A la suite de la Marche pour la Vie, Le Soir a publié un article du professeur Yvon Englert. Celui-ci est membre et ancien président du Conseil national de bioéthique, il est chef de service de gynécologie-obstétrique à l’Hôpital universitaire Erasme (ULB). L’abbé Stéphane Seminckx réagit à ce texte.
L’homme est un corps vivant. Sur le plan matériel, un corps humain adulte est composé d’environ 1027 atomes. Un atome est constitué, au centre, par un noyau, en périphérie, par de minuscules électrons, et entre eux, par un énorme vide : notre corps est donc composé en majeure partie de vide. Si on « épluchait » tous les atomes d’un corps humain en les réduisant à leur noyau pour ensuite les assembler, l’homme formerait un cube de 4 milliardièmes de millimètre de côté.
Nous sommes donc peu de chose… Mais on peut le voir autrement : un organisme humain adulte compte environ 60 billions de cellules, organisées en tissus et organes. Chaque jour environ 500 milliards de cellules naissent et meurent. Et pourtant, un homme reste un homme : Napoléon était Napoléon pendant toute sa vie, indépendamment de son âge, de son poids ou de son activité.
Ce ne sont pas les 1027 atomes de mon corps qui déterminent ce que je suis, car à ma naissance, j’étais déjà moi-même, avec vingt fois moins d’atomes. Et chaque fois que je vais chez le coiffeur, je perds un paquet d’atomes, et pourtant je reste moi-même. Il y a dans l’homme une sorte de finalité intrinsèque, un « principe anthropique » immatériel : nous sommes un ensemble de 1027 atomes qui s’agencent et se réorganisent continuellement comme un individu de l’espèce « homme ». Avec Aristote, ce principe a reçu le nom d’« anima » ou « âme » (Aristote n’est pas un pape et il ne s’agit donc pas d’un « dogme religieux », comme dirait le professeur Englert).
Certains rejettent cette explication et attribuent l’organisation du vivant au hasard. Le calcul des probabilités semble exclure cette possibilité, à moins que l’univers ne soit pratiquement infini dans le temps, ce que la science paraît contredire. De toute façon, le hasard ne fournit aucune explication pour la dimension immatérielle de l’homme : le hasard peut-il agencer des billions de billions d’atomes de telle sorte qu’ils composent la 9ème symphonie, qu’ils découvrent la théorie de la relativité ou qu’ils meurent par amour des lépreux à Molokaï ?
Notre matériel génétique ne suffit pas à définir notre humanité
Depuis quelques dizaines d’années, avec la découverte de l’ADN, la science a trouvé le pendant biologique de l’explication d’Aristote : l’ADN est une portion de matière qui forme elle-même un alphabet, qui transmet une information et porte un projet spécifique. La symphonie de la vie d’un chacun possède une partition, qui est l’ADN.
Cette partition est gravée dans l’ADN de chacune des 60 billions de cellules du corps adulte. Elle est gravée dans le zygote (ou ovule fécondé) dès les premiers instants de son existence : dans l’ADN des 46 chromosomes du zygote, toutes nos cellules, tissus et organes sont présents en tant que projet unique et original, y compris la couleur de nos yeux et le tracé de nos empreintes digitales. Le zygote est-il donc un homme, ou un projet d’homme ? Est-il la musique de la vie humaine ou seulement sa partition ?
Ce ne sont pas les chromosomes qui sont décisifs pour pouvoir parler d’être humain : une seconde après notre mort, nous sommes un cadavre, et une seconde auparavant, un homme ; pourtant, dans les deux cas, nos cellules contiennent exactement les mêmes chromosomes, du moins à première vue. Ce qui est déterminant pour pouvoir parler d’un être humain, c’est la présence d’une « anima » humaine. La vie s’arrête lors de la scission âme-corps et elle débute quand le corps est « animé ».
Dès le moment de la conception, il y a un être humain
Ce vocabulaire est abstrait, philosophique, car une définition porte sur l’essence de la réalité. Mais ce langage n’est pas très utile au médecin : ses sens et ses instruments ne peuvent observer le niveau métaphysique. C’est pourquoi, à l’heure de distinguer vie et mort, le médecin guette la manifestation physique du changement métaphysique. Un certificat de décès ne témoigne pas du départ d’une âme : il constate simplement qu’une série de signes évoquent cette disparition. Ces dernières années, la définition et la détermination précoce de ces signes agitent le monde médical, car le prélèvement rapide d’un organe est vital pour le succès d’une transplantation. Le médecin autorise ce prélèvement quand il est moralement certain que le donneur est décédé. Cette certitude morale engage sa conscience.
Avons-nous au sujet du statut de l’embryon une certitude semblable, qui puisse engager notre conscience ? Existe-t-il dans les stades les plus précoces de l’embryon des signes évidents qui évoquent une « animation » ? La réponse est oui : tout porte à admettre que, dans les premières heures de son existence, l’embryon est un individu vivant de l’espèce humaine, bref qu’il est un homme.
Certains mettent en doute l’individualité de l’embryon à cause du phénomène de scission gémellaire. Mais la technique du clonage a définitivement confirmé que Dolly est un nouvel individu brebis et que la brebis dont elle est issue est restée elle-même. La nature fait exactement la même chose quand elle suscite de vrais jumeaux, par scission d’un tout jeune embryon humain. Vivant ? La fécondation in vitro l’a définitivement prouvé, car personne ne réimplante un cadavre dans l’utérus. De l’espèce humaine ? Dans l’ADN, il est écrit que cet individu vivant appartient à l’espèce humaine : rien de ce qui caractérise physiquement un homme adulte ne manque dans l’information portée par l’ADN du zygote. Celui-ci « sait » d’ailleurs davantage que les 60 billions de cellules du corps adulte : il sait assembler un homme, opération qu’il réalise en continu à partir des atomes qu’il puise dans les flux vitaux de la mère.
Le zygote est à la fois partition, chef d’orchestre et symphonie de la vie. C’est une certitude morale : il est un homme. Qui en doute doit reconnaître au moins que l’embryon est un projet d’homme, qui mérite d’être protégé : qui oserait détruire la partition originale d’une symphonie exceptionnelle ? Et celui qui douterait même de cela ferait bien, en tout cas, de s’abstenir de tout geste dangereux pour ce « quelque chose » qui pourrait bien s’avérer être quelqu’un : quel chasseur tire sans plus sur « quelque chose » qui bouge ?
Rappelons-nous les mots qui ont mis fin à l’esclavage, aux Etats-Unis : « A Man is a Man … is a Man ». Un Homme est un Homme, qu’il soit blanc ou noir, jeune ou vieux, sain ou malade, qu’il mesure deux mètres ou deux millimètres … il est un Homme.
Stéphane Seminckx est prêtre, docteur en médecine et en théologie.