Comment peut-on encore croire en l’Eglise catholique aujourd’hui ? L’auteur aborde toute une série de questions très actuelles sur l’identité de l’Eglise et le bien-fondé de la foi en cette institution.
1. Jésus a-t-il voulu fonder l’Eglise ?
Le Nouveau Testament présente des faits suffisants pour l’affirmer. Entre autres : 1) Jésus s’est entouré de nombreux disciples et a donné une hiérarchie stable à ce groupe, en nommant les douze Apôtres comme chefs de cette communauté, avec Pierre à sa tête. Le fait que les Apôtres soient douze, comme les tribus d’Israël qui étaient également au nombre de douze, signifie que Jésus a voulu fonder un nouveau peuple. 2) Les Apôtres, qui étaient les mieux placés pour savoir ce que Jésus voulait, ont compris qu’ils devaient se donner des successeurs, ce qu’ils ont fait, comme le relatent les Actes des Apôtres et plusieurs épîtres de saint Paul. Cette succession apostolique est donc une dimension constitutive de l’Eglise. 3) Après sa résurrection, avant de quitter les Apôtres, Jésus leur a confié la mission de faire des disciples de toutes les nations; auparavant il leur avait demandé de célébrer l’Eucharistie en mémoire de Lui, « jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26), c’est-à-dire jusqu’à la fin des temps. 4) Il leur a promis, aussi jusqu’à la fin du monde, l’assistance du Saint-Esprit, qui s’est répandu sur l’Eglise dix jours après le départ de Jésus au Ciel, le jour de la Pentecôte.
Tout ces faits montrent clairement l’intention de Jésus de fonder une communauté durable, l’Eglise, et de lui donner les moyens pour perdurer : l’aide du Saint-Esprit, la nourriture de l’Eucharistie, la fonction de guide des apôtres et de leurs successeurs, à savoir le pape et les évêques.
2. Plusieurs communautés revendiquent d’être l’Eglise fondée par le Christ. Peuvent-elles toutes aspirer à ce titre ? Sinon, laquelle est la vraie Eglise ?
Le Credo confesse qu’il n’y a qu’une Eglise. Parmi les caractéristiques (ou « notes », comme on dit en théologie) qui permettent de la reconnaître, la plus visible est celle de l’apostolicité : comme le Christ a laissé l’Eglise entre les mains des Apôtres, la véritable Eglise est celle qui garde avec fidélité l’enseignement des Apôtres et qui est gouvernée par leurs successeurs, à savoir le collège des évêques, présidé par le successeur de Pierre, c’est-à-dire le pape. Ce principe est formulé dans l’adage classique : Ubi Petrus ibi Ecclesia (Où est Pierre se trouve l’Eglise).
3. Et les autres communautés qui se réfèrent au Christ ne sont-elles que de fausses églises ?
Les églises et communautés qui, au cours de l’histoire, se sont séparées de l’Eglise catholique conservent de nombreux éléments utiles au salut (le concile Vatican II parle d’« éléments de sanctification et de vérité ») : la Sainte Ecriture, plusieurs sacrements, et aussi des trésors de liturgie et de piété. Cependant, la plénitude de la vérité et des moyens de salut se trouve dans l’unique Eglise fondée par le Christ. Comme le dit Vatican II, celle-ci « subsiste » dans l’Eglise catholique, ce qui signifie trois choses : 1) l’Eglise du Christ est vivante aujourd’hui ; 2) on la trouve dans la structure visible de l’Eglise catholique, c’est-à-dire l’Eglise gouvernée par les successeurs des Apôtres, avec Pierre comme tête visible ; 3) la présence et l’action de l’Eglise catholique s’étend au-delà de sa dimension visible.
4. Cette insistance sur la primauté de Pierre, est-elle bien documentée ?
Jésus a confié à Pierre les clefs de l’Eglise (cf. Mt 16, 16-19) ; Il lui a demandé de confirmer ses frères dans la foi (cf. Lc 22, 31) ; Il l’a nommé pasteur de l’Eglise (cf. Jn 21, 15). Les Évangiles le citent toujours en tête de la liste des Apôtres (cf. Mt 10, 2 ; Mc 3, 16 ; Lc 6, 13). Et la première communauté chrétienne l’a accepté comme chef (cf. Ac, chapitres 1-12).
Il n’est donc pas étonnant que les successeurs de Pierre, durant les premiers siècles, (comme il apparaît explicitement chez Clément, Victor, Etienne, par exemple) aient revendiqué la primauté ; et que d’autres évêques de la même époque (Ignace, Irénée, Denys) l’aient à leur tour reconnue. Mais, comme beaucoup d’autres doctrines de l’Eglise, la primauté du pape ne se clarifiera définitivement qu’au fil des siècles, à la faveur, notamment, des attaques qu’elle subira.
5. Et en dehors de cette unique Eglise du Christ, il n’y a pas de possibilité de salut ?
On connaît le principe : « hors de l’Eglise point de salut ». En 1949, Pie XII a clairement rejeté l’interprétation littérale, fondamentaliste, de ce principe. Le concile Vatican II a expliqué que cette expression classique signifie que « ne pourraient pas être sauvés les hommes qui, tout en n’ignorant pas que Dieu a fondé, par Jésus-Christ, l’Eglise catholique comme nécessaire [pour le salut], ne voudraient cependant pas y entrer ou y persévérer » (Lumen Gentium 14).
6. Cette même explication s’applique-t-elle aussi aux non-chrétiens ? D’après l’Eglise catholique, les non-chrétiens peuvent-ils être sauvés ?
Oui, ils peuvent être sauvés par la grâce du Christ et à travers l’Eglise, d’une façon que Dieu seul connaît. Mais ils se trouvent dans une situation objective plus difficile pour atteindre le salut. Il faut tenir présent à l’esprit que, dans les autres religions, il y a toujours des valeurs positives (ouverture à la transcendance, monothéisme, certaines valeurs morales, etc.), mêlées à des erreurs comme l’existence des castes, la polygamie, la superstition et, à la limite — comme il est arrivé dans certaines religions primitives —, les sacrifices humains. Ces doctrines ou pratiques erronées représentent un obstacle pour le salut.
7. Il semble que l’Eglise catholique n’est pas non plus restée fidèle à Jésus. Elle a par exemple a inventé des doctrines, des dogmes, dont Jésus n’avait jamais parlé.
Jésus avait prévu que son enseignement devrait être développé : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter actuellement. Quand viendra le Consolateur, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité toute entière » (Jn 16, 12-13). Newman a bien montré que comme toute doctrine, le christianisme doit se développer avec le temps, parce qu’il entre en contact avec d’autres peuples et cultures qui lui posent des questions nouvelles ; parce qu’il est aussi objet de réflexion de la part des nouvelles générations ; parce qu’il doit répondre aux objections soulevées par le développement des sciences ; parce qu’il doit réfuter des erreurs, qui surgissent au fil de l’histoire, etc.
8. Et qui garantit que ces développements n’ont pas déformé le christianisme ?
Ces développements exposaient nécessairement la foi chrétienne au risque d’erreurs et de déformations. Mais Dieu, dans sa sagesse n’aurait-il pas prévu ce danger ? Jésus aurait-il pu laisser son Eglise, pour laquelle Il a payé le prix de son sang, se corrompre et les hommes tomber dans l’anarchie religieuse ? Pour éviter ces dangers, le Christ a institué une autorité qui montre le chemin et tranche les conflits : le Magistère de l’Eglise (assisté par le Saint-Esprit), qui formule la foi, notamment par les dogmes. Il accomplit ainsi sa promesse d’assister son Eglise jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28, 20).
9. L’Eglise, qui a commis de nombreuses erreurs au cours de l’histoire, est prétentieuse lorsqu’elle s’autoproclame « sainte ».
Il ne faut pas oublier tout le bien que l’Eglise, depuis son origine, réalise non seulement pour le salut des âmes mais aussi dans le domaine de la solidarité, de l’éducation, de la culture, etc. Ensuite, on peut rappeler que l’Eglise est à la fois humaine et divine. Elle est un mystère qui ne peut pas se comprendre en la séparant de sa partie divine, du Christ. Nous les hommes, avec nos erreurs et nos péchés, en constituons la partie humaine, visible qui, malgré ses limites, transmet la lumière et la voix du Christ, de Dieu, sur la terre. A l’image de la lune qui, malgré le fait de n’être composée que de pierres et de poussière, nous transmet la lumière du soleil.
10. On ne peut pas nier que cette partie humaine est responsable de nombreuses erreurs.
L’Eglise n’a jamais prétendu être la communauté des purs. Elle a même condamné ceux qui le prétendaient, comme les gnostiques et les cathares. Le mal est présent parmi ses membres dès l’origine : rappelons-nous le tragique événement d’Ananie et Saphire (cf. Ac 5, 1-11), la conduite immorale de certains fidèles de Corinthe (1 Co 5 et 6), etc. C’est pour cela que le Christ a institué le sacrement de la pénitence. C’est aussi pour ce motif que les communautés chrétiennes, quand elles se réunissent pour célébrer l’Eucharistie, commencent toujours reconnaître leurs fautes dans un acte de contrition.
11. Si on ne voit pas les chrétiens se convertir, on peut comprendre le slogan classique : « oui au Christ, non à l’Eglise ».
C’est précisément l’Eglise qui invite et qui aide chaque chrétien à se convertir, à s’efforcer de mener une vie en accord avec l’exemple et les enseignements de Jésus. L’Eglise elle-même, en tant qu’institution humaine, dans sa structure et dans sa vie, a toujours besoin de réformes. Elle les a réalisées constamment par le passé et continuera de le faire, guidée par l’Esprit Saint (pensons par exemple aux grands conciles, comme celui de Trente et Vatican II). Mais avant de parler d’éventuelles erreurs ou de possibles réformes, il est juste de remercier le Seigneur pour la chance que nous avons de pouvoir connaître, grâce à l’Eglise, la vérité sur Dieu et sur notre destinée. Pensons à la grande espérance qui naît en nous du fait de nous savoir destinataires, pour toute l’éternité, des biens du monde à venir. Ces biens, Jésus nous les a obtenus par sa Croix, et l’Eglise, par sa prédication et ses sacrements, les rend présents et nous les communique dans l’aujourd’hui de notre vie. Le « oui » au Christ est inséparable du « oui » à l’Eglise, voulue et fondée par le Christ lui-même (voir point 1).
12. Il faut tout de même avouer que le pouvoir absolu du pape dans l’Eglise et sa prétention à l’infaillibilité passent mal aujourd’hui.
Le pouvoir du pape est bien loin d’être illimité. Il s’inscrit dans le cadre de la foi catholique et de la structure fondamentale de l’Eglise, réalités que le pape ne peut pas modifier. Plus fondamentalement, il est circonscrit par la finalité propre à la mission que le Christ a confiée à Pierre et à ses successeurs : l’unité de l’épiscopat et, par là, celle de l’Eglise.
Et pour ce qui est de son infaillibilité, il la possède en effet, mais en tant que participation de celle que Dieu a accordée à l’Eglise dans son ensemble pour ne pas faillir dans la foi ; en outre, elle n’est pas considérée comme sa propriété, mais comme reçue du Saint Esprit ; et finalement, son champ d’application est limité, comme on vient de le voir en parlant des limites du pouvoir du pape.
13. L’Eglise ne serait-elle pas mieux acceptée si elle adoptait une structure démocratique ?
Pendant son histoire, l’Eglise a modifié — et continuera de modifier — beaucoup de choses dans la façon de s’organiser, de nommer ses évêques, d’élire le pape, etc. Elle doit néanmoins rester fidèle à la volonté du Christ et donc maintenir la structure fondamentale qu’il a voulue : 1) le principe essentiel d’égalité de tous les membres de l’Eglise : tous ceux qui ont reçu le Baptême possèdent la même condition de fils de Dieu et le même devoir de coopérer à l’édification de l’Eglise, chacun conformément à sa situation ; 2) le principe de la diversité fonctionnelle, fondé sur l’existence d’un autre sacrement, celui de l’Ordre, qui constitue certains fidèles en ministres sacrés.
14. Et cela exclut une démocratie dans l’Eglise ?
Par démocratie on entend une formed’organisation politique où le peuple est souverain. Mais l’Eglise est une communauté ordonnée au salut éternel de ses membres. Et ni l’individu ni la communauté n’ont accès par eux-mêmes à ce salut, qui est un don que Dieu nous transmet à travers les sacrements et la Parole divine. C’est-à-dire que ce salut vient d’en haut, de Dieu, pas de la base. Et Dieu, le Christ, a voulu diriger l’événement salvifique à travers ces ministres sacrés, les évêques et les prêtres.
En d’autres mots : l’Eglise n’est pas la communauté issue de l’initiative de ceux qui s’inspirent de Jésus de Nazareth, mais plutôt la communauté convoquée par Jésus de Nazareth lorsqu’il appelle les hommes à le suivre. Le mot « Eglise » signifie « convocation ». Les fidèles de l’Eglise adhérent donc à un projet dont les lignes essentielles viennent de Jésus. Ni le contenu de la foi ni la structure essentielle de l’Eglise ne sont établis par un vote démocratique des fidèles.
15. Alors l’Eglise est composée de deux classes : la supérieure (évêques et prêtres) et la subordonnée (les laïcs) ?
Il serait plus vrai de dire que les évêques et les prêtres sont au service des laïcs. Et d’ajouter que, dans l’Eglise, tous les baptisés ont la même possibilité et la même obligation d’arriver à la sainteté, qui est l’enjeu essentiel du christianisme. Beaucoup d’erreurs et de difficultés dans la compréhension de l’Eglise proviennent du fait qu’on lui applique un modèle de constitution profane, méconnaissant ainsi la mission unique dont elle est investie, mission qui vient de son origine divine et de sa finalité surnaturelle : le salut des âmes.
16. L’Eglise devrait s’adapter à la société actuelle, sous peine de disparaître. Elle semble vivre au Moyen Age, avec sa morale rétrograde qui empêche l’épanouissement humain.
Déjà les anciens Romains s’adressaient aux chrétiens en les encourageant à renoncer à leur foi et à revenir au culte des ancêtres, qui — aux dires des Romains — était plus joyeux et plus festif. Par contre, vous les chrétiens — disaient-ils — vous suivez un crucifié !
Il est, en effet, difficile de comprendre comment une Eglise dont le fondateur meurt condamné par certains chefs religieux de son propre peuple, qui prône une vie de renoncement et qui est composée, depuis saint Pierre jusqu’à nos jours, par des hommes faibles et pécheurs, peut survivre, et continuer à s’étendre et à susciter de son vieux tronc des pousses toujours nouvelles.
On raconte que, quand Napoléon menaçait un jour le Cardinal Consalvi d’anéantir l’Eglise, ce dernier lui répondit avec ces quelques mots, qui sont plus qu’une simple boutade : « Vous ne pourrez jamais la détruire : nous-mêmes n’y avons jamais réussi… ».
Emmanuel Cabello est prêtre, Docteur en Sciences de l’Education et en Théologie.