Nous publions ici la quatrième et dernière partie des réflexions issues de l’expérience pratique d’un père de famille. Il y aborde certaines difficultés que peut rencontrer le couple.
7. Travail et famille. Du temps pour la famille dans la société hyperactive
L’amour conjugal a besoin de temps. La fréquentation engendre l’affection. C’est un point sur lequel on peut très facilement s’abuser et chercher des succédanés matériels qui ne comblent jamais le besoin de partager que l’amour exige. La qualité du temps passé en famille repose invariablement sur une quantité de temps suffisante. Il faut partir, sans voir des mirages ni se faire de fausses illusions, du temps réel dont on dispose et, sur cette base, construire une vie de famille qui soit la plus intense possible.
Les experts en orientation familiale parlent d’un outil efficace : l’agenda. L’agenda ne recueille pas seulement les engagements professionnels, les rendez-vous qu’on nous fixe, mais aussi les moments que nous déterminons nous-mêmes pour promouvoir notre famille et notre vie personnelle. Si le temps consacré à la famille est repris au même endroit que les réunions « importantes », il est certain qu’il ne passera pas inaperçu. Dans le cas contraire, il sera enseveli sous les milliers de choses urgentes qui se présentent tous les jours. Si un client veut fixer un rendez-vous à 18h30, mais que c’est l’heure de retourner à la maison, on peut lui répondre qu’on a déjà un engagement, ce qui est rigoureusement vrai, et fixer un rendez-vous un autre jour à une autre heure. S’il faut convenir d’un entretien téléphonique, il est préférable de demander d’appeler pendant les heures de bureau (et peut-être éteindre le GSM à partir d’une certaine heure à la maison).
Il faut décider de la distribution du temps avec le conjoint, qui a aussi voix au chapitre. Ce n’est pas une simple affaire personnelle. Il est bon de percevoir les situations exceptionnelles — les heures supplémentaires au bureau — comme le fait d’enlever à la famille ce qui lui appartient. Parfois on ne peut faire autrement, mais si on le fait de commun accord et en syntonie, cela favorisera la sérénité.
Qui est chrétien et se propose de sanctifier la vie ordinaire, doit chercher « l’unité de vie » : ne pas créer de compartiments étanches entre le travail, la famille, les relations sociales, etc. L’unité de vie exige que tout soit imprégné par l’Amour de Dieu et contribue à Lui rendre gloire. Il est essentiel de faire de la messe le « centre et la racine » de la vie chrétienne : orienter tout vers la messe et tirer de celle-ci la force pour tout élever à la gloire de Dieu.
Quand on fait de la sanctification du travail professionnel le cadre ou la charnière de la vie chrétienne, il faut se rappeler qu’une charnière sans porte ne sert à rien, de même qu’une porte ne fonctionne pas sans charnière. Faire du travail « l’axe » ne signifie pas qu’il soit plus important que la famille, mais qu’il occupe une place particulière — celle d’un « axe » — dans l’ensemble de la sanctification de la vie ordinaire.
8. Face à la crise : « la solution passe par moi »
« Devant tout type de difficulté dans la vie relationnelle, chacun devrait savoir qu’il y a une seule personne sur laquelle on peut agir pour que la situation s’améliore : soi-même. Et c’est toujours possible. Cependant, on prétend généralement que c’est le conjoint qui doit changer et on ne l’obtient presque jamais (…). Si tu veux changer ton conjoint, change d’abord toi-même sur un point » (U. Borghello).
Il est inutile d’attendre : nous avons la solution à portée de la main. Si je le veux, l’amour vaincra la crise. Qui voit le problème et ne reconnaît pas que la solution passe par un changement chez lui-même, devient la partie centrale du problème.
Il faudrait faire ici une nouvelle mention du pardon, le pardon rapide, sans donner le temps à l’orgueil de finir par l’étouffer. Il faut expliquer au conjoint que le pardon requiert de l’entraînement : les premières fois, cela coûte mais au fur et à mesure qu’on s’exerce, les mots et les gestes opportuns naissent comme par enchantement, et ils deviennent un nouvel aliment de l’amour.
9. Epilogue : du « toi et moi » au « nous »
Quand l’amour conjugal mûrit, il configure un « nous » qui transforme la biographie individuelle en co-biographie. Ce « nous » implique l’instauration d’une œuvre commune, qui est essentiellement le bien des conjoints et l’ouverture de l’intimité conjugale aux enfants, c’est-à-dire la famille. Le mariage invite à intégrer la propre biographie dans un projet commun, à fusionner la trajectoire personnelle dans la trajectoire matrimoniale. Sinon, il finit par se convertir en une intimité qui se complaît en elle-même, en deux égoïsmes qui vivent ensemble.
Cette communauté que le mariage instaure, ce « nous », est beaucoup plus que le simple fait de vivre ensemble : ce n’est pas simplement « se trouver près » de l’autre conjoint ou « avec » lui. Cela ne suffit pas pour définir la communauté matrimoniale. Le « nous » qui fonde l’engagement matrimonial se situe sur un plan plus profond. Le conjoint ne donne pas à l’autre ce qui lui correspond, ni plus que cela, pas même davantage que tout ce qu’il aurait pu rêver, car ce n’est pas une question de quantités, mais d’amour conjugal. Le « nous » matrimonial est formé par le tout de chacun des deux, car ils mettent tout en commun et ainsi tout renaît comme « ce qui est à nous ». C’est seulement ainsi qu’on peut accueillir l’autre quand il ne peut pas donner, ou quand il ne veut pas le faire.
Javier Vidal-Quadras Trias de Bes est marié et père de sept enfants. Il est avocat et a été professeur de droit. Il donne des cours d’orientation familiale et est secrétaire général de l’International Federation for Family Development, qui possède un statut consultatif à l’ONU. Ce texte est une traduction, légèrement adaptée, réalisée par l’abbé Stéphane Seminckx, de Algunas experiencias prácticas y consideraciones básicas de un padre de familia sobre la vida conyugal y familiar (Quelques expériences pratiques et considérations fondamentales d’un père de famille sur la vie conjugale et familiale), publié sur www.collationes.org.