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Expériences de vie conjugale (3/4)

11 février 2012

Nous publions ici la troisième partie des réflexions issues de l’expérience pratique d’un père de famille. Elle porte sur la communication dans le mariage.

 

 

6. Notes sur la communication dans le mariage

La « présomption d’innocence »

De façon générale, il est important de cultiver la tendance à juger les gens positivement. Pour les relations dans le couple, il est fondamental de cultiver la « présomption d’innocence ». Il faut penser par exemple : « même si ce qu’il (elle) a fait ou dit m’a fait mal, je sais qu’il (elle) n’a pas voulu me blesser », ou « cela ne m’étonne pas qu’il (elle) ait oublié ce que je lui ai dit, avec le tas de choses auxquelles il (elle) doit penser » ; ou « c’est normal qu’il (elle) arrive en retard, il y a sûrement quelqu’un qui l’a retenu(e) », etc.

En règle générale, il faut penser que le conjoint ne blesse pas parce qu’il veut blesser. Cette attitude ouverte permet d’affronter les situations négatives d’une façon plus sereine et constructive. Le conjoint lésé par la conduite de l’autre comprend que celui-ci commet des erreurs davantage par maladresse ou par ignorance que par mauvaise volonté (ou parfois, tout simplement par faiblesse : en morale, il est bien connu que la plupart des péchés ne sont pas commis par malice, mais par faiblesse). Il ne voit pas une intentionnalité négative dans l’agir de l’autre. Cela contribue à parler sans aigreur, à éviter l’affrontement et à résoudre de nombreux problèmes.

A l’inverse, il faut chasser les pensées négatives : « il (elle) n’a pas le temps de penser à moi » ; « mes choses ne l’intéressent pas » ; « il (elle) ne cherche qu’à s’imposer », etc. Parfois on peut faire beaucoup de tort à la relation conjugale en attribuant à l’autre le malaise qu’on éprouve. Il faut aussi faire attention à l’ironie dissimulée dans une apparente bonne humeur, car elle finit par user la confiance.

Attention aux « expectatives occultes »

Les expectatives sont ce que le conjoint attend de recevoir de l’autre, parfois d’une façon irréfléchie, sous l’influence d’un modèle culturel ou de la publicité… Il est important de « débusquer » ces expectatives, sinon elles risquent de perturber la relation quand l’autre ne répond pas à ce qu’on attendait de lui.

Il y a pas mal de gens qui entretiennent ces expectatives pendant longtemps, sans jamais en parler en toute simplicité avec le conjoint, pour que celui-ci puisse s’efforcer d’y répondre, si elles sont raisonnables. Si elles ne le sont pas, il faut les abandonner. Plusieurs raisons expliquent ce silence : parfois, on pense qu’il n’est pas nécessaire d’en parler (« il [elle] me connaît et sait ce que j’attends de lui [d’elle] et fera en sorte de satisfaire mon attente »). D’autres fois, c’est par crainte d’une divergence de vues, ce qui arrive quand l’un a peur de la réaction de l’autre et ne se sent pas sûr de soi. Dans d’autres situations encore, on considère que l’affection est toute-puissante et qu’elle saura compenser les expectatives non rencontrées.

Connaître les différences dans la communication et les réactions émotives

En voici quelques exemples :

Le premier est celui des questions. Les femmes posent plus souvent des questions que les hommes, comme une manière d’alimenter la conversation et de montrer leur implication dans le débat. Les hommes ne posent des questions que lorsqu’ils veulent obtenir une information. Il arrive que le mari essaie désespérément de résoudre le problème posé par la question de son épouse, tandis que celle-ci n’attend aucune solution, car souvent elle la connaît déjà : elle cherche simplement la compréhension ou un commentaire gentil ou personnel.

Un autre exemple est la manière d’entretenir un sujet de conversation. Les maris, une fois qu’ils ont dit ce qu’ils avaient à dire, ont atteint leur objectif et généralement se taisent. Les épouses, elles, tendent à établir des connexions et à poursuivre la conversation jusqu’à ce qu’elles arrivent là où elles veulent arriver. Et, dans ce processus, elles ont souvent la désagréable surprise que le mari ne les a pas écoutées, car il lui semblait qu’on avait déjà épuisé la question.

Un troisième cas concerne les détails des discussions. L’épouse aime partager avec son mari les détails de ses idées et de ses émotions. Celui-ci est plus à l’aise dans des thèmes comme la politique, l’économie, le sport, etc. Si le mari ne connaît pas cette tendance de la femme, il peut perdre patience en écoutant l’avalanche de détails qu’elle raconte.

Un quatrième exemple est celui de la finalité de la propre communication. On l’a déjà dit : là où la femme veut partager, et en détails, le mari veut solutionner. Le malentendu sur la finalité de la communication peut entraîner la préoccupation, le découragement ou la tristesse du mari : le panorama lui apparaît comme compliqué et difficile et la situation s’apparente pour lui à un échec, car il n’obtient pas que sa femme se préoccupe des solutions. Il oublie que le fait que l’épouse veut partager les détails de sa vie avec lui est un bon signe, un signe de confiance : elle attend de son mari qu’il montre de l’intérêt, qu’il soit un véritable appui, qu’il lui offre sérénité et appui.

Quand il y a un manque de compréhension entre les deux, si on ne porte pas remède à la situation, les incompréhensions ont tendance à s’accentuer. La femme peut exagérer les aspects négatifs, faire des commentaires désagréables (même contre son gré, parce qu’elle ne peut faire autrement), avoir la tendance à vider son sac. Face à une situation de conflit, les maris, au contraire, se taisent et se renferment sur eux-mêmes, ce qui ne signifie pas qu’ils ne vont rien faire. Et parfois, lorsqu’ils ont décidé ce qu’ils vont faire, ils négligent d’en informer leur femme.

De cette manière, on risque de radicaliser le caractère et de créer des distances dans le couple.

Il est important de comprendre que, généralement, l’autre ne montre pas ses émotions ou se comporte d’une certaine manière pour déranger, mais parce qu’il n’a jamais appris à faire autrement.

Un autre problème de communication peut surgir des malentendus concernant la sincérité. Il faut démasquer deux déformations en rapport avec la sincérité conjugale.

La première réside dans une fausse prétention d’intégrité. Celle-ci, poussée à l’extrême, peut conduire à l’attitude névrotique de prétendre qu’on doit me raconter absolument tout, pas tant parce que cela m’intéresse de savoir, mais parce que je place la sincérité au-dessus de la charité elle-même. On finit par oublier le principe de Saint Paul : veritatem facientes in caritate (Ep 4, 15), c’est-à-dire que la vérité doit être dite, communiquée, vécue dans la charité. Il est matériellement impossible de « tout raconter » : il faut trouver un équilibre et opérer une sélection. Il y a en outre un domaine partiellement incommunicable et qui se réfère à la vie intérieure, à la relation avec Dieu ; et celui des tentations ou suggestions auxquelles nous sommes tous sujets et qu’il serait indélicat et contre-productif de raconter en-dehors de la direction spirituelle.

La seconde déformation concernant la sincérité conjugale est la trompeuse « sincérité émotive ». Il y a des gens qui pensent erronément que l’on est plus sincère quand on dit tout ce qui nous passe par la tête à l’occasion d’une colère ou d’une perte de maîtrise de soi. C’est une erreur qui entraîne de nombreux problèmes. Ce qu’on dit sous le coup d’une grande émotion n’est souvent pas ce que l’on pense (et dans ce sens, on n’est pas sincère). Dans ces circonstances, on peut chercher à blesser l’autre, plutôt que de dire la vérité. Il faut savoir attendre, demander pardon, enlever de l’importance à l’affaire.

Enfin, il faut défaire le mythe de la « spontanéité ». On pense souvent que la spontanéité agit sans effort, alors que, dans le mariage, il faut former la spontanéité de façon laborieuse : savoir vivre à la maison la courtoisie et la délicatesse que l’on vit souvent en-dehors de la maison, faire en sorte que la courtoisie soit spontanée au lieu de penser que la spontanéité à la maison consiste à donner libre cours au caprice et à la grossièreté. Il y a par exemple des maris qui n’acceptent pas de « s’entraîner » à faire des compliments à leur femme (« c’est pas mon truc », « cela ne surgit pas spontanément chez moi »), et, par contre, ils n’éprouvent aucune difficulté à apprendre à jouer au golf, malgré que ce soit plus difficile…

D’autres se disent incapables de modifier de petites habitudes qui ne favorisent pas l’harmonie dans le couple (se mettre à lire le journal dès qu’ils rentrent, s’asseoir dans un fauteuil déterminé, parler à leur femme sur un ton ennuyeux,…). Par contre, ils passent d’une voiture automatique à un modèle avec boîte de vitesses conventionnelle, ou du frein qui est à droite sur le vélo au frein qui est à gauche sur le scooter… Il n’est pas si difficile de changer des habitudes routinières : se lever plus tôt, aller au devant du conjoint qui rentre à la maison, offrir la meilleure part à l’autre, s’émerveiller de ce qui lui tient à cœur, … C’est l’éducation de l’amour qui est un amour de volonté, de décision. Une règle simple : vérifier si tu n’es pas gêné en lisant le journal tandis que l’épouse s’occupe des choses du ménage (souvent après avoir travaillé elle-même à l’extérieur) ; et, dans le chef de l’épouse, elle devrait apprendre à s’asseoir de temps en temps à côté de son mari, même s’il y a encore des choses à mettre en ordre.

Les inerties dans l’amour nous nivellent par le bas, car elles ne sont jamais le produit d’une décision personnelle, mais des tendances de la commodité, propres à la nature humaine, qui ne sont pas passées par le filtre d’un amour volontaire. Elles sont souvent involontaires et naissent d’un phénomène de mimétisme (dans le cas contraire, il faudrait les appeler par leur nom : égoïsme). Le simple fait de savoir qu’elles existent constitue déjà un pas important vers leur éradication. Ensuite, il faut formuler des résolutions et s’entraîner, c’est-à-dire aimer.

Apprendre à rationnaliser les colères

La colère présente une séquence, une progression : d’abord on sent qu’on a été offensé d’une manière ou d’une autre ; ensuite, on se fâche et on ressent l’envie de retourner l’offense ; et finalement, on la retourne.

Il faut se convaincre que les colères dans le mariage ne sont pas bonnes (pas tous en sont convaincus). Ce qui n’empêche qu’une colère peut être l’occasion d’un bien plus grand, à travers la réconciliation qui s’ensuit. Il est vrai que la relation conjugale se renforce à travers le pardon réciproque et semble renaître de ses propres cendres… Mais en soi, la colère n’est pas un bon chemin pour édifier le mariage.

Pour vaincre la colère, il faut savoir comment elle fonctionne. La première réaction est l’offense ou la sensation d’être offensé. L’éliminer tout à fait relève du grand art, mais exercer sur elle un certain contrôle est à la portée de tous. Surtout si l’on est persuadé que la majorité des offenses que nous percevons ne sont pas réelles, mais imaginaires, comme produit de notre susceptibilité. Si l’on tâche d’en éliminer une « par mois »… (« à partir de demain, je ne serai plus dérangé[e] par telle habitude de mon mari ou de ma femme… » ; « dorénavant, cela ne m’ennuiera plus qu’il ou elle ne se rend pas compte que… »), la joie familiale grandira très rapidement.

La seconde étape est de se fâcher. Si l’on a chassé la première étape et qu’on ne perçoit pas l’offense, la colère ne se produit pas. Et si elle surgit quand même ? Une option consiste à lui donner libre cours. Une autre est de tenter de comprendre cette colère : pourquoi suis-je fâché(e) ? Quelle est la vraie raison de mon irritation ? Quelles sont les circonstances qui me conditionnent ? Il vaut la peine de se le proposer de temps en temps, car, sinon, on transfère le problème au conjoint. Qui est sincère avec lui-même découvre presque toujours que la véritable cause est liée à un ensemble d’éléments internes et que l’origine de la colère se trouve davantage chez lui (défauts personnels, tensions au travail, mécontentement au sujet de sa propre attitude, …) que chez le conjoint.

Enfin vient la troisième étape : l’envie de passer à l’attaque. Sur ce point les experts coïncident : « compte jusqu’à dix ». Ensuite recommence, et encore, car si tu passes à l’attaque, tu vas blesser l’autre.

On pourrait être tenté de croire qu’en contrôlant les accès de colère et les tendances « spontanées », on perd sa personnalité. Mais c’est le contraire. La forge du caractère et du développement de la personnalité consiste principalement en la maîtrise de soi par amour de Dieu et des autres. Qui se domine a du caractère et qui se laisse dominer par les tendances de son tempérament se montre faible. Par ailleurs, ces tendances sont souvent ce qu’il y a de moins humain en nous, dans la mesure où elles se manifestent en marge de l’intelligence et de la volonté.

Javier Vidal-Quadras Trias de Bes est marié et père de sept enfants. Il est avocat et a été professeur de droit. Il donne des cours d’orientation familiale et est secrétaire général de l’International Federation for Family Development, qui possède un statut consultatif à l’ONU. Ce texte est une traduction, légèrement adaptée, réalisée par l’abbé Stéphane Seminckx, de Algunas experiencias prácticas y consideraciones básicas de un padre de familia sobre la vida conyugal y familiar (Quelques expériences pratiques et considérations fondamentales d’un père de famille sur la vie conjugale et familiale), publié sur www.collationes.org.