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Expériences de vie conjugale (1/4)

28 janvier 2012

Nous publions ici quelques réflexions issues de l’expérience pratique d’un père de famille. Ces réflexions feront l’objet de plusieurs articles. Dans cette première partie, l’auteur, spécialisé en orientation familiale, étudie les différentes dimensions de l’amour conjugal et propose quelques considérations sur la chasteté dans le mariage.

 

 

1. Les « niveaux » de l’amour conjugal

Pour les personnes mariées, surtout à partir du moment où se sont écoulées quelques années de vie de couple, il est important de savoir que, dans la vie conjugale, il y a plusieurs niveaux ou strates dans la découverte progressive du conjoint et dans les exigences de l’amour authentique.

L’attrait physique

Le plus souvent, il constitue le primum movens de l’amour conjugal. Il y a des couples qui prétendent s’installer dans ce niveau de l’amour, avec la triste conséquence qu’ils ne parviennent pas à transcender cette sensation et à la transformer en un sentiment plus profond et ensuite en un amour fort. Et cette incapacité aboutit invariablement à traiter l’autre comme une chose, comme un objet.

La suite est facile à deviner : si l’autre ne produit plus en moi cette sensation d’attrait physique, je devrai en chercher un(e) autre qui me la procure.

L’attrait physique n’est pas mauvais. L’erreur consiste à le considérer comme essentiel et à se bloquer à ce stade. En réalité, l’amour commence avec l’attrait physique, mais ne s’achève pas en lui. L’attrait n’est pas la fin, l’objectif. C’est un niveau qui doit être dépassé. Il ne doit pas être abandonné, mais transcendé, enrichi, enveloppé par les stades suivants, qui lui donnent sa raison d’être, lui donnent une catégorie supérieure, l’humanisent.

L’état amoureux

Au-delà de l’attrait physique, la personne amoureuse dit : « Comme je suis bien avec toi ! » C’est un niveau plus élevé que l’antérieur, qui englobe et assume l’attrait physique. On découvre petit à petit et on apprécie la personnalité du conjoint, ses qualités morales, sa façon d’être.

Il y a aussi des personnes qui s’installent dans « l’état amoureux », dans ce sentiment agréable, qui peut même être enivrant. Elles en viennent à aimer « l’état amoureux » plutôt que d’aimer le conjoint.

Comme dans l’attrait physique, lorsque la sensation « amoureuse » disparaît, la personne pense que l’amour s’est éteint. Elle est alors tentée de chercher une autre personne qui fasse resurgir en elle cette sensation disparue.

Etre amoureux est une bonne chose et il faut favoriser cette sensation tout au long de la vie conjugale, mais elle ne constitue pas le but à atteindre ni l’essence de l’amour. Il faut approfondir davantage l’amour.

L’amour de la volonté

C’est le niveau pleinement humain, celui de la volonté intelligente et libre qui décide d’aimer le conjoint et de s’engager à le rendre heureux, au-delà des sensations et des sentiments que cet amour suscite. La volonté, pour ainsi dire, saisit le cœur avec force pour le mener où elle veut : vers la personne aimée, à tout moment, partout et en toute circonstance. C’est une volonté qui affirme : « j’aime et je veux aimer toujours plus », ou comme le dit un écrivain classique : « je ne me suis pas marié avec toi seulement parce que je t’aimais, mais pour t’aimer chaque jour davantage ». La personne mariée doit construire au jour le jour le futur de l’amour conjugal.

Le mariage est une « promesse » d’amour, pas simplement un « pacte » ou une convention. Comme le dit Ricardo Yepes : « Aujourd’hui on rencontre fréquemment une version faible et contractuelle de l’amour, qui consiste à renoncer au fait qu’il ne peut jamais s’interrompre. Cette manière de vivre se traduit par l’abandon des promesses : personne ne veut engager ses choix futurs, car on comprend l’amour comme une convention, et on attend qu’il produise toujours des bénéfices ».

2. Chasteté matrimoniale : une double affirmation

Dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique, « la chasteté signifie l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. La sexualité, en laquelle s’exprime l’appartenance de l’homme au monde corporel et biologique, devient personnelle et vraiment humaine lorsqu’elle est intégrée dans la relation de personne à personne, dans le don mutuel entier et temporellement illimité, de l’homme et de la femme. La vertu de chasteté comporte donc l’intégrité de la personne et l’intégralité du don » (n. 2337).

La chasteté suppose une double affirmation, car l’amour est comme un feu, qu’il faut alimenter continuellement (affirmation affirmative) et protéger contre tout ce qui pourrait l’éteindre (négation affirmative).

Affirmation « affirmative »

La vertu de la chasteté dans la vie conjugale invite à susciter positivement l’amour du conjoint, de façon inventive. Quelques exemples : consacrer chaque jour quelques minutes à penser à de petits gestes d’affection vis-à-vis du conjoint ; lui dire souvent qu’on l’aime et le remercier quand lui le dit ; tâcher de le surprendre par quelque service inattendu et qui exprime la sollicitude ; trouver des moments pour être à deux, parler ou se reposer à deux, dans les meilleures conditions possibles et favoriser l’attrait mutuel.

Négation « affirmative »

Elle consiste à éviter tout ce qui pourrait refroidir l’amour. Le sens de cette « négation » est éminemment positif : il s’agit de faire croître l’amour conjugal.

Il faut veiller à maintenir une distance avec les personnes de sexe opposé dans le milieu professionnel, social ou à l’occasion de voyages, etc. Le fait d’être marié ne doit pas dispenser d’éviter les familiarités. Les manifestations de confiance vis-à-vis du conjoint doivent être évitées avec d’autres personnes. Voici quelques exemples : ne pas rester seuls dans une pièce avec une personne de sexe opposé, ou dans une voiture, ou à proximité de l’autre dans un hôtel lors d’un voyage professionnel ; éviter de parler de problèmes personnels dont il ne faut s’ouvrir qu’au propre conjoint ; ne pas écouter non plus des confidences de ce type, qui peuvent créer des liens ; éviter de chercher chez les autres une « compréhension » qu’on ne trouve pas chez le conjoint.

Sur tous ces points, un bon nombre de gens sont naïfs (ils ne sont pas mauvais, mais « trop bons »). Il faut tenir compte qu’un étranger, qu’on croise de temps en temps, peut nous apparaître facilement — et erronément — comme l’interlocuteur aimable et sans défauts, qui va nous comprendre.

Une autre erreur fréquente consiste à penser qu’il faut être moins prudent avec les personnes de sexe opposé quand elles nous apparaissent comme peu avantagées. L’expérience montre que, dans ces cas, on se laisse plus souvent aller à des confidences ou à des manifestations d’intimité déplacées (parler d’un problème avec un enfant, demander un conseil pour faire un cadeau au conjoint, raconter les projets d’avenir du couple, etc.). Ces manifestations tissent un réseau de fils très ténus mais difficile à couper, qu’on perçoit difficilement comme négatifs jusqu’au jour où, dans un moment de sensibilité exacerbée ou de faiblesse, il peut déboucher sur une grave infidélité.

Notre époque nous invite à insister sur cette « négation affirmative », car les sollicitations sont fréquentes. Mais « l’affirmation affirmative » est plus importante. Il faut encourager les personnes mariées à s’efforcer de conquérir le conjoint jour après jour, en l’aimant comme il désire être aimé ; en alimentant un large espace d’intimité matrimoniale, en partageant les sentiments, les états d’âme, en tâchant de former un seul cœur (même s’il ne faut pas non plus se sentir obligé de tout dire au conjoint).

Javier Vidal-Quadras Trias de Bes est marié et père de sept enfants. Il est avocat et a été professeur de droit. Il donne des cours d’orientation familiale et est secrétaire général de l’International Federation for Family Development, qui possède un statut consultatif à l’ONU. Ce texte est une traduction, légèrement adaptée, réalisée par l’abbé Stéphane Seminckx, de Algunas experiencias prácticas y consideraciones básicas de un padre de familia sobre la vida conyugal y familiar (Quelques expériences pratiques et considérations fondamentales d’un père de famille sur la vie conjugale et familiale), publié sur www.collationes.org.