En vue du Synode sur la famille d’octobre prochain, l’Université Pontificale de la Sainte Croix à Rome a organisé un symposium sur « Mariage et famille. La question anthropologique et l’évangélisation de la famille ». La leçon inaugurale était confiée au cardinal-archevêque de Bologne Carlo Caffarra qui a parlé de la manière de proposer une vision chrétienne du mariage dans une culture occidentale qui a démoli le mariage naturel.
Carlo Caffarra a commencé par faire l’ébauche de la situation du mariage en Occident.
« L’édifice du mariage n’a pas été détruit, mais bien déconstruit, démonté pièce par pièce. Au bout du compte, nous avons toutes les pièces, mais pas l’édifice. Toutes les catégories qui composent l’institution matrimoniale existent : la conjugalité, la paternité-maternité, la filiation-fraternité. Mais elles n’ont plus de signification univoque ».
Comment s’est produite cette déconstruction ? « On a séparé chaque fois plus le mariage de la sexualité propre à chacun des deux conjoints. (…) Et la conséquence la plus importante de cette débiologisation du mariage est sa réduction à une simple émotion privée, sans signification publique fondamentale ».
Oubli du biologique
Caffarra a décrit les moments fondamentaux de ce processus. « Le premier est constitué par la manière de penser la relation de la personne à son propre corps ». Face à la thèse de Saint Thomas qui affirmait l’unité substantielle de la personne, la vision platonique et néoplatonique de l’homme s’est infiltrée dans la pensée chrétienne. « Dans un deuxième temps, la séparation entre le corps et la personne a trouvé un nouvel élan dans la méthodologie de la science moderne qui exclut de l’objet d‘étude toute référence à la subjectivité, considérée comme dimension non mesurable ». C’est ainsi qu’on en arrive à « la transformation du corps en pur objet ».
« D’une part, le donné biologique est progressivement expulsé de la définition du mariage et, d’autre part, par voie de conséquence, les catégories d’une subjectivité réduite à une pure émotivité deviennent primordiales au moment de définir le mariage ».
Avant, signale Caffarra, « le génome du mariage et de la famille était constitué par la relation de réciprocité (conjugalité) et la relation intergénérationnelle, comme relations enracinées dans la personne ». « Elles n’étaient pas réduites aux données biologiques, mais celles-ci étaient assumées et intégrées dans la totalité de la personne ».
En revanche, « maintenant, la conjugalité peut être aussi bien hétérosexuelle qu’homosexuelle ; la procréation peut s’obtenir grâce à un processus technique. Comme l’a justement démontré P.P. Donati, nous n’assistons pas à un changement morphologique, mais bien à un changement du génome de la famille et du mariage ».
Le mariage dans la culture actuelle
Carlo Caffarra pense que les problèmes fondamentaux posés par le climat culturel d’aujourd’hui à la vision chrétienne du mariage ne sont pas en première instance des problèmes éthiques, qui peuvent être affrontés par des encouragements moraux. « C’est une question radicalement anthropologique ».
La première dimension de ce problème est que, selon la doctrine catholique, le mariage sacramentel coïncide avec le mariage naturel. Or, « ce que l’Eglise entendait et entend par mariage naturel a été démoli dans la culture contemporaine ». C’est pourquoi « de façon logique, les théologiens, les canonistes et les pasteurs se posent des questions sur la relation foi-sacrement dans le mariage. Mais il y a un problème plus radical. Celui qui demande à se marier sacramentellement est-il capable de contracter un mariage naturel ? ». Il ne s’agirait donc plus seulement d’une question de foi, mais bien d’une question anthropologique, sur la capacité de se marier.
La seconde dimension de cette question anthropologique consiste, d’après Caffarra, « dans l’incapacité de percevoir la vérité et donc la valeur de la sexualité humaine ».
A ce point de son raisonnement, Caffarra se demande si l’Eglise fait bien tout ce qui est nécessaire pour montrer cette valeur au monde d’aujourd’hui. « L’Eglise doit se demander pourquoi, dans les faits, le magistère de Jean-Paul II sur la sexualité et l’amour humain a été ignoré. L’Eglise possède une grande école dans laquelle on apprend la profonde vérité de la relation corps-personne : la Liturgie. Comment et pourquoi n’a-t-elle pu l’exploiter face à la question anthropologique dont nous parlons ? A quel point l’Eglise est-elle consciente que l’idéologie du genre est un véritable tsunami, dont l’objectif ne porte pas en priorité sur le comportement des personnes, mais sur la destruction totale du mariage et de la famille ? ».
En résumé, dit Caffarra, « le second problème fondamental posé actuellement à la proposition chrétienne du mariage est la reconstruction d’une théologie et d’une philosophie du corps et de la sexualité qui génèrent un nouvel engagement éducatif dans toute l’Eglise ».
La troisième dimension de la question anthropologique actuelle sur le mariage est, selon Caffarra, « la plus grave ». La méfiance dans la capacité de la raison de connaître la vérité, dont parle l’encyclique Fides et Ratio (nn. 81-83), a entraîné avec elle la volonté. « L’appauvrissement de la raison a généré l’appauvrissement de la liberté. Comme nous avons perdu l’espoir en notre capacité de connaître une vérité totale et définitive, nous avons aussi du mal à croire que la personne humaine peut réellement se donner totalement et définitivement, et recevoir le don total et définitif de l’autre ».
D’où « l’incapacité actuelle de la personne à considérer l’indissolubilité du mariage si ce n’est en termes de loi externe, comme une grandeur inversement proportionnelle à celle de la liberté ».
Ce qu’il faut éviter
Dans la troisième partie de son intervention, le cardinal Caffarra se réfère à quelques approches qu’il faut éviter et à d’autres qu’il faut utiliser pour la proposition chrétienne du mariage.
« Il y a trois approches à éviter. L’approche traditionnaliste qui confond une manière particulière d’être famille avec la famille et le mariage en tant que tel. L’approche des catacombes, qui se contente des vertus personnelles des époux, et préfère laisser l’institution du mariage au libre vouloir de la société. Et l’approche bonasse qui considère que la culture dont nous avons parlé précédemment est un processus historique irréversible ; elle propose donc de faire des compromis avec elle, en sauvant ce qui peut être reconnu comme bon ».
En ce qui concerne les approches positives, Caffarra part d’une constatation : « La reconstruction de la vision chrétienne du mariage dans les consciences personnelles et dans la culture occidentale sera un processus long et difficile. Lorsqu’une pandémie s’abat sur une population, la première urgence est certainement de s’occuper des victimes, mais il est aussi nécessaire d’éliminer les causes ».
En premier lieu, il est nécessaire de redécouvrir les évidences originaires sur le mariage et la famille, « en enlevant des yeux du cœur les cataractes des idéologies qui nous empêchent de connaître la réalité ». « Ces évidences sont inscrites dans la nature même de la personne humaine ».
En deuxième lieu, il faut redécouvrir que « le mariage-sacrement et le mariage naturel coïncident. La séparation entre les deux nous porte à concevoir la sacramentalité comme un ajout, extrinsèque, et par ailleurs, elle fait courir le risque d’abandonner l’institution du mariage à la tyrannie de l’artificiel ».
En troisième lieu, « il est nécessaire de récupérer la “théologie du corps” présente dans le magistère de Jean-Paul II. Aujourd’hui, le pédagogue chrétien a besoin d’un travail théologique et philosophique qui ne peut être ajourné, ou limité à une institution particulière ».
Source : https://www.aceprensa.com/articles/la-reconstruccion-del-matrimonio/. Ce texte a été traduit de l’espagnol par Carine Therer.