pour certaines personnes, et un fardeau très lourd voire insupportable pour d’autres ?
— Naturellement, l’impulsion naturelle a des accents différents, mais cela à beaucoup à voir avec des expériences antérieures, avec les fantasmes ou les souvenirs. La capacité de modérer l’instinct sexuel ou de l’humaniser s’appelle la vertu de la tempérance, qui a également été redécouverte par des psychologues athées comme Martin Seligman. L’objectif est, comme le dit Thomas d’Aquin, l’harmonie de la paix intérieure. Tempérance signifie atteindre un ordre intérieur, dans lequel les fantasmes et les désirs sont jugés correctement, et sont cultivés ou réfrénés. Et cela n’est pas seulement valable pour la sexualité. Viktor Frankl a affirmé, à propos de l’auto-observation hypocondriaque : « seul l’œil malade se voit lui-même ». Nous pourrions dire, de façon similaire : « seul le prêtre malade se regarde lui-même ; celui qui est en bonne santé a sa confiance et ses yeux dirigés vers Dieu ». Quelqu’un qui a donné toute sa vie commence à patiner quand il commence à se chercher lui-même ou à se réaliser de façon égocentrique.
Sélectionner les séminaristes
Certains pensent que celui qui choisit le célibat doit au moins connaître, dans le domaine de la sexualité, ce à quoi il renonce.
— Oui, bien entendu, ils doivent savoir à quoi ils renoncent, mais ils n’ont pas besoin de l’avoir expérimenté. Un psychiatre ne doit pas avoir essayé l’héroïne pour être un bon thérapeute en matière de toxicomanie. L’expérience sexuelle n’est pas tout. Un séminariste doit avant tout avoir une expérience spirituelle.
Nous nous sommes posés la question de savoir si le célibat pouvait rendre malade. Je pose maintenant la question autrement : ce mode de vie peut-il attirer des personnes peu sûres d’elles-mêmes ou perturbées dans leur sexualité ?
— On ne peut écarter la possibilité que le célibat puisse attirer des personnes qui souffrent de ces pathologies. Des personnes qui n’arrivent pas à bâtir une relation avec l’autre sexe trouvent là un mode de vie dans lequel elles peuvent passer inaperçues. Cela est particulièrement problématique quand il y a des personnes qui veulent vivre un autre type, maladif, de sexualité, qui cause du tort à d’autres personnes. Il faut être très attentif à ceux qui entrent au séminaire, parce que seul un homme psychiquement sain et stable est apte à la vocation sacerdotale.
Est-il possible qu’il y ait eu des hommes avec des tendances pédophiles qui se cachent derrière une soutane pour passer inaperçus, ou pour se protéger de leurs propres inclinations ?
— De nombreuses personnes ayant des tendances pédophiles se marient, d’autres se tournent vers le sacerdoce. Elles partent du constat que, d’une manière ou d’une autre, elles doivent faire leur vie quand elles découvrent en elles ce type d’inclinations. Peut-être pensent-elles les maintenir sous contrôle, ou que la consécration sacerdotale les a guérie. Sigmund Freud affirme que la sexualité est polymorphe et qu’elle a un côté pervers, et en cela, il a en partie raison. Dans une relation sexuelle normale, la femme est habituellement le correctif. Mais si la sexualité est vécue de façon solitaire, par exemple dans l’auto-érotisme ou la pornographie, alors il n’y a plus de limites. La répression de la sexualité est en général bénéfique, quand il y a des inclinations dégénérées. Je pense au contrôle des pensées, des fantasmes, au fait de ne pas regarder tout et n’importe quoi à la télévision. C’est ainsi que disparaissent la majorité des fantasmes déviants, qui sont toujours liés à une hypersexualité, et que demeurent les inclinations sexuelles saines.
Détecter des troubles de la personnalité
La relativisation sociale de la pédophilie provient de secteurs très variés.
— La psychologie, dans les années 70, a voulu faire croire qu’il n’y avait rien d’intrinsèquement mauvais, et même que tout était bien, si la relation était consentie. Pendant les années 70 et 80, sont apparus des mouvements de libération sexuelle qui ont promu la défense de la pédophilie. Pas plus tard qu’en 1988, un politicien connu du Parti Vert allemand a demandé la dépénalisation de la pédophilie consentie, une thèse dont il s’est distancé peu après. A ce moment là, il était partisan d’un mouvement pour la dépénalisation et la « dépathologisation » des formes alternatives de sexualité.
A quoi doit-on prêter le plus d’attention dans la formation des prêtres ? Est-il possible de détecter des tendances sexuelles déviantes pour écarter les candidats qui en souffrent ?
— En général, au fil des années que l’on passe avec les candidats, l’on voit s’ils sont aptes ou pas. Les pédophiles ont habituellement d’autres troubles de la personnalité que l’on peut détecter. On peut par exemple observer comment une personne se comporte avec les autres, si elle est capable de servir et d’obéir. Ce sont là des vertus qui ne sont pas à la mode, mais qui montrent si quelqu’un est psychiquement sain, parce qu’il est capable de ne pas se situer au premier plan, et de se mettre au service des autres. Quand quelqu’un doit toujours se mettre au premier plan, qu’il a besoin de briller, il démontre qu’il se préoccupe davantage de son propre ego que des autres. Cela est dangereux.
Une éducation à la chasteté et au célibat est-elle possible au séminaire ?
— Oui, et elle est absolument nécessaire. Le séminaire est là pour enseigner la chasteté sacerdotale. L’acceptation de la plénitude de la propre sexualité et de sa virilité rend le prêtre capable d’être un pasteur paternel des autres. Cela suppose également d’enseigner aux jeunes gens à développer leur sexualité depuis la perspective de l’amour, comme ils l’intègrent habituellement de façon naturelle.
Que peut conseiller le psychiatre à un prêtre qui montre des faiblesses dans ce domaine ?
— Il doit écarter son regard de lui-même et le diriger vers les autres, vers sa relation avec Dieu et vers son ministère sacerdotal. Normalement, les problèmes de chasteté sont des problèmes de personnes qui consacrent trop de temps à elles-mêmes. Quand quelqu’un passe des heures à naviguer sur Internet, il ne doit pas être surpris d’être assailli par des idées stupides. La solitude et la sensation d’une vie dépourvue de sens sont des conséquences d’un manque de relation avec Dieu. Je m’occupe de personnes dépendantes du sexe sur Internet, et presque toutes ont un problème de relation avec les autres. C’est pourquoi je dis que les prêtres qui ont ce problème ont un problème de couple… avec Dieu. Et le moi est pervers de façon polymorphe. Quand il y a un problème, il faut toujours reconnaître la dimension pathologique, et chercher une aide professionnelle, sans en avoir honte.
Cet entretien a été réalisé avec Stephan Baier pour le quotidien Die Tagespost (8-05-2010). Il a été traduit de la version espagnole (http://www.aceprensa.com/articulos/2010/may/18/algunos-sacerdotes-tienen-un-problema-de-relacion-con-dios/) par Bruno Debois .